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Publié le 16 avril 2013 Mis à jour le 08 mars 2022

Quand votre écran devient scriptorium...

Retour à l'ère des copistes du Moyen-Âge et admiration des oeuvres qu'ils nous ont léguées

Une grande idée que celle de rendre accessibles des manuscrits médiévaux en provenance  d'une soixantaine d'établissements français. Une belle idée aussi, car à ces manuscrits s'attachent de magnifiques «décors», les enluminures. Le 2 avril 2013, l'Institut  de recherche et d'histoire des textes, unité de recherche du CNRS (France), ouvrait en ligne la nouvelle Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux (BVMM).

Pour le chercheur universitaire, l'internaute et même l'écolier

 Les chercheurs, historiens, historiens des arts, passionnés du Moyen Âge et écoliers ont enfin accès en ligne à ces délicats manuscrits. À l'évidence, ni la nécessaire précaution, ni la dispersion des manuscrits en de nombreux établissements ne pouvaient en favoriser l'accès. Bien qu'élaborée afin de faciliter la recherche et assurer la sauvegarde d'un patrimoine écrit datant du Moyen-Âge à la Renaissance, l'Institut (IRHT) enrichit les «archives du monde» accessibles à tous par la création de ce site offrant 1 000 manuscrits en couleur, 600 autres en noir et blanc et des décors de 4 200 manuscrits et incunables, ces ouvrages imprimés avant 1 500.

Selon Jacques Dalarum, directeur de l'IRHT, deux manuscrits identiques n'existent pas, même si leur contenu est à la base identique. Les manuscrits (comprenez, la copie à la main) étaient les seuls moyens de diffusion des idées jusqu'à l'invention de l'imprimerie. Ils étaient préparés par les copistes, le plus souvent des moines, qui travaillaient dans le scriptorium de leur abbaye. Au fil du temps ces manuscrits étaient annotés par leurs différents utilisateurs. Imaginez la richesse que présente chaque manuscrit dont la copie a modifié non seulement sa présentation, mais son texte.

L'historien de sciences, le professeur de littérature ancienne, et tout internaute, au contact de ces pensées anciennes, s'oblige à l'humble constat que d'autres ont réfléchis au sens de la vie et à la complexité de la nature humaine. Créateurs d'idées, philosophes, premiers sicentifiques, artistes, écrivains d'un lointain autrefois ont construit les sciences humaines bien avant nous.

Diffusés plus qu'accessibles !

 

La diffusion des manuscrits sur le web ne signifie pas pour autant une accessibilité si spontanée qu'on le croirait. L'accès aux manuscrits comme aux décors de la BVMM est loin d'être aisé. Ici, les chercheurs et les internautes aguerris s'y retouveront peut-être, mais les conditions d'accès et d'inscription, la complexité des bases de données et les références aux établissements français détenteurs de manuscrits en décourageront d'autres.

À partir de la cote du manuscrit ( encore faut-il la trouver...), l'internaute, bien motivé,  peut se constituer une sélection d'images dans un panier de recherches et les comparer sur une même fenêtre d'écran à l'aide de plusieurs zooms et  de l'utilisation d'une visionneuse qui permettent de feuilleter l'ouvrage. Il est plus facile d'accéder aux manuscrits à partir de la liste des bibliothèques dans lesquels ils sont conservés. 

Les manuscrits conservés en bibliothèque sont identifiés par une cote, généralement précédée de l'abréviation "ms." (singulier) ou "mss." (pluriel). La cote est composée du nom du lieu de conservation (Beaune), suivi de celui de l'institution qui conserve le document (Bibliothèque municipale), du fonds où il est conservé quand il y a lieu (fonds français), et du numéro d'inventaire du manuscrit qui peut être simple (102) ou complexe (fol-lat-32).

La plupart de ces manuscrits étant en latin, il va s'en dire que nos bases en cette langue ancienne méritent d'être revisitées. Ou s'outiller de logiciels de traduction, si possible...

Cette visite de la BVMM nous a permis d'admirer des enluminures aux ocres, roses, bleus et autres couleurs d'une beauté originale et de tenter la lecture d'un manuscrit de Saint-Augustin avec une compréhension amoindrie par notre connaissance du latin délavée par le temps.

Des droits d'auteurs pour des oeuvres du domaine public ?

 Quelle intéressante question !  Elle génère actuellement bien des débats. Bien entendu, les manuscrits médiévaux appartiennent au domaine public; toutefois le comité scientifique de pilotage de la BVMM a placé les fichiers sous licence Creative Common, qui autorise «la reproduction des données sous condition de citation et uniquement pour des opérations non commerciales.» D'ailleurs dès l'entrée dans la BVMM, l'internaute se voit inviter à signer cette autorisation.

Or, pour toute utilisation commerciale, la BVMM peut monnayer l'utilisation d'oeuvres du domaine public.

Cette question des droits d'auteur discutée sur le site Numérama, site de réflexion sur le numérique, ramène l'idée que les oeuvres portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur sont protégées par le droit d'auteur et le simple fait de numériser une oeuvre de domaine public n'est pas suffisant pour accorder des droits d'auteur à celui qui numérise.

