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Publié le 02 novembre 2014 Mis à jour le 02 novembre 2014

Comment éviter le piège de la menace stéréotypée

La menace stéréotypée, un concept social qui met à mal les principes d'équité des chances pour les genres et les minorités visibles

Avoir le souci de l'équité, c'est traiter chacun selon les mêmes principes de justice et d'impartialité, en fonction de ce qui lui est dû. Mais hélas, certains clichés ont la vie dure et nous faisons souvent preuve d'injustice dans nos décisions, sans nous en rendre compte. Après tout, tous seront d'accord que les garçons sont bien meilleurs en mathématiques. Et les filles ont bien plus d'empathie et savent mieux comprendre les œuvres d'art, entre autres. Non ? En tout cas, c'est ce que « démontrent » les études et ce qui est « propagé », volontairement ou non, dans les écoles.

Une menace aux effets dévastateurs

C'est ce qu'on appelle la menace stéréotypée, un phénomène plus connu sous son nom anglais « stereotype threat ». Le concept a été identifié en 1995 lors d'une étude qui visait à comprendre la disparité dans le rendement scolaire entre les Afro-Américains et les Blancs. Le principe est que les individus vont, parce qu'ils sont informés de ces stéréotypes, agir en « répondant » à ceux-ci. Par exemple, le simple fait de mettre en début d'un test de mathématiques un champ où il faut cocher le sexe, va créer chez les filles une angoisse : « Je suis une fille, donc forcément, je serai moins bonne que mes compagnons masculins. » Et les résultats iront dans ce sens, ce qui perpétuera le mythe.

Jusqu'à maintenant, les analyses de ce phénomène se concentraient surtout sur les situations scolaires. Mais dernièrement, une étude a montré que même dans des activités du quotidien, ces stéréotypes existent et influent sur les comportements. On a souvent dit que les filles étaient moins bonnes que les garçons aux échecs. La plupart des jeunes filles sondées par l'étude connaissaient cette idée reçue. On a alors suivi les demoiselles dans différents tournois d'échecs. Résultats : même lorsqu'elles affrontaient des garçons de niveau équivalent, elles avaient moins de chance de gagner. Elles ne croyaient pas à leurs capacités. Conséquemment, elles abandonnaient plus vite l'activité que leurs compagnons masculins.

"Si ces stéréotypes sont si forts, c'est qu'ils doivent bien être basés sur quelque chose de vrai !", entend-on dire parfois Après tout, il est courant de dire, au sujet des sexes, que les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus… Sauf que cette théorie est complètement fausse. En fait, pour la plupart des chercheurs, ces différenciations n'ont pratiquement aucune justification scientifique. Les études tendent même à montrer que quand on désamorce ces stéréotypes de genre ou de race avant des tests, les individus « supposément moins forts » répondent aussi bien, sinon mieux, que lorsqu'on renforce ces idées. Enlevez les idées reçues et pouf ! La menace disparaît.

Et le concept porte bien son nom de "menace". Parce qu'elles mettent à mal les élèves, quels qu'ils soient. C'est ce qui explique que moins de femmes se dirigent vers les sciences et, inversement, moins d'hommes vont vers les professions où l'on prodigue des soins (enseignement, infirmiers, etc.). Encore pis, cette menace stéréotypée occasionne plus d'abandons dans les études supérieures chez les femmes et les minorités aux États-Unis.

S'en servir ou l'éliminer?

Faut-il lutter sans relâche contre les stéréotypes ? Cela semble relever du pur bon sens. Mais certaines personnes croient au contraire qu'il est possible de les utiliser pour obtenir de meilleurs résultats chez les personnes qui en sont victimes. C'est du moins l'avis de deux chercheuses qui, en 2013, ont fait des tests auprès des personnes âgées.

"Tout le monde sait" (attention, stéréotype en vue...) que les seniors ont une mémoire défaillante. Les chercheuses ont donc fait des tests avec des jeux de mémoire auprès de personnes du troisième âge. Elles étaient réparties en 4 groupes : 2 qui n'avaient pas subi la menace stéréotypée et 2 qui l'avaient éprouvée. En prenant un groupe de chaque catégorie, on a opté pour deux types d'incitatifs à réussir des exercices de mémorisation. Dans un test, les bonnes réponses donnaient droit à une petite somme alors que dans l'autre, on demandait aux personnes de verser la même somme à chaque mauvaise réponse. Étrangement, les personnes ayant été exposées aux stéréotypes avaient de meilleurs résultats lorsqu'elles risquaient de perdre l'argent de la cagnotte. Et à l'inverse, les personnes n'ayant pas été exposées aux stéréotypes avaient de meilleures résultats lorsqu'elles pouvaient gagner de l'argent.

La menace stéréotypée pourrait-elle servir d'incitatif négatif ? Peut-être, mais pour bien des spécialistes, il vaut mieux chercher à les éliminer. Et il y a moyen de le faire en évitant des vocables et phrases stéréotypées, en encourageant l'affirmation de soi, en fournissant des modèles aux élèves (ex. : femmes scientifiques, hommes infirmiers, docteurs ou maîtres étant issus des minorités visibles, etc.) et, pourquoi pas, en abordant franchement le sujet de la menace stéréotypée auprès des élèves. En affirmant sans relâche que ces idées largement partagées ne sont que des affirmations sans fondements, peut-être contribuerons-nous à leur faire perdre de leur force. Et ainsi, nous verrons possiblement dans un proche avenir une multiplication de championnes d'échecs…

Illustration : Aleutie, shutterstock

Références :

Anderson, Melissa J. "What Should Leaders Do About Stereotype Threat?" The Glass Hammer. Dernière mise à jour : 18 juillet 2014. http://www.theglasshammer.com/news/2014/07/18/what-should-leaders-do-about-stereotype-threat/.

Grewal, Daisy. "Are Girls Bad at Chess?" Scientific American. Dernière mise à jour : 15 avril 2014. http://www.scientificamerican.com/article/are-girls-bad-at-chess/.

Mercier, Noémi. "Comment rendre les filles bonnes en maths et les garçons sensibles." L'actualité. Dernière mise à jour : 10 octobre 2014. http://www.lactualite.com/societe/comment-rendre-les-filles-bonnes-en-maths-et-les-garcons-sensibles/.

Reducing Stereotype Threat. Consulté le 29 octobre 2014. http://www.reducingstereotypethreat.org/.

Willingham, Daniel. "What's behind stereotype threat?" Daniel Willingham. Dernière mise à jour : 11 novembre 2013. http://www.danielwillingham.com/daniel-willingham-science-and-education-blog/whats-behind-stereotype-threat.


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