Disons-le tout net, travailler en ligne et donc utiliser le réseau Internet, ne se confond pas avec le fait de "travailler en réseau". Les membres d'un groupe peuvent parfaitement travailler à distance et utiliser des outils en ligne. Mais ils auront un fonctionnement de groupe, et pas de réseau.
Est-ce chinoiser, que de vouloir à tout prix distinguer groupe et réseau ? Pas du tout, si l'on en croit Stephen Downes d'une part, Christophe Batier et Marcel Lebrun d'autre part. Car ces deux modes de fonctionnement entretiennent des relations très différentes avec l'institution scolaire au sens large. Être au clair sur la manière dont groupe et réseau se distinguent, voire s'opposent, revient à comprendre pourquoi l'école est si à l'aise avec le travail de groupe, et si mal à l'aise avec le travail en réseau.
Voici quelques années, Stephen Downes (le co-créateur des cMOOCs et le plus fervent défenseur de l'apprentissage connectiviste en réseau) avait élaboré un poster présentant les différences entre groupe et réseau. Le poster étant particulièrement rempli et peu facile à lire, Downes le commente dans cette vidéo.
Bien entendu, tout ceci est en anglais, et on remerciera donc Christophe Batier d'avoir consacré l'une de ses causeries avec Marcel Lebrun à l'explicitation et à l'illustration du propos de Downes.
De cette conversation fort intéressante que nous vous engageons à suivre dans son entier, nous retiendrons les points suivants.
Le groupe
Un groupe est :
- Composé d'un nombre limité de membres : de 3 à quelques dizaines;
- Fermé : on appartient ou pas au groupe, et il est difficile quand on n'en est pas membre de savoir ce qui s'y passe;
- Coordonné : par un chef, un leader...;
- Dédié à une cause ou à une tâche, et il peut disparaître quand la tâche est terminée.
L'existence d'un groupe est liée au temps et à l'espace : les membres d'un groupe se retrouvent à une heure et dans un espace donnés, y compris dans un espace virtuel.
Le travail d'un groupe peut être planifié, scénarisé, évalué, y compris par quelqu'un d'extérieur, un enseignant par exemple.
Les membres d'un groupe sont interdépendants : si une partie des membres n'assume pas ses tâches, tout le monde en pâtira. À l'inverse, si certains membres font beaucoup plus que ce qui est demandé, tout le monde en bénéficiera.
Le réseau
Pour les besoins de la démonstration, Downes puis Batier (rappelé à plus de nuances par Marcel Lebrun) accentuent les différences entre groupes et réseau.
Le réseau est donc :
- Composé d'un nombre illimité de membres, mais soumis à un effet de masse critique : un réseau aussi petit qu'un groupe ne fonctionne pas.
- Ouvert : y vient qui veut, sans tâche prédéterminée, et même pour ne rien y faire. Si la masse critique est atteinte, il y aura nécessairement un nombre suffisant de membres actifs pour que le réseau vive et produise.
- Pas centralisé : on ne sais jamais où se produiront les interactions, et aucun membre ne peut décider à la place des autres ce qu'ils doivent dire et faire.
Son existence n'est pas lié à une cause ou à une tâche : si celles-ci peuvent provoquer sa création, le réseau leur survivra fort probablement, tant que ses membres souhaiteront poursuivre les interactions.
Son existence n'est pas non plus liée au temps et à l'espace : un réseau suffisamment grand fonctionne H 24 ! Quand il est minuit pour vous, il est 9 heures du matin ou 4 heures de l'après-midi pour d'autres membres, ailleurs sur le globe. L'interaction s'y effectue donc en continu.
Le travail d'un réseau ne peut être planifié... à moins qu'une partie au moins de ses membres n'adopte momentanément un fonctionnement de groupe, quand il y a une échéance et des enjeux importants.
Les membres du réseau sont indépendants les uns des autres : chacun peut choisir son niveau et son mode d'implication, ce qui n'aura pas de conséquence sur l'implication du voisin. En revanche, la règle de base est le donnant - donnant : si tout le monde prend et que personne ne donne, le réseau meurt.
Systèmes éducatifs : des groupes en cascade
Répétons-le, ces différences sont accentuées pour les besoins de la démonstration. Marcel Lebrun signale fort judicieusement que les membres d'un groupe peuvent fonctionner en réseau quand le travail qui les réunissait en tant que groupe est terminé. Et que les membres d'un réseau peuvent décider de former un groupe fermé pour mener une tâche spécifique à bien.
Malgré tout, cette analyse nous montre qu'il y a une communauté de principes et de fonctionnements entre l'institution éducative et le fonctionnement en groupe : système fermé, dépendance au temps et au lieu, planification, centralisation... Nous sommes ici dans une structure en abyme : un système scolaire national est un groupe d'entités administratives, dont chacune est un groupe d'établissements, eux-mêmes regroupemens de classes, qui comprennent des groupes d'élèves... Ce qui assure une remarquable solidité au système.
On comprend alors que l'institution éducative ait tant de diffculté à accepter l'organisation en réseau. Les enseignants sont déconcertés lorsqu'ils constatent que certains élèves vont chercher des références ailleurs, dans le monde non scolaire; et bien des établissements hésitent encore à autoriser l'usage des réseaux sociaux en leurs murs, les percevant comme autant de brèches dans leur muraille. Enfin, les réseaux mettent à mal le principe d'autorité statutaire : certains enseignants chercheurs acceptent difficilement de montrer les limites de leurs savoirs, ou de constater que d'autres s'avèrent aussi savants qu'eux sur certains points, même s'ils n'ont pas le même bagage académique.
Marcel Lebrun conclut en disant que toutes les compétences dont on nous rebat les oreilles : créativité, collaboration, capacité à apprendre tout au long de la vie... ne peuvent s'acquérir que dans un dispositif ouvert. Il faut donc que les établissements s'ouvrent au monde.
Les cMOOCs ou l'apprentissage en réseau
Près de deux ans après la publication de cette vidéo, il est bon de revenir à Stephen Downes et à ses MOOCs connectivistes : les MOOCs constituent effectivement une nouvelle manifestation de l'ouverture en cours aux franges des dispositifs éducatifs : l'hétérogénéité et la masse des apprenants dans ces cours a permis l'émergence de nouvelles façons d'apprendre et la construction de savoirs moins dépendants de l'institution (pour cette deuxième partie, seulement dans les cMOOCs, les xMOOCs restant très axés sur les savoirs académiques centralisés). À tel point qu'il semble vain, malgré les tentatives en cours, de vouloir contraindre les apprenants inscrits dans un MOOC à travailler dans des groupes préconstitués par les enseignants : tant qu'à ouvrir un cours, ouvrons-le jusqu'au bout et laissons les apprenants s'organiser comme bon leur semble, en réseau.
Causerie avec Marcel sur la différence entre un réseau et un groupe :
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