Publié le 24 septembre 2013 Mis à jour le 24 septembre 2013
Dans bien des contextes, et notamment dans nombre de grandes entreprises disposant de fonds conséquents pour l'achat de leurs produits et prestations de formation, l'e-learning souffre d'une image déplorable.
Ceci, parce que longtemps les modules de formation que l'on appelle "sur étagère" (ie : prêts à l'emploi, comme l'est un manuel imprimé par exemple) ont pêché par excès de simplicité, voire de simplisme.
Peut-être avez-vous déjà subi un module de formation en ligne sur étagère consacré au management ou au développement du leadership ; sans doute avez-vous constaté que votre réflexion n'y est pas souvent mise à contribution. C'est le règne du oui / non, du noir / blanc, du 0 / 1. Même camouflée sous des éléments contextuels faits pour détourner votre attention, LA bonne solution se trouve toujours quelque part. Étonnez-vous alors que les salariés préfèrent les formations en présentiel, dans lesquelles ils peuvent jongler avec toutes les nuances et les hypothèses de cas complexes, au travers des discussions avec leurs pairs et le formateur.
Ce type de produit de formation à distance est totalement déconnecté de la réalité, où l'incertitude et la prise de risque règnent en maîtres. De plus, les options qui se présentent au travailleur ne sont qu'exceptionnellement "bonnes" ou "mauvaises" à 100 % : on peut faire un choix discutable au départ et se rattrapper ensuite; à l'inverse, on peut prendre une décision pertinente au départ et ensuite acumuler les erreurs... avant de se redresser et de parvenir à son but.
Ce qui est en cause dans ces modules prêts à l'emploi, c'est leur scénario, l'histoire qu'ils racontent. En musclant et complexifiant le scénario, on devrait pouvoir se rapprocher de la réalité et provoquer de l'engagement chez les apprenants.
C'est ce à quoi s'est essayée Cathy Moore, à l'occasion d'une commande pour l'armée américaine : dans le cadre d'un dispositif hybride de formation, il s'agissait de proposer un module à faire chez soi, puis d'en débattre en classe. Le tout prenait place dans un cours d'interculturalité dispensé à des soldats avant leur départ pour l'Afghanistan.
Le module de formation est librement accessible à cette adresse : http://www.worldwarfighter.com/hajikamal/activity/. Si vous connaissez l'anglais, n'hésitez pas à le réaliser, et même plusieurs fois. Vous constaterez que plusieurs choix sont possibles, qu'il n'existe pas une solution et une seule, ni un seul type d'erreur, mais que tout est rattrappable. Et vous comprendrez que vous êtes face non pas à un scénario linéaire, mais à un scénario arborescent, dans lequel les branches se croisent ou s'écartent selon les choix que vous avez effectués.
Vous constaterez que la médiatisation est minime; il s'agit d'une suite de plans fixes sur les personnages organisés dans une page découpée en cases, comme une bande dessinée. Pas de bulles ici, mais du son qui permet de développer des argumentaires sophistiqués. A la fin de chaque séquence, il vous est demandé de faire un choix parmi trois possibilités, ce qui conditionne la suite du parcours. Pour corser l'expérience, C. Moore a ajouté deux difficultés dans le parcours :
- À un moment donné, le personnage principal ne suit pas vos conseils. Il prend une décision qui provoque des problèmes, et c'est à vous de rattrapper la situation.
- À un autre, vous êtes sommé de justifier votre prise de position. Si vous vous contentez d'un argumentaire faible, vous serez dirigé dans une mauvaise direction. Au contraire, si vous optezpour un argumentaire développé, vous irez alors dans une bonne direction.
Tout cela suffit-il à faire de cette séquence un excellent produit de formation ? Non, selon Cathy Moore. Elle insiste longuement sur le fait que chacun des arguments utilisés dans la séquence en ligne est extrait de débats qui se sont réellement tenus, en présence, dans le groupe d'apprenants. De plus, la situation de départ (la préparation d'une discussion entre un soldat fraîchement arrivé sur le terrain d'opérations et un leader local) est directement inspirée d'une situation réelle.
Cet effort de réalisme a payé : 70 % des apprenants ayant suivi la séquence jusqu'au bout en ont parlé le lendemain en classe, poursuivant le débat.
Évidemment, un tel scénario ne se construit pas en 5 minutes sur un coin de table. C. Moore estime qu'il lui a fallu de 20 à 40 heures pour le composer, sans compter le temps nécessaire au recueil des informations initiales ni celui de la médiatisation. Mais le jeu en valait la chandelle, dans la mesure où la séquence a provoqué un fort engagement chez les apprenants et a stimulé leur réflexion ultérieure.
Cet exemple, réalisé pour une population particulière (des soldats devant rejoindre leur terrain d'opérations), est sans aucun doute adaptable à bien d'autres contextes dès lors qu'il s'agit de prendre des décisions successives. La création d'un scénario arborescent ancré dans la réalité réclame certes un effort et des compétences pointues chez le concepteur e-learning. Il doit donc y avoir des arbitrages budgétaires. Mais la qualité du scénario conditionne l'impact du cours en ligne : un scénario proche de la réalité (et donc, de sa complexité) et responsabilisant pour l'apprenant vaut mille fois mieux qu'un produit esthétiquement séduisant mais au scénario infantilisant.
Références :
"Connect with Haji Kamal." Consulté le 24 septembre 2013. http://www.worldwarfighter.com/hajikamal/activity/.
Moore, Cathy. "Elearning example: Branching scenario for US Army." Training design ideas from Cathy Moore. 3 mai 2010. http://blog.cathy-moore.com/2010/05/elearning-example-branching-scenario/.
Illustration : Ecran d'accueil du module "Connect with Haji Kamal".
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