Pendant les séances de formation aux technologies éducatives qui se font chez moi indifféremment en arabe et en français, les termes qui reviennent le plus souvent dans les thèmes de la formation sont plutôt des termes anglais : content management system, learning management system, Facebook ou Twitter. En prêtant l'oreille aux conversations des collègues les sonorités de la langue de Shakespeare ou à proprement parler de l'anglais américain, même déformées, reviennent souvent. Eh oui, il est un domaine où la domination de l’anglais est sans conteste : l’informatique sous toutes ses formes. Même si les interfaces se déclinent dans toutes les langues, les concepts de base du langage informatique doivent être retravaillés aux couleurs des autres langues. De là à crier à l'hégémonie de l'anglais, à une nouvelle forme d'acculturation, il n'y a qu'un pas alors que notre langage quotidien a toujours été truffé d'emprunts à toutes les langues, de néologismes ou d'expressions frappantes à la mode plus ou moins passagère. L'enrichissement d'une langue se fait justement grâce aux emprunts et aux néologismes qui seront acceptés facilement ou avec réticence, s’intégreront lentement ou rapidement, disparaîtront ou s’assimileront au point où l’on ne songera même plus à leur origine tel que c'est décrit par Christiane Loubier dans De l'usage de l'emprunt linguistique.
Pour créer un terme, il n’existe pas de recette préétablie. On peut indifféremment élargir le sens d’un mot existant, forger le mot de toutes pièces sur des racines grecques ou latines, traduire ou transposer un terme étranger, faire de deux mots composés un nouveau terme, etc. Mais en pratique, qui opère cet enrichissement et comment cela se passe-t-il ?
Une approche collaborative
L'enrichissement lexical d'une langue se fait selon deux dynamiques complémentaires : l'une académique et l'autre empirique. On a certes besoin d'attestations d’usage, et de création de mots nouveaux selon un processus savant et des propositions argumentées comme le font l'Académie française ou l'Office québécois de la langue française. Mais il ne faut pas omettre l'usage spontané, celui du plus grand nombre, qui atteste d'une grande créativité et appelle l'intérêt et la réflexion des spécialistes. Seulement, entre cafouillages et trouvailles judicieuses, rien de tel que la confrontation d'idées et la concertation pour décider du mot juste. Une démarche collaborative de rénovation linguistique voit le jour sur le site wikiLF qui est proposé par la délégation générale à la langue française et aux langues de France (Ministère de la Culture et de la Communication).
Dans ce wiki d'enrichissement de la langue française et après simple inscription, plusieurs niveaux de contribution sont proposés aux internantes intéressés par le sujet : suggérer des termes, participer aux évaluations, sondages et discussions et s'informer de ce qu'il est advenu officiellement de toutes les propositions faites. Ce wiki combine ainsi parfaitement la richesse des propositions puisque la créativité n'est pas bridée et puis l'interaction et la réflexion et enfin la validation "démocratique" des choix.
Cacophonie ou créativité
Il n’en est pas de même pour la langue arabe où la composante parlée intègre allégrement tous les emprunts possibles et imaginables (italien, français, anglais, parlers arabes différents, etc.) mais où l'arabe littéraire regorge de simples transcriptions des termes "empruntés" avec tous les problèmes phonétiques que cela pose. Dans le domaine informatique Joseph Ourfahli note dans sa thèse Analyse comparée des emprunts informatiques dans la langue arabe et française qu'il y a différents types d'emprunts : de nécessité, de luxe, intégral, syntaxique, phonémique, etc. que la siglaison nécessite un traitement particulier, et c'est un aspect important si on a à l'esprit le nombre de sigles utilisés en informatique. Il note également une certaine querelle entre les littéraires et les auteurs écrivant les mots empruntés tels que, c.-à-d. en langue d’origine: beaucoup, légitimement, cherchent une norme; mais peu, tout simplement, cherchent à imposer leur norme aux autres.
WikiLF
De l'usage de l'emprunt linguistique, Christiane Loubier, 2011
Analyse comparée des emprunts informatiques dans la langue arabe et française, Joseph Ourfahli, novembre 2007
Image d'illustration : Syaheir Azizan/shutterstock.com
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