Le CNRS a annoncé que son choix de placer ses archives sous licence Creative Common évoluera aussi en fonction des positions des Ministères de la Culture et de la Communication, de l'Enseignement supérieur et de la recherche.

Cette question des droits d'auteurs méritera d'être suivie suivant les développement de la BVMM. Car il est clair que la numérisation des manuscrits et l'entretien d'un site de cette importance génèrent des frais que les subventions publiques ne pourront couvrir éternellement. Il est vraiment dommage que l'octroi d'une licence d'utilisation qui, concrètement, limite l'usage que l'on peut faire de ces reproductions, constitue apparemment la seule source de revenus accessible pour l'institution.  

Qu'en est-il de la diffusion des manuscrits médiévaux en dehors des frontières françaises ?

À la British Library

 La British Library dispose d'une des plus imposantes collections de manuscrits médiévaux: plus de 25 000 livres datant d'avant le 16 ième siècle. Elle a elle aussi décidé de la rendre accessible aux internautes. Elle a débuté la numérisation en haute définition et en couleur de sa collection complète de manuscrits anciens par deux cents premiers documents.

Le site offre à l'heure actuelle un moins grand nombre de manuscrits que ceux répertoriés par la BVMM, ce qui explique peut-être un classement moins complexe par grandes catégories notamment: des manuscrits grecs, thaï, botaniques, etc. L'internaute qui connaître l'oeuvre recherchée la place dans un moteur de recherche tout simple.

Les plus passionnés pourront se ravir d'y consulter dès maintenant les trésors suivants: l'Apocalypse de Silos, la version unique du poème épique Beowulf datant des environs de l'an 1000 et même des carnets de Léonard de Vinci.

Chez les Américains...

 Ne vous méprenez pas, bien que certains musées, bibliothèques ou collectionneurs privés détiennent ce genre de trésors médiévaux, ce n'est pas de ceux-ci dont nous voulons vous entretenir.

Alors que nous effectuions cette rencontre bouleversante avec de véritables manuscrits médiévaux, touchés par ces traces manuelles de ces hommes qui avaient transcrit leurs idées en lettres détachées, nous apprenions que 45 États des États-Unis venaient de décider que leurs enfants apprendraient désormais à écrire, comme au Moyen-Âge, en lettres détachées, remisant ainsi l'apprentissage de l'écriture en lettres attachées. La fameuse écriture cursive sera remplaçée par le clavier qu'ils devront maîtriser à la fin du primaire. Le mur Facebook, le courriel, les cartes de souhait électroniques... annonceraient la fin de l'écriture manuscrite.

L'écriture manuscrite telle que nous la connaissons aujoud'hui n'est pas née en un jour. Pendant des s!ècles, les mots n'étaient pas détachés les uns des autres, et il fallait lire le texte à haute vois pour en saisir le sens. Au XIe siècle, c'est l'accès aux traités scientifiques arabes et leur traduction en latin qui va accélérer le découpage des textes en phrases et en mots, généraliser les majuscules (apparues sous Charlemagne en même temps que l'écriture caroline) et les signes de ponctuation. Les copistes du Moyen-Âge souhaitaient certainement que leurs manuscrits en lettres détachées soient plus lisibles.  Cet impératif de lisibilité mérite t-il d'abandonner l'écriture cursive ?  Mystère.

LIENS :

Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux, CNRShttp://bvmm.irht.cnrs.fr/accueil/accueil.php

Les manuscrits médiévaux sur les étagères virtuelles du CNRS. Actualitté, 3 avril 2013. http://www.actualitte.com/patrimoine/les-manuscrits-medievaux-sur-les-etageres-virtuelles-du-cnrs-41447.htm

La British Library numérise ses manuscrits médiévaux. Actualitté, 14 février 2013. http://www.actualitte.com/international/la-british-library-numerise-ses-manuscrits-medievaux-40302.htm

Des manuscrits médiévaux placés sous droits d'auteur. Numerama, 2 avril 2013. http://www.numerama.com/magazine/25562-des-manuscrits-medievaux-places-sous-droits-d-auteur.html

À consulter également : 

L'aventure des écritures, exposition en ligne de la Bibliothèque Nationale de France : http://classes.bnf.fr/ecritures/index.htm. En particulier, la page "Naissance deu mot et de la phrase dans les manuscrits occidentaux". 

Sur le portail Lexilogos : une list très fournie de sites qui présentent des manuscrits et des livres anciens : http://www.lexilogos.com/manuscrits.htm 

Illustrations : 

Lettrine extraite du manuscrit Epistulae et Sermones, Hieronymus, XIIIe siècle, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. Visible sur le site de la BVMM.

Page d'un manuscrit du XVe siècle, sur laquelle un dessin a été ajouté ultérieurement (bas de page). Histoire d'Alaxandre, histoire des Romains. Bibliothèque municipale du Mans. Visible sur le site de la BVMM.

Lettrine extraite du manuscrit Biblia (Prophetae), troisième quart du XIIIe siècle, Bibliothèque municipale de Chaumont. Visible sur le site de la BVMM.

Reproductions placées sous licence CC BY-NC 3.0

 


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