L'être humain a eu toujours la manie de classer : animaux, végétaux, minéraux et, aussi, ses congénères. Il a développé des indicateurs pour dénicher qui sont les individus qui possèdent un potentiel et ceux qui en sont dépourvus. Pendant un bon bout de temps, il ne jurait que par le test de quotient intellectuel pour y arriver.
Toutefois, il y a près de 20 ans, Daniel Goleman publiait un ouvrage sur un nouveau type d'intelligence qui n'était pas lié aux connaissances ou à la logique. Le terme « intelligence émotionnelle » apparaissait. L'hypothèse du chercheur était que les humains empathiques, capables de prendre en compte leurs émotions et celles des autres, étaient plus « intelligents » que des gens avec des QI élevés.
Ridiculisée à ses débuts, l'intelligence émotionnelle est devenue aujourd'hui un élément considéré primordial par les « spécialistes de la réussite ». Que ce soit pour la carrière ou pour réussir à l'école, l'intelligence émotionnelle d'un individu serait un pilier essentiel. Étant des êtres plus émotionnels que rationnels, il semble en effet que les humains qui maîtrisent les émotions ont un avantage certain sur les autres. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant de voir la promotion de l'éducation émotionnelle afin d'élever le QE (quotient émotionnel) des jeunes.
Moyen de manipulation
Mais dernièrement, un article publié dans l'hebdomadaire Atlantic a remis en cause les supposées vertus de l'intelligence émotionnelle. En effet, l'auteur de l'article cite quelques études qui dénoncent ce qui se cache derrière l'entraînement de l'intelligence émotionnelle. Ses partisans affirment que le développement systématique du QE chez les individus finira par changer la société, dans le sens d'un accroissement de la coopération et de l'empathie. Or, il semblerait que l'on aboutisse en fait à un effet exactement inverse.
Les gens avec un fort QE seraient des manipulateurs hors pair, arrivant à susciter la sympathie et l'adhésion à leur cause. Certes, des leaders pour les droits civils comme le docteur Martin Luther King s'en son servis pour de justes causes. Cependant, d'autres avaient aussi ce don inégalé pour soulever l'émotion des foules en suspendant leur jugement critique comme un certain Adolf Hitler... Stéphane Côté, un psychologue de l'Université de Toronto, aurait d'ailleurs observé dans une étude appelée le « The Jekyll and Hyde of emotional intelligence » que les personnes les plus machiavéliques dans les milieux de travail sont celles ayant un très haut quotient émotionnel, capables de manipuler les autres pour parvenir à leurs fins.
Et puis, contrairement à ce que soutiennent certains, Le QE n'est pas le sésame pour l'ensemble des métiers. Des chercheurs de Floride soulignent que dans les postes nécessitant une grande concentration pour, par exemple, analyser des données ou faire de la réparation, cette intelligence exacerbée serait même contre-productive puisqu'une attention excessive aux personnes distrairait le travailleur de sa tâche.
ON s'en doute, la même étude montre qu'il s'agit d'un atout non négligeable pour tous ceux qui ont à travailler avec le public. Les conseillers, les représentants de commerce, les employés au service à la clientèle ont tous intérêt à posséder un QE élevé.
L'intelligence émotionnelle n'est donc pas un pouvoir magique qui amènerait les hommes à mieux travailler ensemble. Au contraire, elle peut être un spectaculaire levier de manipulation. Tout comme le QI, le QE a son côté obscur. Développer le "goût des autres" et l'empathie est certes nécessaires, tout comme le fait de savoir quand s'arrêter et laisser à chacun son libre arbitre.
Illustration : Mopic, shutterstock
Références :
Cassely, Jean-Laurent. "Le côté obscur de l’intelligence émotionnelle." Slate.fr. Dernière mise à jour : 5 janvier 2014. http://www.slate.fr/life/81891/cote-obscur-intelligence-emotionnelle.
Claeys Bouuaert, Michel. "L’éducation émotionnelle: un outil concret pour l’école." Éducation Émotionnelle. Dernière mise à jour : 15 octobre 2013. http://www.education-emotionnelle.com/articles/leducation-emotionnelle-un-outil-concret-pour-lecole/.
Grant, Adam. "The Dark Side of Emotional Intelligence." The Atlantic. Dernière mise à jour : 2 janvier 2014. http://www.theatlantic.com/health/archive/2014/01/the-dark-side-of-emotional-intelligence/282720/.
Williams, Ray. "The biggest predictor of career success? Not skills or education — but emotional intelligence." Financial Post. Dernière mise à jour : 1er janvier 2014. http://business.financialpost.com/2014/01/01/the-biggest-predictor-of-career-success-not-skills-or-education-but-emotional-intelligence/.
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