Dans le rapport «La structuration de la filière du numérique éducatif : un enjeu pédagogique et industriel» publié en juillet 2013 par le Ministère de l’éducation nationale, en collaboration avec quatre autres ministères, on examine en détail l’état de l’éducation numérique, son potentiel et les obstacles à son développement. On y énonce des recommandations générales, comme tout bon rapport.
Des motivations hétérogènes
Au fil de ses 61 pages et de ses 27 propositions, on réalise à quel point la situation parait confuse et que des conceptions s’affrontent et se télescopent. L’intention de ce rapport est d’abord économique : on parle de centaines de milliers d’emplois et de milliards d’euros. Ensuite elle est politique : la France ne figure pas à l’avant-garde en ce qui concerne l’éducation numérique et ceci peut faire l’objet d’un programme politique. D’un autre coté, la logique pédagogique opère selon d’autres critères, d’autres valeurs, d’autres principes et ses intentions paraissent éloignées des attentes normales d’une industrie.
S’il n’en tenait qu’à l’économie, on ne donnerait pas beaucoup de cours en dehors de ce qui rapporte. Mais ce n’est pas le cas et on le comprend dans ce rapport.
S’il n’en tenait qu’à la politique, tout serait centralisé entre les mains des serviteurs de l’état en un système cohérent et gérable. C’est ce que ce rapport propose en somme, sous des apparences de souplesse.
Au niveau pédagogique, on sait que l’efficacité optimale est obtenue quand les instances locales disposent d’une grande autonomie, ce que visiblement on ignore, volontairement ou non, dans les ministères, y compris celui de l’éducation.
Enfin, la philosophie d’Internet de pouvoir individuel est assez incompatible avec les approches coordonnées et centralisées proposées. Dans Internet, ce qui peut être centralisé est le service, la fonction plébécisée; ce qui est décentralisé est l’utilisation, l’orientation, le contrôle de ce qu’on fait avec.
Pourtant on énonce dans un scénario que :
«En particulier, l’État renoncerait à organiser le marché et structurer l’offre via la mise en place d’un système d’indexation ou d’un catalogue de ressources, considérant que de tels catalogues existent déjà (par exemple l’App Store d’Apple) et que l’effort de structuration du marché par les pouvoirs publics se traduirait essentiellement par des coûts et des délais supplémentaires».
On ne peut mieux dire, mais ce n’est pas l’approche finalement préconisée dans le rapport.
Audace est devenu un mot étranger en politique
Globalement, la mise en oeuvre d’une politique basée sur des recommandations de contrôle et de normalisation n’augure rien de bon tant qu’on ne touche pas à la forme même du contrôle centralisé. On souhaite fédérer les acteurs, mais ce sont les acteurs qui doivent se fédérer. On souhaite centraliser l’offre, la normer, l’encadrer alors que presque par définition cette offre créative sera toujours foisonnante, surprenante, dynamique et déstabilisante pour un système centralisé.
Ce rapport parait rigoureux et professionnel, mais il a été conçu par des gens qui subissent les transformations et non par ceux qui les initient. Si les aspects économiques sont bien cernés, les dynamiques à l’oeuvre ne semblent pas très bien comprises et entrent en contradiction avec les principes d’une gouvernance traditionnelle, spécialement en éducation, aussi fortement centralisée qu'en France.
Pour l'instant, tout rapport qui sortira de ce ministère préconisera apparemment le statu quo au niveau de la gouvernance et de ce fait sera incompatible avec le succès d'une politique numérique.
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