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Publié le 23 septembre 2014 Mis à jour le 23 septembre 2014

Le Japon et les MOOCs

Les MOOCs au Japon, par l'un des fondateurs du MOOC ITyPA

Lorsqu'ils s'intéressent aux MOOCs, les journalistes et veilleurs cherchent à savoir d'abord ce qui se passe aux Etats-Unis, puis dans leur propre pays. Rarement ailleurs. Pourtant, le phénomène touche un grand nombre de pays, répartis dans différentes aires culturelles. Des initiatives voient le jour dans les pays arabes, en Turquie, en Inde et bien sûr en Extrême-Orient. Nous avons déjà évoqué la stratégie de la Chine pour tenir sa place dans la bataille des MOOCs. Qu'en est-il du Japon, pays dont la culture excerce une certaine fascination sur les Occidentaux ?

Nous avons posé la question à Morgan Magnin, professeur d’informatique à l’Ecole Centrale de Nantes. Depuis juin 2014, il est accueilli en tant que chercheur invité à la JSPS (équivalent du CNRS) de Tokyo, au Japon.

En 2012, Morgan Magnin fut l’un des co-créateurs d’ITyPA, premier MOOC produit en France. Récemment, il signalait sur Twitter qu’un ouvrage était paru au Japon sur le sujet des MOOCs. Les Japonais sont-ils mooqueurs ? Si oui, quelles plateformes utilisent-ils et dans quelles langues étudient-ils ? Y a t-il dans ce pays une stratégie publique nationale de création de MOOCs, comme en France par exemple ?

Morgan a bien voulu répondre à toutes ces questions et à quelques autres, lors d’une interview réalisée via Skype car hélas, je ne me suis pas rendue au Japon pour le rencontrer.


Depuis quand les Japonais s’intéressent-ils aux MOOCs ?

C’est assez récent, depuis le début de l’année 2013, environ. On constate donc un petit décalage temporel entre l’explosion du phénomène dans le monde anglo-saxon, aux Etats-Unis en particulier, et la réaction locale. C’est sensiblement le même schéma qu’en France.


Et donc, les MOOCs sont-ils devenus un phénomène de mode aussi… massif que dans certains autres pays ?

Non, pas du tout. On en parle, quelques ouvrages sur le sujet ont été publiés, des plateformes existent, mais il ne s’agit pas d’un buzz word aussi évident qu’aux USA ou dans les pays européens. Le nombre d’inscrits est encore assez modeste, autour de 100 ou 200 000 probablement (désolé de ne pas être plus précis, mais je n'ai pas vu de synthèse des chiffres avancés sur les différentes plateformes), et je n’ai encore pas rencontré personnellement qui que ce soit ici qui ait suivi un MOOC.


Diriez-vous alors que les MOOCs sont regardés avec un intérêt limité et qu’ils ne vont pas durer au Japon ?

Ah non, je ne dirais pas ça. Je dirais que les MOOCs vont s’installer, offrant des opportunités supplémentaires pour étudier et de se former tout au long de la vie.

Il faut savoir que les Japonais sont friands d’apprentissage et sont bien équipés pour cela.

Ils lisent énormément, partout. Et pas seulement des mangas, comme on le croit trop souvent en Occident. Il y a dans les villes japonaises, de nombreux cafés dans lesquels les gens s’installent pour lire pendant plusieurs heures. C’est un phénomène fréquent aux Etats-Unis par exemple, mais pas si répandu en France. Les librairies sont très fréquentées et proposent un choix d’ouvrages impressionnant. Dans les bibliothèques, les livres tournent beaucoup.

La télévision publique japonaise, NHK, dispose de programmes éducatifs depuis 1959 et d’une chaîne dédiée depuis 1989, qui produit environ 10 000 émissions par an. On peut par exemple y suivre des cours pour apprendre plusieurs langues étrangères, dont le français; les cours sont accompagnés de petits fascicules qu’on achète en librairie. On peut aussi y suivre des conférence TED suivies d’un débat, ou encore s’intéresser à des programmes de développement professionnel.

On constate également que les sciences dans leur ensemble constituent un domaine bien couvert dans la presse quotidienne.

Bref, les Japonais sont résolument entrés dans l’âge de la formation tout au long de la vie. Les MOOCs apparaissent donc comme un élément supplémentaire dans un paysage déjà bien structuré. Mais on ne leur attribue pas ici le rôle de “révolutionner l’éducation”, pas du tout.

 

Les Japonais fréquentent-ils les grandes plateformes de MOOC américaines ?

Très peu, et d’abord pour une question de langue. Les Japonais maîtrisent assez mal l’anglais dans leur ensemble, y compris dans les milieux intellectuels. La situation est assez comparable à celle de la France à ce niveau.  Dans une récente enquête, plus de 60 % des répondants avaient d’ailleurs cité l’anglais comme principal obstacle à leur participation à un MOOC.

Mais la question linguistique est la partie la plus visible d’une problématique plus vaste, celle qui touche à la culture nationale. On peut certes s’inscrire à un MOOC de management dispensé par une université américaine. Rien ne dit pourtant que ce que l’on apprendra sera adapté à sa situation locale. Le management en France, aux Etats-Unis, au Japon, sont des réalités totalement différentes.

