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Publié le 22 avril 2014 Mis à jour le 22 avril 2014

Dimension sociale de la FAD : beaucoup de bruit pour rien ?

Et si finalement, l'apprenant appréciait la solitude et l'indépendance qui lui offre la FAD ? Un rapport canadien va contre les idées reçues.

En mars 2014, le REFAD a publié un rapport écrit par M. Jean Loisier, intitulé "La socialisation des étudiants en FAD au Canada francophone". Ce volumineux document (165 pages, annexes incluses) décrit avec un grand niveau de précision les différentes acceptations de ce que l'on entend par "socialisation", les modalités de formation à distance et leur potentiel de socialisation, puis les différentes facettes de la socialisation des étudiants qui suivent de la formation à distance au secondaire, au collégial et à l'université dans plusieurs institutions canadiennes francophones. 

Pour mener à bien son considérable travail, M. Loisier a interrogé plus de 140 éducateurs à distance par voie de questionnaire et a mené 26 entretiens approfondis avec des responsables de formation à distance. Curieusement, alors qu'il s'agissait bien de traiter de la socialisation des étudiants, il n'en a rencontré aucun. 

On ne s'attendra donc pas à connaître l'avis des étudiants sur l'importance de la dimension sociale dans leur parcours de formation. En revanche, on recueillera dans ce rapport de précieuses informations sur la manière dont les enseignants, tuteurs et responsables de formation considèrent la dimension sociale de l'apprentissage à distance, et ce qu'ils perçoivent de l'activité sociale de leurs étudiants en ligne. 

 

J'apprends seul et j'aime ça !

Et à ce niveau, la surprise est de taille. Du moins, pour celle ou celui qui se fie au discours désormais très commun sur la FAD, qui valorise systématiquement la composante sociale de la formation en ligne, les communautés de pratique, le socioconstructivisme, le connectivisme et le social learning dans son ensemble. Car la réalité, au Canada francophone, est tout autre.

D'abord, les cours sont majoritairement linéaires (cours papier ou filmés + activités prescrites n'offrant pas de latitude de choix aux apprenants) ou médiatisés, c'est à dire scénarisés pour être distribués sur plateforme, mais conçus comme devant être utilisés en autonomie. Comme le dit Jean Loisier, ce sont des cours "autoportants", qui ne réclament aucune ressource complémentaire et peuvent être suivis par un apprenant seul. Les classes inversées et le travail collaboratif sont quasiment absents de la FAD secondaire, un peu plus présents au collégial, et prennent une part significative (bien que minoritaire) au niveau universitaire.

Ensuite, les enseignants et tuteurs sont pour le moins sceptiques sur l'efficacité des mesures d'accompagnement des apprenants, censées "réduire l'isolement" et "soutenir la motivation". Ils constatent que ceux qui sollicitent le plus les tuteurs par exemple, sont ceux qui n'en n'ont pas vraiment besoin... L'appel au tutorat apparaît alors plus comme un signe de motivation qu'un indice de difficulté ou de démotivation. 

Non qu'enseignants et tuteurs ne connaissent et reconnaissent les thèses actuelles sur la valeur de l'apprentissage social; ils en conviennent volontiers mais une part significative d'entre eux estime que leur mode de fonctionnement, le temps dont ils disposent pour mener leurs formations, les spécificités de leurs apprenants, la taille des groupes... ne permettent pas d'en explorer les mérites.

On notera également que si les institutions qui offrent exclusivement de la formation en ligne soignent l'accueil des nouveaux inscrits, les autres doivent encore faire des efforts importants pour les considérer comme des étudiants ordinaires. Là encore, les initiatives visant à donner aux apprenants à distance un sentiment d'appartenance à l'institution ne sont pas toujours concluantes. 

