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Publié le 11 novembre 2013 Mis à jour le 13 avril 2023

L'attention, ça se cultive

Comment cultiver une capacité indispensable à la vie sociale et aux apprentissages.

En 2011, Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche dans l’équipe « Dynamique cérébrale et cognition » du Centre de recherche en neurosciences de Lyon, a publié un ouvrage intitulé Le cerveau attentif - Contrôle, maîtrise et lâchez-prise aux Editions Odile Jacob. Cet ouvrage constituait la première synthèse disponible en français sur les avancées des neurosciences cognitives sur le phénomène de l'attention, qu'on a trop souvent tendance à rapporter à une "simple" question de volonté, c'est à dire à un phénomène psychologique.

Deux types d'attention

Or, l'attention a bel et bien des fondements neurolobiologiques. J. P. Lachaux nous apprend qu'il faut distinguer en réalité entre deux processus qui génèrent de l'attention : 

- Un processus automatique très rapide, qui permet de réagir sur-le-champ à des stimuli de notre environnement en évaluant, de manière largement inconsciente, l'importance d'une information. Ce processus automatique se construit avec le temps et est étalonné sur notre circuit de récompense. C'est grâce à ce processus que nous allons sans y réfléchir vers ce qui est le meilleur pour nous : par exemple, que nous nous dirigeons automatiquement vers la file d'attente la plus courte devant les caisses d'un magasin, ou que l'odeur du chocolat nous pousse à ralentir devant une certaine boutique... Mais c'est grâce à ce processus également que nous reculons devant une voiture qui s'avance à vive allure, alors même que nous sommes perdus dans nos pensées. Les opérations cognitives conditionnant ces comportements se réalisent en quelques nanosecondes. Grâce à ces évaluations des données hyper rapide, nous prenons plus de 6 000 décisions par jours qui, heureusement pour nous, sont principalement inconscientes ! Le siège du processus automatique de l'attention se situe à l'arrière du cerveau.

- Un processus conscient d'attention, appelé le système exécutif. C'est ce que l'on appelle "l'attention" à proprement parler, la capacité que nous avons à filtrer les informations et à contrôler notre comportement en fonction des micro-objectifs que nous nous assignons. Le système exécutif mémorise nos associations et stabilise notre attention en déclenchant l'activation de certains neurones. Par exemple, quand nous nous engageons dans la lecture d'un article important pout notre travail plutôt que d'aller traîner sur Facebook, nous activons notre système exécutif, localisé plutôt à l'avant du cerveau. Le système exécutif travaille lentement, les prises de décision se réalisent en un tiers de seconde en moyenne. 

Mais hélas, le système exécutif n'est pas sans faille. D'une part, des éléments tels que le stress ou la fatigue l'affaiblissent; nous nous laissons alors guider par le système de récompense et fonctionnons plus en mode automatique. 

D'autre part, le système exécutif doit en permanence établir une hiérarchie entre nos différents objectifs : terminer la lecture de l'article, aller boire un verre d'eau, regarder les photos de vacances de Marie-Louise sur Facebook, décider quelle tenue on portera le lendemain, etc. Pour que notre attention se focalise une tâche, il faut alors que le processus de choix devienne conscient, que nous établissions nous-même une hiérarchie et nous fixions de micro-objectifs. 

 

Alors, le multitâche, finalement ? ...

Ces deux fonctionnements distincts expliquent que l'on puisse considérer le multitâche comme une calamité ou au contraire comme une performance. 

Le "mauvais multitâche", nous explique Jean-Philippe Lachaux, consiste à se mettre en pilotage automatique et à se laisser entraîner d'une récompense à l'autre, pour ainsi dire. Dans un environnement enrichi tel que le nôtre, dans lequel les objets technologiques mettent constamment à notre portée une foule d'expériences liées au circuit de récompense, le conflit cognitif entre système exécutif et processus automatique est particulièrement fort. 

Le "bon multitâche" est celui qui se base sur l'analyse des tâches : on repère le niveau d'attention que nécessite la réalisation d'une tâche donnée et on fait autre chose dans les "blancs", les moments où cette tâche s'exécute pour ainsi dire toute seule. L'exemple le plus simple est celui de la préparation d'un repas. Pendant que l'on coupe menu les légumes avec un couteau à la lame aiguisée, il est risqué de se lancer simultanément dans une autre tâche. Mais quand le plat mijote sur le fourneau réglé à la bonne température, il serait stupide de rester focalisé sur la hauteur de la flamme, et l'on peut alors s'engager dans autre chose. 

