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Publié le 22 juillet 2013 Mis à jour le 22 juillet 2013

Le business de la musique vivante

Les festivals musicaux se succèdent pendant tout l'été, mais les concerts qui s'y déroulent ressemblent parfois plus à des produits industriels qu'à des créations authentiques

Cultiver et se cultiver : dans les deux cas, il s'agit de faire parvenir jusqu'à maturité des produits, agricoles ou culturels, et de s'en nourrir.  

Mais la culture, qu'elle serve à nourrir notre corps ou notre esprit, s'est fortement industrialisée; aujourd'hui, il s'agit moins de cultiver des champs et des esprits, que de faire consommer des produits agricoles ou culturels, le plus vite possible et à moindre coût. L'indistrie agro-alimentaire et l'industrie cuturelle se retrouvent donc main dans la main face à des consommateurs qui apprécient modérément qu'on les prenne pour des vaches à lait.

La musique est la forme artistique qui mérite sans doute la première place parmi les fameuses industries culturelles, devant le cinéma. Lors de l'invention du gramophone, les mélomanes craignaient que le public ne déserte les salles de concert. Il n'en fut rien, mais une industrie florissante voyait le jour, basée sur la diffusion de microssilllons, de cassettes et d'une infinité de produits destinés à entretenir le désir des fans pour leurs idoles. La numérisation des morceraux de musique et, partant, leur reproductibilité à l'identique et à l'infini, laisse moribond un secteur d'activité qui devait sa fortune au contrôle de la rareté d'accès aux oeuvres. Pourtant, du microssillon aux fichiers MP3, on repère toujours la même préoccupation : produire le plus possible pour le moins cher possible, et donc avec les marges les plus grandes. Mais la généralisation des magnétophones enregistreurs et surtout des ordinateurs, de l'accès à Internet et des applications de téléchargement ont fait s'échapper le génie de la bouteille, chaque amateur de musique disposant désormais de la capacité à obtenir les morceaux qui lui plaisent, sans passer par un distributeur. 

 

Concerts et festivals, les nouvelles machines à cash de l'industrie musicale

Il faut donc réinventer le modèle économique de l'industrie musicale. Les optimistes ont vu dans la révolution numérique une belle opportunité de rapprocher les artistes de leurs publics, notamment au travers de la musique vivante, les concerts et festivals. Mais l'industrie n'a pas dit son dernier mot et est bien décidée à ne pas laisser filer cette manne. 

Comme les enregistrements, les concerts sont désormais soumis à un rigoureux process de production qu'on pourrait qualifier d'industriel. L'artiste est la matière première, et tout ce qui l'entoure (la salle, la scénographie, le programme, l'événement dans lequel prend place le concert, la communication, les vidéos...) n'a qu'un seul but, augmenter sa valeur, de manière à attirer un public solvable et nombreux.

Et lorsque les industriels du concert rencontrent des responsables municipaux en mal d'événements susceptibles d'attirer les touristes jusque dans leurs murs, cela donne des festivals par centaines dans lesquels se produisent, à côté d'artistes garantis sincères et véritables, quelques bêtes de scène en tournée mondiale, qui vont remporter la mise.

300 festivals par été en Suisse. Près de 2500 en France. Une centaine rien que dans la ville de Montréal, tout au long de l'année. La tendance est partout à l'inflation des festivals, la France ayant inspiré la plupart des autres pays européens. Dans cette énorme masse d'événements, la musique se taille la part du lion, en tant que forme artistique la plus diversifiée et donc susceptible de satisfaire toutes sortes de publics, mais aussi en tant qu'industrie parfaitement rodée, capable de fournir clé en main aussi bien un pianiste classique qu'un groupe de metal ou un DJ star pour animer une folle nuit électro, partout où des gens sont prêts à payer pour les écouter.

