Pourquoi appelle t’on les premières années d’école «primaires» et les suivantes «secondaires» et «supérieures» ? Comme la plupart des gens, logiquement, on comprend que primaire vient avant secondaire et que supérieur est au dessus de ce qui précède. Mais la réalité du choix de ces mots est beaucoup plus riche.
Cette nomenclature date du Moyen-Âge, du temps de Charlemagne, et fait référence à la Grèce antique et à sa période classique, au moment ou la «paedeia» (éducation), à la source de la pédagogie et de l’encyclopédie, était définie comme l’idéal dans «l’apprentissage moral de la liberté et de la noblesse (ou beauté)», en opposition au simple apprentissage des savoirs-faire techniques et du commerce. Cette opposition est étonnamment bien vivante dans notre système éducatif actuel, ce qui nous amène à considérer que nous serions encore dans l’ère de la pédagogie classique.
Qu’est-ce que la pédagogie classique.
Que cette pédagogie ait résisté aux civilisations, aux révolutions, à l'universalisation et à des multiples transformations de la société et des méthodes d’enseignement tient à certaines de ses qualités fondamentales de logique et de souplesse.
L’éducation primaire classique comporte non pas l’apprentissage de la lecture mais celui des règles de la communication et de la pensée. Apprendre comment apprendre : grammaire et vocabulaire, logique (dialectique, raisonnement) et rhétorique (persuasion). Tout un programme «primaire» à recentrer ! Bien sur on y apprend à lire, à écrire, à compter, mais ce ne sont que des habiletés à mettre au service de l’éducation «primaire». À quoi bon former aux subtilités des sciences et de l’art si l'individu ne sait pas reconnaître les qualités des raisonnements qui en assoient les bases ? L’éducation primaire peut s’étirer bien au delà de 6 ans… mais l’éducation secondaire peut aussi commencer avant.
L'éducation secondaire comporte les connaissances des Sciences et l’Art. Au départ il s’agissait de l'astronomie, de l'arithmétique, de la musique et de la géométrie (le «quadrivium» quatre voies), et se basait sur les grands classiques grecs et romains. Aujourd’hui ce sont les principes des sciences et des arts que l’on enseigne, selon les priorités du moment en se basant sur les références les plus solides. D’où le rejet viscéral des théories créationistes et apparentées (superstitions) par le système éducatif classique. On forme à la vérité, pas aux arguments d’autorité ou de fatalité. Les sophismes sont systématiquement refusés dans la dialectique.
L’éducation supérieure comportait l’apprentissage de la profession visée, dans le meilleur état de l’art. Souvent cela consistait à prendre graduellement la place du maître. Dans un contexte où les connaissances se développent plus vite qu’il est possible de les enseigner, ce serait «l’esprit du maître» qu’il convient de transmettre dans la tradition classique. Qui sont les véritables maîtres aujourd’hui ? Les bonzes de la finance, des médias ou de la politique ? Les chefs d’entreprise ou d’organismes prestigieux ? Les chercheurs et les artistes pionniers ? On préfère parier sur les classiques, mais, qui sait, plusieurs de nos contemporains fourniraient d’excellentes histoires.
L’histoire comme ciment
Dans une éducation classique, l’histoire était le fil conducteur qui fournissait le sens et le contexte à tout ce qui était abordé. On apprenait la grammaire au travers des histoires, on y apprenait la logique à partir de la même histoire ou d’une autre, pour en découvrir le sens ou les rapports entre ses éléments, et on pouvait repasser la même histoire à la moulinette rhétorique et en discuter.
Même dans l’éducation «secondaire», l’histoire de la discipline est inscrite dans sa continuité et son développement; la plupart des grandes théories portent le nom de leur auteur,; par exemple, en mathématiques on trouve bien sur Pythagore et Ératosthène mais aussi des Lagrangiens et des Hamiltoniens. Avancer avec ces concepts sans connaître leur histoire ni leur contexte paraît à tout le moins un handicap dans l’enseignement classique. À voir la vigueur et l’intérêt du «story telling» dans l’enseignement, il comble visiblement un besoin de cohérence du système d’enseignement.
En principe, la pédagogie classique a tout pour plaire : approche cohérente, méthode ouverte et participative et intégration contextualisée...
En opposition
À la pédagogie classique, on en oppose des dizaines : constructivisme, cognitivisme, différenciée, explicite, Freinet, Montessori, etc… avec chacune leurs qualités et leurs limites. Mais face à elles «l’École», établie sur des fondements classiques jusque dans sa structure administrative et immobilière, parait désespérément statique. Mais pourtant elle s’adapte, mais sans renier ses principes.
D’autres approches d’apprentissage sont assurément possibles, mais essayer de les intégrer à la pédagogie, concept issu du classicisme, est vouée à l’échec, quasi par définition. Des espaces d’apprentissage différents de l’école et socialement acceptables dans lesquelles elles peuvent prospérer, à l’abri de la tutelle des autorités de l’école classique, sont pratiquement leurs seules alternatives de succès et c’est bien ce que l’on observe.
On est régulièrement confronté aux critiques de l’école «classique», ennuyante, compétitive, inégalitaire, autoritaire, etc. Toutes sont fondées sur les observations mais aucune ne tient aux principes mêmes de l’enseignement classique. Elles datent plutôt d'une conception fermée de la pédagogie classique, séparée du monde réel et finalement très peu «Socratique».
Vouloir enseigner les fondements avant les détails, privilégier la compréhension plutôt que la reproduction, intégrer un sens de la continuité, viser l’apprentissage moral avant l’accumulation matérielle… on assiste plus souvent qu’autrement à l’opposition fondamentale entre le matérialisme et l’idéalisme, entre les pragmatiques et les utopiques. On a besoin de tout le monde et nous sommes des êtres pensants qui influencent le monde matériel, pas seulement des êtres conditionnés. Au delà de ce point, la critique porte surtout sur l’organisation et le fonctionnement actuel de l’école, souvent éloignés de l’esprit classique. Les TIC, en favorisant la communication et les échanges, nous rapprochent plus qu'elles ne nous éloignent de la pédagogique classique.
L’esprit du classicisme, «l’apprentissage moral de la liberté et de la noblesse (ou beauté)» parait pouvoir s’accommoder d’internet aussi bien que du socio-constructivisme. Platon et Socrate y seraient tout à fait à l’aise, si seulement l’école était bien «classique».
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Image : Statue de PLaton à l'Académie d'Athènes - yoeml - ShutterStock
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