Un temps, les adultes ont regardé de haut Facebook et Twitter (dans une moindre mesure) qui trouvaient inquiétant que leurs petites têtes blondes passent du temps là-dessus; amais ujourd'hui, ce sont bien eux qui monopolisent les deux réseaux. Conséquemment, Facebook, et un peu Twitter sont désertés par les jeunes qui ont l'impression d'avoir perdu leur lieu de socialisation.
Mais il ne fallut pas longtemps pour que ceux-ci trouvent un coin du Web beaucoup plus excitant. En 2010, en Lettonie, un site appelé Ask.fm voit le jour. Il s'agit d'un réseau particulier. Les membres se créent un compte et répondent à des questions posées par des questionneurs anonymes ou identifiés. Le site, plutôt méconnu des parents, est devenu en juin 2013 le troisième réseau social sur lequel les ados français passent le plus de temps.
Le grand frisson du cyberespace
Comme les adultes n'ont pas investi ce coin du Far Web, le niveau de « discussion » y est très trash. Amateurs de bon goût et d'orthographe impeccable, au revoir. Ici, les jeunes utilisent un langage cru et posent des questions directes sur la sexualité des autres, leur apparence physique, leur famille, etc. Les insultes sont monnaie courante et bien qu'il y ait une cinquantaine de modérateurs chez Ask.fm, ce n'est pas suffisant pour modérer les 30 millions de questions qui sont mises en ligne quotidiennement sur le réseau qui est devenu le 10e le plus populaire au monde l'an dernier.
Pour les adolescents, c'est enfin l'occasion de vivre le grand frisson en ligne. Sans aucun adulte pour juger les propos, ils peuvent expérimenter leur envie de se mettre en vedette. Car voilà la finalité d'Ask.fm pour bien des ados : vérifier ce que les autres pensent d'eux. Évidemment, un tel exercice amène son lot de dérapages qui ne sont pas jolis à voir. Allant des insultes physiques jusqu'à pousser un abonné à se suicider, ça joue dur sur le réseau.
Et si les usagers ont, en général, une magnifique répartie pour les personnes haineuses ou sont passés maîtres dans l'art de les ignorer, des personnalités plus fragiles pourront commettre des actes irréparables. C'est d'ailleurs arrivé en Grande-Bretagne durant l'été 2013.
Un coin de rébellion nécessaire?
Il serait facile de crier au scandale et exiger la fermeture du site. Or, malgré tous ses défauts, il y a tout de même quelque chose de très intéressant et logique dans la popularité d'Ask, selon des observateurs. Les ados jouent à cache-cache avec l'exposition publique. C'est-à-dire qu'ils souhaitent susciter des commentaires chez leurs camarades de classe ou les gens de leur âge, mais ils ne veulent surtout pas que les adultes s'en mêlent.
Les jeunes ne foncent pas tête baissée dans tous les panneaux et il leur arrive de ne pas répondre à certaines questions. Ils établissent des limites sans l'aide de personne, ce qui est rassurant pour les observateurs. Il n'est toutefois pas conseillé à tous de s'y inscrire. Il faut être fait fort pour survivre sur ce réseau. Plusieurs adolescents n'osent d'ailleurs pas entrer dans le jeu. Ils ne font que lire les réponses et questionner anonymement les autres.
Quant à ceux qui songent à l'élimination du site, ils devraient savoir que cette solution extrême ne changerait rien. Le Web étant ce qu'il est, les adolescents trouveraient, voire inventeraient, une autre formule de la sorte. Le site en lui-même est une extension de ce qu'ils font déjà par texto, Skype ou autres moyens de communication. Mais ici, les échanges reçoivent une certaine publicité et des centaines de jeunes y participent.
Évidemment, cela ne veut pas dire qu'il faille fermer les yeux et tout laisser aller dans ce « lieu nécessaire de rébellion ». Il serait souhaitable qu'il y ait plus de modérateurs et que la modération y soit beaucoup plus stricte. Les administrateurs ont d'ailleurs affirmé vouloir aller dans cette direction après les tragiques histoires de suicide dans la dernière année.
Les adolescents ont donc trouvé en Ask.fm un lieu où ils peuvent se laisser aller à l'abri du regard parental. Il sera d'ailleurs intéressant de voir leur réactions et la viabilité de ce site dans le futur, maintenant que le phénomène commence à être traité dans les grands médias. Les jeunes y resteront-ils ou plongeront-ils plus loin dans le Far Web pour satisfaire leur côté sombre ?
Illustration : NLshop , shutterstock
Références :
AFP. "Le site ask.fm dans le collimateur après le suicide d'une ado britannique." MidiLibre.fr. Dernière mise à jour : 8 août 2013. http://www.midilibre.fr/2013/08/08/le-site-ask-fm-dans-le-collimateur-apres-le-suicide-d-une-ado-britannique,743738.php.
Ask.fm. Consulté le 27 février 2014. http://ask.fm/.
Belot, Laure. "Ask.fm affole les ados en quête de cyber-frissons." Le Monde.fr. Dernière mise à jour : 3 juin 2013. http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/06/03/ask-fm-affole-les-ados-en-quete-de-cyber-frissons_3422791_3224.html.
Menrath, Joëlle. "ask.fm, le réseau social que les adultes ignorent." Fédération Française des Télécoms. Dernière mise à jour : 19 décembre 2013. http://www.fftelecoms.org/articles/askfm-le-reseau-social-que-les-adultes-ignorent.
Roberge, Alexandre. "Pour les ados, Facebook ça craint!" Thot Cursus. Dernière mise à jour : 12 février 2014. http://cursus.edu/dossiers-articles/articles/21269/pour-les-ados-facebook-craint/#.UxPKkON5Png.
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