 

Il existe donc des plateformes de MOOC japonaises ?

Oui, il y en a plusieurs.

Voici Schoo, qui se présente comme un “web campus” et qui propose déjà près de 200 cours. Schoo est une société privée créée au début de l’année 2012. En 2013, les fondateurs ont levé plus d'1,5 million de dollars. ils visaient 1 million d’inscrits à la fin 2013 mais je ne sais pas s‘ils ont atteint leur objectif (à la mi-2013, il n’y avait “que” 40 000 inscrits).

 

 

En avril 2014, NTT DOCOMO, le principal opérateur mobile japonais, a lui aussi créé sa plateforme de MOOCs, appelée gacco, que vous voyez ici. Les créateurs de gacco insistent beaucoup sur le fait que la plateforme ne distribue que des MOOCs en japonais et donc adopte un positionnement régional, pour satisfaire les besoins de formation des Japonais mais aussi de tous ceux qui, dans les autres pays asiatiques, entretiennent des liens avec le Japon. gacco, qui a bénéficié de moyens importants, a très vite rencontré son public. En juin 2014 (soit 3 mois après son ouverture), elle comptait déjà plus de 50 000 inscrits.

gacco et deux autres plateformes : Open Learning Japan et OUJMooc (qui propose des cours de japonais pour débutants) sont référencées sur le portail national JMOOC, animé par le Japan Open Online Education Promotion Council, qui regroupe des universités et des industriels japonais.

 

 

Sur quoi portent les MOOCs japonais ?

Globalement, sur les mêmes sujets que leurs équivalents occidentaux : la gestion de projet, les statistiques, le management, les big data, l’histoire… Partout dans le monde, les gens cherchent à compléter leurs connaissances sur des sujets similaires. Mais on ne traite pas ces problématiques partout de la même façon…

 

À vous entendre, on dirait que le Japon a développé une stratégie très locale de MOOC. Or, on sait que ces produits jouent un rôle essentiel dans les stratégies de déploiement international des universités, partout dans le monde. Les Britanniques et les Américains s’efforcent d’intéresser les Indiens et les Chinois, les Français et, dans une moindre mesure, les Québécois ambitionnent d’élargir leur audience au Maghreb et en Afrique subsaharienne… Le Japon n’aurait-il donc aucune ambition de rayonnement international pour ses universités ?

Disons plutôt qu’il a développé une stratégie propre. Comme je le mentionnais plus haut, le Japon a d’abord une stratégie de rayonnement régional avec ses MOOCs, ce qui concerne quand même plusieurs milliards de personnes de langues asiatiques ! Mais les universités japonaises cherchent évidemment, comme les autres, à attirer les talents internationaux.

Pour cette raison, certaines universités japonaises diffusent des MOOCs en anglais sur les plateformes américaines. L’Université de Kyoto par exemple, a distribué un MOOC de chimie sur EdX. Cette université a offert des bourses d’études au Japon aux trois participants ayant obtenu les meilleurs résultats aux tests finaux, et des voyages d’étude d’une semaine aux cinq qui ont obtenu les meilleurs résultats à mi-parcours !  C’est ce qu’on appelle savoir motiver les étudiants !

Plus globalement, les universités japonaises font d’importants efforts pour attirer des étudiants et chercheurs étrangers et j’ai moi-même bénéficié de cette politique d’ouverture. Evidemment, il est recommandé d’apprendre le japonais pour mieux comprendre la culture et le milieu professionnel. Je ne regrette pas du tout le temps que j'y consacre. Séjourner près d’un an ici constitue pour moi une belle expérience.

Retrouvez Morgan Magnin sur Twitter, il y poste très régulièrement des informations sur sa vie japonaise : https://twitter.com/morgan_it

Son blog : http://morganmagnin.net/ 

 
 
Références :
 
 
Schoo, plateforme de MOOCs : http://schoo.jp/guest
 
gacco, plateforme de MOOCs : http://gacco.org/
 
JMOOC, portail national présentant les MOOCs de trois plateformes : http://www.jmooc.jp/en/about/

Aoki, Mizhuo. "Online courses: Collegiate equalizer?" The Japan Times. 28 octobre 2013. http://www.japantimes.co.jp/news/2013/10/28/reference/online-courses-collegiate-equalizer/#.VBriFi5_vaZ.
 
MOOC today. "Free trips to Japan for MOOC participation." 2 novembre 2013. http://mooctoday.wordpress.com/2013/11/02/free-trips-to-japan-for-mooc-participation/

Illustrations :
En-tête : photo prise par Morgan Magnin, avec son aimable autorisation
Corps de texte, 1 : Aurelio Asiain, Flickr, licence CC BY-NC-SA
Corps de texte, 2 : capture d'écran de la page d'accueil de schoo.jp
Corps de texte, 3 : capture d'écran de la page d'accueil de gacco.org
Corps de texte, 4 : cpature d'écran de jmooc.jp
corps de texte, 5 : Morgan Magnin au Japon. Avec son aimable autorisation. 


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