La problématique des traces numériques laissées par les candidats à un poste et de leur éventuelle exploitation par les recruteurs alimentent les débats des chercheurs. Un colloque intitulé «Traces numériques et recutement» s'est d'ailleurs tenu en octobre 2011 en France. Un projet de thèse en SIC (Sciences de l'information et de la communication) est en outre actuellement mené par le journaliste et doctorant Hadi Saba Hayon sur le thème des «traces numériques, discriminations et recrutement».
Les chasseurs de traces
Une récente étude menée par la Maison de l'Emploi de Bordeaux auprès de 222 employeurs indique que plus de la moitié des recruteurs (55%) effectuent une recherche en ligne pour se renseigner sur les candidats, notamment dans le secteur du tertiaire. Selon les résultats publiés dans la synthèse, «Le premier motif de recherche est la confirmation des informations mentionnées dans le Curriculum Vitae. Les recruteurs vérifient la cohérence des profils. La tenue d'un blog ou la participation à des groupes de discussions sont autant de preuves de l'implication du candidat sur son domaine de compétences [...] Les employeurs [étant] également en quête d'illustrations, de réalisations telles que des publications, un "book" en ligne ou des articles de presse». 33 % des répondants déclarent enfin avoir déjà écarté un candidat suite à des traces négatives trouvées sur les réseaux numériques.
Ce constat qui demande à être confirmé par d'autres études plus étendues semble néanmoins indiquer une tendance des RH à collecter les «traces internautiques» relatives à l'individu postulant. Ce faisant, le recruteur selon A. Monseigne et B. Galinon-Mélénec, «va "redocumentariser" l'individu, c'est-à-dire produire un "métadocument" - un document, synthèse de documents numériques ou non - résultant d'informations issues de documents d'origine et d'intentions différentes». L'analyse de ces traces ou du moins leur interprétation donne au final «autant à voir du côté de l'individu tracé que du côté de l'individu interprétant» précisent les deux auteures. Puisque toute maîtrise réelle des traces semble illusoire car soumises au traitement algorithmique des plateformes, Camille Alloing préconise «de réfléchir à une approche proactive de la mise en scène de soi sur le web».
Les quatre piliers de la sagesse numérique
Dans un récent entretien, Olivier Ertzscheid, revient également sur la notion d'identité numérique à l'occasion de la publication chez openedition.org d'un ouvrage électronique consacré à cette problématique (mise à jour de la version imprimée 2011 Identité numérique et e-réputation). Dans cet entretien, l'enseignant chercheur invite à son tour les usagers du web à être le plus proactifs possible et prodigue quelques conseils utiles en matière de «sagesse numérique» : protéger et réserver son nom, s’impliquer en ligne en créant du contenu, définir son périmètre de confidentialité, effectuer une veille sur soi.
Cette stratégie volontariste peut s'inscrire dans un véritable projet de développement d'une présence numérique. Dans certaines filières (secteur tertiaire, métiers de la communication et des médias, métiers du web et du numérique) il apparaît logique et nécessaire de laisser des traces visibles (blog, profils Twitter, Viadéo ou LinkedIn, CV DoYouBuzz) à destination des recruteurs afin que ces derniers puissent jauger la valeur réelle des compétences professionnelles des candidats.
« Didactiser la trace »
Au plan pédagogique, de nombreuses séquences ont été menées en information documentation par les professeurs documentalistes en France autour des notions de « présence numérique » et de « connaissance de l'environnement numérique » comme le précise le site Doc pour Docs. Un tableau collaboratif Pinterest a été également créé pour déposer et/ou exploiter des fiches séances sur l'identité et la présence numérique. Sur son blog relation, transformation, partage, Richard Peirano publie plusieurs billets de présentation d'un cours consacré aux traces numériques en classe de seconde, partant du principe qu'il convient « de passer d’une pédagogie de la peur à une pédagogie de la présence ». Ce cours s'articule autour de 4 grands axes : construction de la notion de trace et de profil, élaboration d'un personnage fictif à partir de traces contrôlées, l'environnement juridique, le cadre juridique de la communication. La suite logique du cours, selon Richard Peirano, va dans le sens d'un accompagnement de l'élève « dans la construction de son portfolio d’apprentissage et de compétence et dans l’analyse de ses pratiques scolaires ».
Sources
ERTZSCHEID, Olivier.
Qu’est-ce que l’identité numérique ? Enjeux, outils, méthodologies [en ligne]. OpenEdition Press, 2013. [Consulté le 12 octobre 2013]. Disponible à l’adresse :
http://books.openedition.org/oep/332
MONSEIGNE Annick, GALINON-MÉLÉNEC Béatrice. La sémiotique des « signes-traces » appliquée au recrutement: le cas de la recherche du « bon candidat » via les traces numériques. Communication & Organisation. 30 mai 2012. Vol. n° 39, n° 1, pp. 111‑124.
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