Enfin et surtout, les répondants estiment que les apprenants ne sont pas, dans leur immense majorité, en demande de socialisation. Plusieurs citent des apprenants soulignant le fait qu'ils sont là pour réussir le cours, pas pour se faire des amis ou avoir des échanges. Ils estiment que ces personnes disposent d'un niveau satisfaisant de socialisation dans leur vie quotidienne, qu'ils n'ont pas besoin de plus.

 

Culture francophone en péril ?

Jean Loisier partage manifestement cette opinion. Ce faisant, il rappelle les avantages de la formation en ligne, adaptable à chacun, pouvant être suivie depuis n'importe où et à son rythme, sans être soumis aux contraintes de la formation en groupe synchrone comme dans la formation en présence. Il pointe cependant un élément qui fait réfléchir : c'est l'offre de formation qui a permis à la culture francophone de perdurer au Canada. Partout dans le pays, des communautés francophones se créent autour des lieux d'enseignement et de pratique du français. Ces lieux sont maintenant doublés (voire remplacés, pour certains) par des espaces de formation en ligne. Qu'adviendra t-il de la culture francophone si la dimension sociale de l'apprentissage n'y existe pas ?

Quelles que soient les raisons, parfaitement légitimes, qui justifient leur attitude, on s'étonnera qu'une proportion aussi importante des personnes interrogées émette tant de réserves sur l'intérêt de la dimension sociale pour les apprentissages. Non pas pour "briser l'isolement" ni même essentiellement pour "maintenir la motivation" des apprenants, mais bien pour améliorer, renforcer les apprentissages réalisés. Car la dimension expérientielle de l'apprentissage en renforce la profondeur. 

 

La dimension expérientielle de l'apprentissage

Cette dimension expérientielle collective, c'est celle que cherchent et parfois créent des Mooqueurs de plus en plus nombreux autour du monde. Comme on le lit dans un article récemment publié sur le site BBC News, les lieux de rencontre entre participants au même MOOC se mulitplient. Ces espaces sont aménagés dans des établissements culturels ou d'enseignement et offrent des services supplémentaires : mentorat, rencontre d'experts ou de professionnels, entraînement au transfert des acquis. Ils peuvent également être créés à l'initiative des Mooqueurs eux-mêmes, qui investissent un lieu public pour le plaisir de se rencontrer de de débattre des apprentissages en cours. Et on s'en doute, le pourcentage de participants à ces rencontres qui complètent leur MOOC est infiniment supérieur à celui des apprenants entièrement en ligne. 

Le journaliste termine son article avec cette formule frappante : "Les étudiants voudront-ils toujours se rencontrer et discuter, même s'ils étudient en ligne ? Les MOOCs finiront-ils par créer leurs propres collèges et universités ?"

Bien entendu, les inscrits aux formations académiques diplômantes dans les institutions concernées par l'enquête de M. Loisier et les Mooqueurs évoqués dans l'article de BBC News ont peu de points communs, sinon d'étudier en ligne. Les dispositifs de formation, les attendus et les enjeux associés sont très différents. Mais il s'agit dans les deux cas d'apprentissage à distance, et de mise en place de stratégies visant à améliorer la rentabilité et la durabilité de l'effort consenti. N'y a t-il pas des voies intéressantes à explorer dans un renforcement de la socialisation qui n'iraient pas jusqu'à faire disparaître les avantages de la distance pour des apprenants dispersés sur de larges territoires, mais qui introduiraient une certaine dose d'interaction et de confrontation aux autres dans des parcours sans surprises ? 

Références :

Loisier, Jean. "La socialisation des étudiants en FAD au Canada francophone." REFAD | Réseau d'enseignement francophone à distance. Mars 2014. http://www.refad.ca/wp-content/uploads/2014/04/Guide_sur_la_socialisation_en_FAD.pdf.

Coughlan, Sean. "Online students can't help being sociable." BBC News. 8 avril 2014. http://www.bbc.com/news/business-26925463.

Illustration : Luti, shutterstock.com



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