Car la programmation des festivals ne doit rien au hasard, et bien peu finalement au sens artistique des organisateurs. Les tourneurs et agents sont là pour proposer leurs poulains. Les artistes internationaux vont de festival en festival, les têtes d'affiche assurant l'audience, et donc le succès commercial de l'entreprise. Ce qui s'avère indispensable en ces temps de crise et de diminution (ou de disparition) des subsides publics. Et les artistes ne rechigent pas à arpenter les scènes du monde entier, puisque les ventes de leurs albums ne leur rapportent presque plus rien. On l'aura compris, la part de la programmation croît sans cesse dans le budget des festivals et si les organisateurs restent parfois avec des dettes plein les bras lorsque la fête est finie, les producteurs des artistes, eux, s'en tirent plutôt bien.

 

Des artistes vendus comme des produits

A cet égard, l'infographie publiée en tout début d'été sur le site du Huffington Post France est significative : on y voit la place relative des artistes les uns par rapport aux autres, selon le nombre de festivals dans lesquels ils se produiront entre juin et septembre. Tous les genres musicaux ne sont pas traités avec la même attention (le classique est absent et le jazz, sous-représenté) mais on repère néanmoins des artistes phares, des origines et des styles qui se taillent la part du lion. 

Mais la transformation de l'artiste en produit ne s'arrête pas au remplissage de son emploi du temps. Qu'ils fassent le tour des festivals sur une territoire donné ou de produisent lors d'un concert unique, les artistes doivent fournir une prestation calibrée, parfois jusqu'à l'extrême. En effet, leur agent veille : le nombre de morceaux et de rappels, le nombre de photos de l'artiste en scène et le choix des supports sur lesquels ces dernières seront publiées, l'heure et la durée des répétitions et de la balance... tout est prévu dans les moindres détails. Vous aussi, avez sans doute déjà vécu cette expérience : vous avez pris vos places trois mois avant la date du concert, vous arrivez avec deux heures d'avance et attendez en plein soleil pour avoir une chance d'apercevoir l'artiste autrement que sur les écrans géants, vous vous époumonnez, vous tapez dans vos mains en même temps que 5 000 autres personnes, et vous voyez votre héros qui file en coulisses sans un merci ni un signe de la main sitôt le dernier morceau du set principal achevé, car son contrat ne prévoit pas de rappel. Expérience amère ? Expérience de l'industrie de la musique vivante, tout simplement. 

Si la généralisation de l'accès à Internet et le téléchargement systématique ont achevé le modèle économique de l'industrie musicale enregistrée, c'est que ce dernier avait déjà été bien ébranlé par l'avidité des majors n'hésitant pas à publier la huitième compilation d'un artiste vieillissant plutôt que de signer avec de jeunes talents. Pour ces industriels et ceux qui suivent le même raisonnement qu'eux, le spectacle vivant semble être devenu une nouvelle poule aux oeufs d'or. Attention à ne pas le vider de tout ce qui fait son originalité et pousse le public à s'y presser : l'authenticité, l'accueil de l'inattendu, le plaisir d'être là, cette merveilleuse synchronisation entre un artiste et son public. 

RÉFÉRENCES :

Bommelaer, Claire. "Les festivals à l'assaut de l'été." Le Figaro. 13 mai 2013. http://www.lefigaro.fr/musique/2013/06/13/03006-20130613ARTFIG00368-les-festivals-a-l-assaut-de-l-ete.php?cmtpage=0.

"Ville de Montréal Culture Festivals et événements." Consulté le 22 juillet 2013. http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=1576,1745252&_dad=portal&_schema=PORTAL.

Toninato, Aurélie. "Fêtes et festivals, les modèles économiques gagnants." Largeur.com. 13 juillet 2010. http://www.largeur.com/?p=3191.

Kristanadjaja, Gurvan, Brice Miclet. "Festivals de l'été : D'où viennent les artistes ?" Le Huffington Post. 28 juin 2013. http://www.huffingtonpost.fr/2013/06/28/festivals-de-lete_n_3516079.html?utm_hp_ref=tw.

Illustrations :

Andrei Armyagov, Shutterstock.com

Aija Lehtonen / Shutterstock.com


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