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Publié le 27 avril 2014 Mis à jour le 27 avril 2014

Médias et sciences : attention aux approximations

L'aspiration à la popularité des uns et la recherche du scoop des autres brouillent les relations entre recherche scientifique et médias, au détriment de la vérité

Les médias généralistes remplissent une fonction essentielle d'information dans tous les domaines, y compris dans les domaines scientifiques. Ces derniers ont besoin de la presse pur faire connaître et vulgariser leurs recherches et découvertes. 

Le public tient pour acquis que ce qui est diffusé dans les médias est de l'information vérifiée, vraie à 100 %. Pourtant, l'histoire récente nous montre qu'il y a, malheureusement, des dérapages dans la médiatisation. Dans un univers où l'information devient spectacle et où le sensationnel fait vendre, il n'est pas étonnant de voir la science être mise en pâture... au risque de la décrédibiliser.

La supposée neutralité des scientifiques

La mission d'animation des agrobiosciences (MAA, France) s'est intéressée aux relations complexes entre médias et sciences. Elle propose un dossier publié en janvier 2013 où sont exposées quelques dérives médiatiques. À l'époque de sa rédaction, c'est l'affaire Séralini qui suscitait la polémique. En septembre 2012, le chercheur Gilles-Éric Séralini fournit à quelques agences de presse les résultats d'une recherche qu'il aurait menée sur une vingtaine de groupe de rats qui auraient consommé des OGM (organismes génétiquement modifiés) et qui auraient développé des tumeurs.

Pas besoin de plus pour que les journaux affirment que les OGM provoquent des tumeurs. Sauf que la communauté scientifique a vite sourcillé en voyant les études du professeur Séralini. L'échantillon était trop petit et les arguments justifiant les tumeurs des rats étaient contestables. Sans compter que dans la foulée, le chercheur a publié un livre anti-OGM, montrant à tous qu'il avait un grand parti pris sur ce sujet.

Cette histoire permet de mettre le doigt sur un problème réel. Nous avons l'impression que journalistes et scientifiques sont des professions neutres qui doivent seulement être au service de la vérité. Or, la réalité, c'est que ces deux professions subissent des pressions et répondent à des impératifs. Et parfois, même les plus « neutres » tombent dans la partialité. Cet article le montre. Il traite d'une émission de radio scientifique, généralement reconnue pour sa rigueur, qui a fait preuve de complaisance lorsque les panélistes ont abordé le sujet controversé de la Pluie jaune qui a tué des centaines de Hmong au Vietnam.

Des habitudes à prendre pour les médias

L'information - spectacle est à elle seule une source de confusion. Les patrons aiment les effets-chocs qui suscitent le lectorat et les journalistes sont conduits à faire des raccourcis. C'est, par exemple, ce qui explique que pendant des années, on a parlé à tort de « réchauffement climatique » au lieu de « changements climatiques ». Pourquoi? Parce que, comme l'explique Jean-Baptiste Comby dans le dossier de la MAA, le phénomène du "réchauffement" s'illustre plus facilement que celui du "changement". Quelques filtres rouges, des thermomètres qui explosent, des images de terre desséchée... et le tour est joué. Le problème est que dès que surviennent des tempêtes de neige à répétition ou des vagues de froid historiques, les climato-sceptiques crient à la supercherie du « réchauffement ». Pourtant, les scientifiques savent que cette météo extrême est justement la preuve de changements climatiques importants.

Autre problème dans les médias, le traitement des nouvelles courtes en science. Combien de fois avons-nous des articles affirmant que le « chocolat noir est bon contre le cancer » ou que « boire un verre de vin rouge par jour diminue les chances de maladies cardio-vasculaires »? Or, bien souvent, ces brèves sortent sans explication ou nuances qui tempèrent les affirmations, analysent les études, etc. Et puis, que dire quand une étude contredit les dizaines d'autres sorties auparavant sur un sujet ? Doit-on la considérer comme meilleure parce que plus récente ? Comme l'explique Yves Gingras, spécialiste de l'histoire et de la sociopolitique des sciences, au Conseil de presse du Québec, « un "pour" n'égale pas un "contre" » en sciences. Cela signifie seulement que pour la première fois, une étude se dissocie du consensus.

Quand une brève scientifique sort sur les fils de presse, les journalistes devraient la mettre en contexte, la faire vérifier par des experts. Il est fort probable qu'ils ne puissent contredire ou la confirmer à sa simple lecture, mais ils pourraient répondre à des questions sur la méthodologie, les possibles biais, l'applicabilité des découvertes, son impact sur l'ensemble de la recherche, etc. Enfin, comme l'a montré l'affaire Séralini, les médias et journalistes ne devraient jamais accepter d'embargo sur la publication et l'impossibilité de contre-vérification avant d'en publier les résultats.

Une communication sans intermédiaire

Les journalistes sous-estiment grandement l'effet de ces articles et brèves qui, souvent, concernent la santé ou l'environnement du public. Malheureusement, le lectorat ne fera pas le travail de contre-vérification. Bien souvent, d'ailleurs, il reste campé sur ses positions. Cela a pour conséquence d'empoisonner le débat sur les sites scientifiques en ligne. Ce qui a conduit certains d'entre eux à supprimer la section commentaires pour éviter les trolls.

Mais comme l'affirme cet article, n'est-il pas contre-productif pour ces publications de ne pas donner la chance au public d'échanger sur des sujets scientifiques? Les blogues et les sites Internet permettent un réel échange entre chercheurs et citoyens sans intermédiaire. D'ailleurs, sans bouder les médias, ils marquent peut-être la prochaine étape pour les scientifiques : communiquer directement avec les gens pour mieux faire comprendre ce qu'ils font et qu'une véritable discussion puisse avoir lieu. Une idée folle ? Pas du tout. C'est d'ailleurs ce à quoi travaille le CNRS en France depuis 2013 afin de sortir les chercheurs de leur tour d'ivoire et que les Français comprennent davantage la recherche scientifique.

Illustration : Nikita G. Sidorov, shutterstock

Références :

Mission d'animation des Agrobiosciences. "Chercheurs et médias généralistes : des relations controversées." Dernière mise à jour : 21 janvier 2013. http://www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=3488.

Intranet du CNRS. "Entretien avec Marc Lipinski." Dernière mise à jour : 1er mars 2013. http://intranet.cnrs.fr/intranet/actus/130222-marc-lipinski.html.

Lapointe, Pascal. "Comment combattre les trolls en science." Agence Science-Presse. Dernière mise à jour : 26 septembre 2013. http://www.sciencepresse.qc.ca/blogue/2013/09/26/comment-combattre-trolls-science.

Magazine du CPQ. "Science et médias: dialogue de sourds?" Conseil de presse du Québec. Dernière mise à jour : 17 mai 2013. http://conseildepresse.qc.ca/actualites/chroniques/science-et-medias-dialogue-de-sourds-2/.

Reflets. "Science subtilement colonialiste : Radiolab, les Hmong et la Pluie Jaune." Dernière mise à jour : 20 mars 2014. http://reflets.info/science-subtilement-colonialiste-radiolab-les-hmong-et-la-pluie-jaune/.


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