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Publié le 13 octobre 2014 Mis à jour le 09 février 2023

Sus aux distractions en classe - Clay Shirky dégaine ses craies.

Face aux géants de l’Internet, le prof peut trouver des alliés : ses élèves.

Clay Shirky enseigne la théorie et la pratique des médias sociaux à l’Université de New York (NYU). Vraiment pas le genre à jouer au censeur de l’utilisation d’Internet. Pourtant, à cette session d’automne, à contrecoeur, il a demandé à ses étudiants de limiter leur usage des portables, tablettes et téléphones en classe.

Pourquoi ?

Depuis 1998 qu’il enseigne à propos d’Internet, il a toujours laissé ses étudiants en exploiter les capacités dans ses cours. Normal, le sujet en était Internet et quand son usage était pertinent c’était formidable. De plus, il considérait la présence de ces appareils comme un défi, il se devait d’être plus intéressant que les distractions potentielles qu'ils pouvaient engendrer. Il n’avait non plus aucune envie d’infantiliser ses étudiants adultes en gérant leurs temps.

Mais, en pratique, les effets de l’usage des technologies dans sa classe n’ont cessé de se dégrader. Cela ne tenait pas au contenu du cours, ni au type d’étudiants ou au professeur mais bien au fait que les appareils et leurs applications devenaient de plus en plus envahissantes et performantes.

Après quelques années il avait remarqué que lorsqu’il avait besoin de l’attention de tout le monde et qu’il demandait à tous de se débrancher, c’était comme une bouffée d’air frais. Le niveau de la conversation s’élevait et plus récemment, une sensation de soulagement de la part de plusieurs étudiants s'exprimait. Le multi-tâche devient épuisant à la longue et quand une occasion d’en sortir est proposée, elle est la bienvenue.

Aussi, cette année, il est passé d’une recommandation de «ne pas utiliser les portables et téléphones» à une exigence, à moins que ce soit spécifiquement demandé de les utiliser. «Permis à moins d’avis contraire» est devenu «banni à moins de demande contraire».

Les bonnes raisons

Le multi-tâche est peut-être bon pour la productivité dans certains contextes, mais est généralement désastreux pour le travail intellectuel, spécialement dans un contexte d’apprentissage. Même si ça ne parait pas toujours immédiatement, cela affecte la mémoire déclarative : «ce qu’ils avaient appris, ils ne s’en souviennent plus». Pire encore, cela donne l’impression d’être occupé alors que ce qui est censé être l’objet d’attention est pratiquement délaissé; mais on demeure satisfait du temps passé !  Bonjour la compétence.  Les multi-tâcheurs sont les champions de l’impertinence, incapables d’établir les priorités. (Plusieurs références documentant la chose dans l'article).

Le besoin de valorisation (regarde comme je suis bon) et la flatterie (comme ce que vous faites est extraordianire), sont des éléments de séduction de l’attention des usagers. On préfère rester avec ce qui nous valorise… ce qui mène aux réseaux sociaux, qui ne font que s’empiler et font de la distraction un moment de valorisation auquel le contenu d’un cours ne peut pas concurrencer émotionnellement. La vue, le son et le mouvement sont sollicités pour distraire et attiser la curiosité, une capacité bien active chez l’humain, surtout quand il s’agit de messages personnels.

Bref, ces raisons et d’autres sont devenues suffisantes pour cesser de faire compétition dans la classe avec des systèmes construits et financés pour autre chose que d’aider les étudiants à apprendre.  Ce n’est pas tant Internet et l’ordinateur qui sont en cause, ces outils peuvent être des formidables aides à l’apprentissage, mais plutôt que des systèmes et services commerciaux soient conçus pour distraire et accaparer l’attention en priorité et à tout moment.

Mais la raison qui a été le grain qui a fait pencher la balance est que l’écran lumineux agit à peu près comme la fumée secondaire des cigarettes : il distrait tous ceux qui sont à proximité. Ceux qui assistent à un cours à proximité de quelqu’un qui fait du multitâche réussissent moins bien qui ceux qui ne le voient pas.  C’est tout dire de l’effet contaminant de la distraction, ce qui confirmait ses observations personnelles d’un bilan négatif de l’usage continu des appareils connectés en classe.  Sachant cela, chaque personne devient imputable de la dégradation de l’ambiance de la classe.

Ajouté au fait que la moindre contrariété ou difficulté d’un étudiant est suffisante pour déclencher l’envie d’aller voir ce qui se passe sur son réseau, et d’y rester le temps que ça passe, et que cela fait boule de neige dans la classe, la décision devenait alors évidente.  Fini la connectivité auto-gérée par les étudiants.

On ne peut peut-être pas rivaliser avec FaceBook, mais à moyen terme il leur sera plus profitable de savoir comment la révolution médiatique s’est déployée que d’avoir eu les impressions de Alex à propos d’un tube de Rhianna.

Changement de perception

Ainsi le rôle de l’enseignant déborde du contenu et de la pédagogie pour s’étendre à l’environnement d’étude.  On a beaucoup parlé du nouveau rôle du professeur passant de l’enseignant à celui d’accompagnateur, de guide, mais il semble vouloir s’enrichir encore de la gestion de l’attention dans un environnement d’étude et, pour y arriver, ce sera avec les étudiants et non contre eux. Ceux qui veulent étudier et se concentrer se défendent dans un monde de plus en plus hostile à ce but. Dans la classe, ils vont gagner.

Clay Shirky a sorti ses craies et ses feutres et est prêt à se battre.
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Évidemment, on parle ici d’un contexte traditionnel (un prof devant un auditoire), mais dans ce contexte où l’attention est conventionnellement focalisée sur le sujet et le prof, toute distraction est évidemment indésirable. Alors, soit on apprend à les contenir, soit on les bannit.

Le point de vue de l’autre coté, celui des étudiants, est aussi intéressant. L’usage du téléphone entre les jambes, réponse initiale à une politique de bannissement des appareils et de l’aberration d’interrompre l’activité de toute une classe pour faire cesser la distraction de quelques uns, est aussi défendable, Tous ne peuvent pas être intéressés simultanément par le même sujet au même moment, ce qui peut être résolu avec les technologies et la personnalisation. 

Ce débat illustre l'incompatibilité de principe entre une forme d’éducation traditionnelle et l’usage des technologies de communication.
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Clay Shirky enseigne à la NYU, en tant que «Associate Arts Professor» au programme de télécommunications interactives et aussi en tant que professeur associé au «Berkman Center for Internet and Society» et a été un «Edward R. Murrow Visiting Lecturer» au «Harvard’s Joan Shorenstein Center on the Press, Politics, and Public Policy» en 2010.


Source

Why Clay Shirky Banned Laptops, Tablets and Phones from His Classroom, par Clay Shirky - Septembre 2014, PBS
http://www.pbs.org/mediashift/2014/09/why-clay-shirky-banned-laptops-tablets-and-phones-from-his-classroom/

Small breaks can ease distractions in class - Daniel Grzywacz · Daily Trojan - Septembre 2013
http://dailytrojan.com/2011/09/13/small-breaks-can-ease-distractions-in-class/

Illustration : Hye You - Daily Trojan


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