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Publié le 05 mai 2013 Mis à jour le 05 mai 2013

Exige-t-on trop des neurosciences?

Les neurosciences sont en crise, malgré des investissements publics colossaux. Que se passe-t-il?

Le cerveau humain fascine. Il est le siège de nos capacités, de nos connaissances, de nos envies, etc. Malgré les avancées scientifiques, nous ne comprenons encore que très peu son fonctionnement. Barack Obama annonçait au début 2013 au Congrès américain qu'il envisageait un financement de 3 milliards de dollars sur 10 ans pour cartographier le cerveau humain! Au printemps, son gouvernement investissait 100 millions de dollars pour que les États-Unis deviennent un leader de la recherche en neurologie. L'Union européenne, de son côté, avait annoncé la mise en place d'un projet intitulé "Human Brain Project", supporté par 80 institutions et doté d'un financement d'un milliard d'auros sur 10 ans.

Ces investissements sont-ils réalisés à bioen escient ? La question mérite d'être posée, d'autant plus que quelques semaines après l'annonce du projet BRAIN d'Obama, une étude américano-britannique était publiée par le Nature Reviews Neuroscience qui révélait qu'une grande partie des recherches en neurosciences avançaient de faux résultats. Déjà, en 2005, une analyse montrait qu'un pourcentage important des recherches étaient fausses.

Le diktat « Publie ou péris »

Comment expliquer cet état de faits un peu gênant ? Comme l'explique Pierre Barthélémy, les recherches en neurosciences subissent le même sort que les recherches en génétique ou en psychologie. En effet, les scientifiques doivent publier le plus d'articles possible afin d'obtenir leurs bourses. C'est le fameux « Publish ou perish » (publie ou péris) qui les force à tourner les coins ronds* et à publier des résultats qui sont bien souvent contestables.

De plus, les publications – qui cherchent sans cesse de nouveaux lecteurs – publient plus volontiers des annonces de nouveaux résultats plutôt que des articles consolidant des positions déjà connues. Conséquemment, c'est la course à la découverte spectaculaire qui attirera les grands médias, et ce, même si les fondements scientifiques sont peu solides. Ce qui explique pourquoi dans le domaine des neurosciences les auteurs et leurs éditeurs doivent souvent se rétracter.

Mais les neurosciences souffrent d'un handicap supplémentaire. Leur problème particulier selon l'étude britannico-américaine, c'est que les expérimentations ont tendance à être réalisées sur  de petits échantillons. Par exemple, une analyse italienne montrait récemment que les enfants dyslexiques lisaient mieux après une séance de jeux vidéo. Or, la recherche n'a étudié que 2 groupes de 10 enfants, ce qui équivaut à une puissance statistique de moins de 20 %. Or, pour qu'une étude ait une réelle crédibilité, elle doit en avoir une de 80 % ou plus. La méta-analyse publiée dans Nature Reviews Neuroscience a étudié près d'une cinquantaine de méta-analyses dans le domaine des neurosciences et la moyenne de la puissance statistique des études variait entre 8 et 31 %. Heureusement, 15 % d'entre elles dépassaient les 90 %. Comme quoi tous les scientifiques ne sont pas de mauvais élèves.

Plusieurs théories

Le magazine Sciences Humaines s'est aussi intéressé aux théories scientifiques tentant d'expliquer le phénomène de la pensée, et force est de constater en lisant le dossier qu'il y a énormément de théories sur le fonctionnement de notre cerveau, dont certaines contredisent les résultats obtenus par les neurosciences. Les hypothèses sur l'activité cérébrale foisonnent ! Par exemple, des experts disent que le cerveau fonctionnerait en usant d'analogies. D'autres croient qu'il serait composé d'équipes rivales se battant pour le pouvoir avec la conscience comme médiatrice. Enfin, une vieille théorie suggère que notre encéphale serait statisticien et penserait en tentant de prédire son environnement. Quelle est la bonne théorie ? Impossible de le savoir puisqu’aucune d'entre elles n'a été jusqu'à maintenant confirmée ou infirmée indubitablement.

Autre problème : les neurosciences feraient-elles trop confiance à la technologie ? Évidemment, avec l'imagerie par résonance magnétique, il est désormais plus aisé d'étudier ce qui se passe dans le cortex. Mais cette technologie n'est pas sans failles. D'ailleurs, une équipe de chercheurs a prouvé que les appareils produisent de la « statique » en présentant les images de l'activité du cerveau d'un poisson... mort!

Et comme le rappelle cet article de Xavier Molénat, toujours pour le mensuel Sciences Humaines, peut-être demande t-on trop aux naurosciences. La neurobiologie a la cote aujourd'hui, mais les spécialistes des sciences sociales estiment que cette science n'explique pas tout, loin de là : selons eux, nous sommes des créatures grégaires influencées par le passé et différents contextes socio-économiques et culturels qui ne dépendent pas de nos neurones.

L'Union européenne et les États-Unis doivent donc modérer leurs attentes. Bien des scientifiques ont trouvé le projet d'Obama trop ambitieux, surtout en sachant que les scientifiques n'arrivent même pas à l'heure actuelle à comprendre le fonctionnement du cerveau d'une mouche ! Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas investir dans ce domaine. Mais la raison demande de laisser le temps aux scientifiques de faire des recherches plus longues avec de plus gros échantillons afin d'obtenir des résultats solides qui ne seront pas rétractés le mois suivant.

* Tourner les coins ronds : expression québécoise signifiant "effectuer un travail avec négligence".

RÉFÉRENCES :

Jaslow, Ryan. "Obama BRAIN initiative may uncover ways to prevent diseases and trauma, researchers hope." CBS News. 2 avril 2013. http://www.cbsnews.com/8301-204_162-57577567/obama-brain-initiative-may-uncover-ways-to-prevent-diseases-and-trauma-researchers-hope/.

Human Brain Project (Union européenne) : http://www.humanbrainproject.eu/ 

Barthélémy, Pierre. "Doutes sur la fiabilité des neurosciences." Passeur de sciences. 14 avril 2013. http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2013/04/14/doutes-sur-la-fiabilite-des-neurosciences/

Nature Reviews Neuroscience. "Power failure: why small sample size undermines the reliability of neuroscience." Mai 2013. www.nature.com/nrn/journal/v14/n5/full/nrn3475.html.

Ioannidis, John P. "Why Most Published Research Findings Are False." PLOS Medicine: A Peer-Reviewed Open-Access Journal. 30 août 2005. http://www.plosmedicine.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pmed.0020124.

Dortier, Jean-François. "Comment pensons-nous ? Révolution dans les sciences de l'esprit." Sciences Humaines. 12 avril 2013. http://www.scienceshumaines.com/comment-pensons-nous-revolution-dans-les-sciences-de-l-esprit_fr_30505.html.

Molénat, Xavier. "Les neurosciences, un empire...contesté." Sciences Humaines. Last 24 avril 2013. http://www.scienceshumaines.com/les-neurosciences-un-empireconteste_fr_30516.html.

Wagner, David. "Why Some Scientists Aren't Happy About Obama's $3 Billion Brain Research Plan - David Wagner." The Atlantic Wire. Last modified February 18, 2013. http://www.theatlanticwire.com/technology/2013/02/why-some-scientists-arent-happy-about-obamas-3-billion-brain-research-plan/62258/.

 

Tous les articles ont été consultés le 6 mai 2013.

Illustration : Triff, shutterstock


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