Le Myanmar (Birmanie) est un pays splendide, une destination touristique très convoitée. L'Ethiopie recèle des trésors naturels et historiques, notamment avec ses églises creusées dans la roche. La Tanzanie est un paradis pour les amateurs de grande faune.
Mais si vous avez des amis dans ces trois pays, ne leur demandez pas de vous prêter leur ordinateur ou même leur smartphone pour vous connecter au réseau : plus de 95 % de la population n'y a pas accès à Internet.
Un taux exceptionnellement haut, dont d'autres pays tels que la RDC, le Bangladesh ou le Pakistan se rapprochent. Dévoilons maintenant l'ensemble de la grande image : 4,4 milliards de personnes, soit près de 70 % de la population mondiale, ne sont pas connectées, leur vie se déroule encore exclusivement offline.
C'est ce que rappelle la dernière livraison du rapport McKinsey "Technology, Media and Telecom Practice" intitulé cette année "Offline and falling behind : Barriers to Internet adoption".
Certes, le taux global d'accès à Internet a connu de belles avancées ces dix dernières années, sous les effets conjugués de l'amélioration de la couverture des réseaux mobiles, de l'urbanisation, de la baisse des prix des abonnements, de l'accès de millions de personnes aux classes moyennes et enfin, d'une conscience accrue de l'utilité d'Internet. Mais le taux de connexion a sérieusement ralenti depuis 5 ans et si on laisse les choses en l'état, il ne remontera pas.
Qui sont les non-connectés ?
Nous lisons dans le rapport que 75 % de la population non connectée est concentrée dans 20 pays seulement. Parmi ceux-ci, on trouve l'Inde et la Chine, qui comptent respectivement plus d'un milliard et plus de 730 millions de personnes non connectées. Beaucoup plus étonnant : aux Etats-Unis, 50 millions de personnes n'ont toujours pas accès à Internet. On imagine volontiers que les populations rurales sont les plus défavorisées face à Internet. Ce n'est que partiellement vrai : 35 % des non connectés vivent en ville. Les plus âgés sont-ils les moins bien lotis ? Là encore, faisons mentir les idées reçues : 18 % seulement des non connectés ont plus de 55 ans. Et 45 % ont moins de... 25 ans. Que dire de la corrélation entre le niveau d'éducation et l'accès à Internet ? Elle existe : sur les 3,5 milliards de personnes non connectées vivant dans les 20 pays sur lesquels se concentre l'étude, 900 millions sont analphabètes. Ce qui laisse quand même 2,6 milliards de personnes alphabétisées hors du réseau mondial...
Face à cette avalanche de chiffres qui contredisent au moins en partie nos représentations, il y a des facteurs d'exclusion inter-reliés : le manque d'intérêt des opérateurs pour des populations qui n'ont pas les moyens de payer pour le service; l'absence de contenus adaptés à des populations qui, par conséquent, ne voient pas l'intérêt de se connecter; l'absence de systèmes de paiement sécurisés et résistants dans les régions isolées; dans certains pays, une liberté limitée de publication.
La pauvreté sans espoir d'en sortir, frein majeur à la connexion
Mais tous les pays ne subissent pas la situation de la même manière. Dans certains pays (les trois que nous citions au début de cet article, plus le Nigeria, le Pakistan, l'Inde, les Philippines...), il faut agir sur tous les facteurs bloquants à la fois, ce qui requiert une forte coordination entre les acteurs politiques, économiques et sociaux. Dans d'autres (Pays d'Amérique latine et d'Europe, Etats-Unis, Turquie, Afrique du Sud...), un ou deux facteurs de blocage ont été identifiés. La pauvreté en premier lieu, et l'absence de services à un prix raisonnable.
Eric Schmidt, PDG de Google, avait beau dire qu'à la fin de la décennie, l'ensemble de la population mondiale serait connectée à Internet, il y a encore très loin du rêve à la réalité. Facebook ouvre des accès gratuits à quelques sites essentiels dans certains pays, comme en Zambie par exemple, qui ne compte que 15 % de sa population connectée. Une goutte d'eau comparée à l'immensité des besoins.
Doit-on intégrer le "droit à la connexion" aux objectifs du millénaire qui ne sont d'ailleurs toujours pas atteints, faire de l'accès à Internet un service aussi essentiel que l'accès à l'électricité ou à l'eau potable ? Répondre à cette question, c'est reconnaître la place, que d'aucuns estimeront démesurée, prise par Internet dans le monde. À l'inverse, c'est aussi replacer le débat sur le terrain de l'équité, rendre à chacun le droit de choisir d'accéder ou pas à la vie digitale, et oeuvrer pour que ce choix soit respecté.
Référence :
McKinsey & Company : "Technology, Media, and Telecom Practice - Offline and falling behind : Barriers to Internet adoption". Août 2014. Téléchargement du rapport (pdf) à partir de cette page.
Illustration : Davil Gil, Flickr, Licence CC BY-NC