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Publié le 19 novembre 2013 Mis à jour le 19 novembre 2013

Privatisation de l'enseignement en Afrique : jusqu'où ?

Les écoles privées fleurissent dans tous les pays d'Afrique. Au bénéfice ou au détriment des familles ?

Il est bien loin, le temps de l’école gratuite pour tous. Un slogan que les politiques nous ont servi à toutes les soupes jusqu'à une époque pas très lointaine. À l’heure où tout semble avoir acquis une valeur marchande et où l’accès à l’éducation devient (à nouveau) un privilège, il serait peut-être opportun de s’intéresser de plus près à la place qu’occupe ce nouveau « marché » dans les pays en développement, en Afrique notamment. Ainsi, où en est le business de l’éducation en Afrique ? Petit état des lieux de la marchandisation de l’éducation dans un continent en pleine mutation.

 

Un business éducatif décomplexé

Gaston Bachelard ne semblait pas si bien le dire : « il faut mettre la société au service de l’école et non pas l’école au service de la société  ». Cependant, vu la prolifération des établissements (primaires, secondaires et universitaires) et autres écoles de formations dans les pays d’Afrique (subsaharienne francophone, notamment) l’on est bien forcé de croire que cette maxime n'est plus d’actualité aujourd’hui. Car, le constat est amer. Les écoles privées poussent dans les grandes villes de ces pays comme des champignons. Un phénomène favorisé notamment par la libéralisation de ce secteur observée dans certains Etats au début des années 1990.

Comme l’affirme le politologue Luc Ngwe,aujourd’hui « l’éducation tend à remplacer le café et le cacao d’hier en tant qu’activité marchande » dans le cas d’un pays comme le Cameroun par exemple. Et les autres pays de la sous-région ne semblent pas faire exception.

Une situation renforcée par l’absence d’une règlementation claire au niveau de chaque pays qui au final, favorise la construction tous azimuts d’établissements scolaires et qui profitent bien évidemment à certains, au détriment des autres.

 

Mais à qui cela profite-t-il réellement ?

D’après Luc Ngwe, « cette libéralisation s’apparente davantage à une marchandisation à la petite semaine pour des profits individuels des promoteurs ». Car, à y regarder de plus près, cette tendance à une marchandisation à outrance ne semble effectivement profiter qu’à une poignée d’individus, du secteur privé en l’occurrence. Car la montée de l'enseignement privé ne relève pas du hasard. Il semble d’ailleurs être devenu « un acteur incontournable de la scène éducative de la région […] » si tant il est vrai qu’ « au cours de la dernière décennie le nombre d’enfants scolarisés dans le privé a augmenté » comme le souligne (pdf) Rohen d’Aiglepierre.

Toutefois, si le secteur privé, en dépit des nombreuses controverses qu’il suscite, peut se targuer de jouir d’une meilleure réputation que le secteur public, ce ne serait que pur truisme de reconnaitre que les coûts élevés des formations qui y sont proposées, tout en n’étant déjà pas à la portée de tous, ne sont pas non plus toujours un gage de qualité. Et même si des études montrent « une plus grande efficience des établissements éducatifs privés, les preuves empiriques sont encore limitées et des recherches poussées s’avèrent nécessaires dans le contexte spécifique de l’Afrique subsaharienne ». (D’Aiglepierre, 2013). Et ce contexte particulier « annonce bien des problèmes sociétaux à venir ».

 

Une réalité aux conséquences nombreuses et variées

Les effets de ce phénomène se font d’ailleurs déjà ressentir jusqu’à des niveaux que l’on n’imagine pas toujours. La marchandisation de l’enseignement à tous ses niveaux, contribue à renforcer les inégalités sociales, notamment en matière d’accès à l’éducation. L’école, censée être accessible à tous (ne serait-ce que le primaire) s’apparente de plus en plus à un luxe. Les coûts des formations n’étant pas toujours à la portée des parents modestes, cela fait de l’enseignement privé l’apanage d’enfants de personnes de condition sociale aisée. Plus préoccupant encore, les familes modestes se saignent aux quatre veines pour offrir le privé à leurs enfants, écoeurés par les nombreux jours non travaillés et la surcharge des classes dans le public. L'éducation est bien entendue comme un investissement dans ce que les familles ont de plus précieux : leurs enfants. Ceux qui utilisent cette aspiration à des fins purement mercantiles, c'est à dire sans assurer la qualité éducative face à au sacrifice financier, n'ont pas de quoi être fiers. 

Ainsi, bien que « la scolarisation des enfants progresse notablement dans le monde et aussi dans les pays à faible revenu et qu’au cours de la dernière décennie, le nombre d’enfants non scolarisés a chuté de 106 à 68 millions ndlr », comme le souligne (pdf) l’Institut International de Planification de l’Education de l’Unesco dans son rapport 2012, « la scolarisation universelle est loin d’être atteinte, surtout pour les plus pauvres ». 

Faut-il se plaindre ou se réjouir de l'irrésistible ascension du secteur privé éducatif en Afrique ? Au de là de tout, le plus important serait d’agir pour faciliter l'accès de tous à une éducation de qualité. Car l'investissement qui n'est pas fait aujourd'hui risque de se transformer en dette insoutenable demain. 

Références :

1. D’Aiglepierre, Rohen in L’enseignement privé en Afrique subsaharienne : enjeux, situations et perspectives de partenariats public-privé, Une publication de l’Agence Française de Développement (collection A Savoir), Août 2013. Lien : http://www.afd.fr/webdav/shared/PUBLICATIONS/RECHERCHE/Scientifiques/A-savoir/22-A-Savoir.pdf

2. Ngwe, Luc in Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé - Professionnalisation de l’enseignement supérieur, business et problèmes annoncés, un dossier de Germinal Newspaper, 10  juin 2012. Lien : http://germinalnewspaper.com/index.php?option=com_content&view=article&id=278%3Acoordonne-par-fabien-eboussi-boulaga-mathias-eric-owona-nguini-et-je%E2%80%A6&limitstart=24

3. D’Aiglepierre, Rohen in L’enseignement privé : un atout pour l’Afrique subsaharienne ? Ideas4development, 27 septembre 2013. Lien : ideas4development.org/enseignement-prive-atout-afrique-subsaharienne/

4. Panapress in Vifs débats à Bamako sur le rôle de l’école privée en Afrique ; Panapress, 20… 2007 Lien : http://www.panapress.com/Vifs-debats-a-Bamako-sur-le-role-de-l-ecole-privee-en-Afrique--12-648457-58-lang3-index.html

5. Institut International de Planification de l’Education de l’Unesco, Rapport 2012. Lien : http://www.iiep.unesco.org/fileadmin/user_upload/Info_Services_Publications/pdf/2012/Contribution3_Offre_priv%C3%A9e_Ed_base.pdf

6. Banque Mondiale, Faire de l’enseignement supérieur un atout pour la compétitivité de l’Afrique, Communiqué de presse, 23 avril 2010. Lien : http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/PAYSEXTN/AFRICAINFRENCHEXT/0,,contentMDK:22564460~pagePK:146736~piPK:226340~theSitePK:488775,00.html

Illustration : World Bank Photo Collection via photopin cc


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