Bien entendu, certaines tâches nécessite un plus haut niveau d'attention que d'autres. Ce niveau diffère en partie d'une personne à l'autre. Le cerveau construit en effet des "cartes de saillance", qui permettent d'accorder plus d'importance à ce qui est nouveau ou associé à un risque, et moins à ce qui est devenu routinier. 

Mais l'économie de l'attention n'est pas toute entière conditionnée par l'expérience. Certaines tâches réclament une attention particulière, pour tout le monde. Ainsi en est-il de l'imagination. Cette activité neuronale est particulièrement élevée, et très irrégulière : l'attention soutenue et constante n'est pas un exercice facile pour notre cerveau. 

Ne pas exiger autant d'attention d'un enfant que d'un adulte

De plus, nous ne sommes pas tous égaux devant l'attention. La principale inégalité réside entre les enfants et les adultes. En effet, le cerveau évolue avec l'âge. Tout petit, l'enfant a beaucoup de diffculté à canaliser son attention, car son système exécutif n'est pas encore mature. par conséquent, un rien les distrait. L'attention n'est donc pas seulement une affaire de volonté, mais aussi de maturité neurobiologique. 

Et il serait illusoire de penser qu'une fois adulte, nous maîtrisons totalement notre attention. Nous ne la domptons pas, mais nous pouvons l'apprivoiser, dit joliment Jean-Philippe Lachaux. Pour cela, une meilleure compréhension de ce qui se passe dans notre cerveau peut s'avérer utile, avant d'apprendre à se protéger de la distraction, et de faire croître peu à peu notre durée de concentration. 

Apprivoiser son attention

Dans cet perspective, s'entraîner à se fixer des micro-objectifs (à l'horizon de 5 ou 10 minutes) s'avère plutôt productif. Ce qui passe par un découpage de la tâche en unités traitables dans le temps imparti : lire une page, écrire deux phrases, apprendre 5 verbes irréguliers... une fois l'objectif atteint, il ne faut pas oublier de se récompenser avant de passer à l'étape suivante.

Une autre piste d'entraînement est fournie par la méditation : il s'agit de focaliser son attention sur un élément (sa respiration, une lecture, etc.) puis de repérer le moment où l'esprit commence à s'évader. A ce moment, faire une pause, identifier ce à quoi l'on pensait, puis refocaliser son attention sur le premier élément, et ainsi de suite. 

Quand on en a la possibilité, travailler son attention à deux est également intéressant. En classe par exemple, on peut faire réaliser une tâche alternativement par un puis l'autre enfant, sachant que celui qui ne réalise pas vérifie ensuite la qualité de la réalisation de son camarade. 

Et répétons-le, les enfants n'ont pas les mêmes capacités d'attention que les adultes, neurologiquement parlant. Pour eux encore plus que pour nous il est essentiel d'aménager un environnement facilitant la focalisation de l'attention, notamment en classe. Ce qui passe par des changements fréquents d'activités, l'alternance d'activités routinière et d'activités sollicitant fortement l'attention, l'étalement des apprentissages sur 5 ou 6 jours de la semaine, selon Vania Herbillon, psychologue-neuropsychologue qui s'exprimait dans une émission de France Culture consacrée à l'attention.

Le cerveau est un organe terriblement complexe, rappellent les neurobiologistes; il ne fonctionne pas sur le mode "une cause - un effet". Au contraire, de multiples zones sont mobilisées pour la moindre opération. Nous connaissons mieux désormais les mécanismes qui pilotent nos capacités d'attention. À nous de les faire fructifier, et de ne pas leur demander l'impossible. 


Références :

France Culture . "Notre attention est-elle maîtrisable ?" Science publique. 27 mai 2011. http://www.franceculture.fr/emission-science-publique-10-11-notre-attention-est-elle-maitrisable-2011-05-27.

Lachaux, Jean-Philippe. "Le Cerveau attentif." Odile Jacob Ed.,2011. http://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neurosciences/cerveau-attentif_9782738126047.php

Le blog de la liberté scolaire. "L'attention, c'est dans la tête. Mais qu'en disent les neurosciences ?" 4 septembre 2011. http://www.liberte-scolaire.com/notes-de-lecture/l%E2%80%99attention-c%E2%80%99est-dans-la-tete-%E2%80%93-mais-qu%E2%80%99en-disent-les-neurosciences/.

UniversciencesTV. "Le circuit de la récompense." YouTube. 12 mars 2012. http://www.youtube.com/watch?v=8IBnn0MV4Z4.

Illustration : Gow27, Shutterstock.com


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