Dossiers de la semaine

Mémoire et enregistrement

De notre mémoire dépend notre influence. Les mêmes données peuvent être mises en relation de maintes façons, à différentes époques et pour différents buts. C’est nous qui décidons.

Avant l’écriture, la mémoire était essentiellement humaine. On apprenait par coeur et on s’assurait que les choses importantes soient transmises oralement aux suivants. La capacité de stockage était celle des individus. Avec l’écriture, l’idée de textes pérennes prenait forme, restait le problème du support. La pierre permettait la conservation à long terme, mais le papyrus était nettement plus pratique. On pouvait commencer à enregistrer des données et les transporter. Avec l’imprimerie, la reproduction d’une même source garantissait une plus grande diffusion et une certaine pérennité. De là l’accumulation devenait possible, limitée principalement par les coûts de reproduction, du support et de l’entreposage.

Dans la mémoire humaine, le processus de classement s’accomplit très efficacement; le défi est tout autre dans une bibliothèque avec des documents physiques. Aujourd’hui, le coût de reproduction des connaissances organisées devient marginal, celui du support et de l’entreposage aussi, une bibliothèque peut tenir dans un téléphone ou une liseuse, et le classement est devenu sémantique, supporté par l’intelligence artificielle. On accède à la bibliothèque entière sans avoir à la classer.

L’idée de posséder l’information est abandonnée pour celle d’y avoir accès, bien plus pratique. Qui se soucie de savoir ses tables de multiplication quand on a une calculatrice ? Même l’ordre alphabétique est déclassé par la pertinence sémantique. Reste la capacité d’analyse et de discernement : quelle fiabilité de l’information ? Quelle pertinence ? L’expérience stockée dans notre mémoire peut servir mais plus encore nos valeurs et celles de nos institutions, avec leurs biais et leurs ambitions.

L’idée de la «tête bien faite plutôt que bien pleine» chère à Montaigne s’adressait avant tout à l’enseignant et est plus que jamais appropriée. Dans ce monde de données, la capacité de discernement devient une priorité en éducation. Notre mémoire se remplit et se vide au gré de nos intérêts et de nos expériences; reste la satisfaction que l’on retire de nos actions. Nous ne sommes pas notre mémoire mais bien ceux qui en interprètent les données.

Denys Lamontagne - [email protected]

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