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Publié le 19 mars 2013 Mis à jour le 19 mars 2013

L'éthique des Moocs

Un taux de succès de moins de 10 %, tel celui que connaissent la plupart des Moocs, est-il compatible avec l'étique de l'enseignement ?

Parce qu'ils sont massifs et ouverts, les Moocs accueillent un très grand nombre de participants, dont quelques-uns seulement teminent le cours dans lequel ils sont inscrits, et obtiennent le certificat qui valide le succès à l'examen final. 

Dans la bataille que doivent mener depuis quinze ans les professionnels de la formation en ligne pour exister, le taux d'abandon constitue un argument massue, constamment brandi par les tenants du tout présentiel. Les commentateurs n'ont par exemple pas hésité à exploiter les résultats d'une récente enquête (voir ici l'article d'Alexandre Roberge à ce sujet), qui souligne que les formations à distance distribuées par les colleges américains accusent un taux de décrochage légèrement supérieur à celui des mêmes formations en présence (9 % contre 5,5 %), pour affirmer que la FAD n'était décidément pas une voie d'avenir. Les critiques sont bien moins virulentes à l'encontre des Moocs, dont la plupart n'affichent pourtant pas de taux de réussite supérieur à ... 10 %. 

Pourquoi les Moocs bénéficient-ils d'un tel traitement de faveur, surtout de la part d'institutions et enseignants de grand renom, qui n'ont pas pour habitude de brader leurs enseignements ?

Bien faire et faire le bien

 

La réponse à cette question n'est pas simple, mais les résultats d'une très récente enquête publiée sur le site de The Chronicle of Higher Education fournit des éléments fort intéressants à ce niveau.

Cette enquête, première du genre, a été réalisée auprès des enseignants américains engagés dans la conception et l'animation de Moocs sur les plateformes EdX, Coursera et Udacity. Au mois de février 2013, 184 enseignants ont été sollicités, et 103 ont répondu à l'enquête. 

L'enquête visait à connaître le sentiment des enseignants sur les Moocs en général et sur le leur en particulier (chacun n'ayant réalisé qu'un seul Mooc au moment de l'enquête), à quantifier le temps consacré par les enseignants à la conception et à l'animation des Moocs, à savoir si et comment les Moocs étaient intégrés à l'activité habituelle des enseignants, et enfin à connaître l'opinion de ces derniers quant à l'impact des Mocs sur l'accès aux études du niveau college aux Etats-Unis. 

Sans entrer dans le détail des résultats, abolument passionnants, qui sont à lire sur le site de The Chronicle of Higher Education, soulignons quatre points qui semblent expliquer au moins en partie pourquoi des cours en ligne à si faible taux de réussite enthousiasment tant d'institutions académiques :

- En concevant et animant leur Mooc, les enseignants n'ont absolument pas eu l'impression de brader leur savoir ou leur savoir-faire. Ils y ont consacré un temps important (100 heures de préparation en moyenne, 5 à 10 heures de présence hebdomadaire pendant le déroulement du cours) et ont cherché à donner le meilleur de ce qu'ils savent faire.

- Les enseignants ont effectué ce travail bénévolement, sur leur temps personnel. Comme c'est le cas pour tout dispositif innovant, les pionniers du Moocs sont dans leur immense majorité des enseignants volontaires.

- Les enseignants ayant créé des Moocs n'avaient dans leur majorité jamais expérimenté la formation à distance, et étaient même réservés sur cette modalité de formation. Ils en ont découvert la valeur et l'intérêt à l'occasion des Moocs. Ils en ont tiré des éléments qui amélioreront leurs pratiques en classe (structuration de leur cours, intérêt comparé des ressources pédagogiques mises à disposition des étudiants, contenu et forme des évaluations...). 

- Le taux de réussite moyen dans les Moocs animés par ces enseignants s'élève à 7,5 % des participants initialement inscrits. C'est très peu, mais cela représente quand même, toujours en moyenne, 2 600 personnes, soit infiniment plus que le nombre d'étudiants en présence réussissant le même cours chaque année... 

On comprend donc que du point de vue de l'enseignant, les Moocs soient des dispositifs excitants, stimulants, grisants parfois, lui donnant une visibilité considérable, à la fois dans la communauté académique et dans le grand public. Cet argument est important pour les répondants à l'enquête, mais la raison principale qui les a poussés à s'engager dans un Mooc reste l'altruisme, la volonté de diffuser les savoirs auprès de larges groupes, en espérant que certains d'entre eux puissent un jour accéder à un diplôme de college plus vite et pour moins cher qu'en passant par les dispositifs habituels. 

En s'engageant dans les Moocs, les enseignants pionniers ont donc la conviction de bien faire, et de faire le bien.

15 ans d'expertise e-learning barrés d'un trait

 

Mais hélas, ces sentiments absolument respectables ne suffisent pas à garantir la qualité d'un dispositif de formation, qu'il soit en ligne ou en présence. Les acteurs expérimentés de la formation en ligne le savent pertinemment, eux qui depuis plus de 15 ans doivent constamment prouver que la FAD n'est pas de la formation au rabais, et pour cela accumulent des innovations pédagogiques de grande qualité, à faire pâlir d'envie les tenants du tout présentiel qui daigneraient s'y intéresser. Les pionniers des Moocs le reconnaissent d'ailleurs volontiers : ils ont trouvé dans cette modalité particulière de formation en ligne des éléments leur permettant d'améliorer leur cours en présence. S'ils avaient fréquenté les plateformes de formation en ligne plus tôt, il y a longtemps qu'ils auraient pu en bénéficier. 

Car les Moocs n'ont pas été conçus par des professionnels de la formation en ligne. Ce déficit de compétences est absolument frappant dans la plupart des Moocs académiques (les xMoocs), qui présentent un visage pédagogique ancien, entièrement tourné vers l'enseignant plutôt que vers l'apprenant. Comme si quinze ans de recherche et de pratiques de FAD avaient été barrées d'un trait. 

C'est ce qu'affirmait Josie Taylor, professeure à l'Open University britannique, lors d'une rencontre consacrée à la formation ouverte en ligne pour l'enseignement supérieur, organisée à Londres le 5 février 2013. Ses propos sont repris dans un article publié sur le site du Times Higher Education

Pas d'éthique pour les xMoocs

 

J. Taylor constate que de très nombreux apprenants sont abandonnés à leur sort dans les Moocs et décrochent. Même en considérant que la moitié environ des inscrits initaux à un Mooc ne se connecte jamais, la faible proportion de ceux qui, parmi les 50 % restants, parviennent à la fin du cours et réussissent l'examen n'est, selon J. Taylor, pas compatible avec l'éthique professionnelle de l'enseignant. Les Moocs ne doivent donc en aucun cas être payants, car ils n'offrent pas la qualité minimale d'un enseignement en ligne digne de ce nom, qui prête attention aux apprenants et leur propose des mécanismes d'accompagnement qui en mèneront une proportion très significative jusqu'à la réussite.

Pendant la même rencontre, Diana Laurillard, qui enseigne l'usage des TIC en éducation au London Knowledge Lab, a mis très fortement en doute les motivations altruistes non des enseignants qui ont créé les premiers Moocs sur les plateformes américaines les plus connues, mais des investisseurs qui ont injecté des millions de dollars dans ces plateformes. Selon elle, ces investisseurs se moquent bien de la diffusion universelle des savoirs. Ils visent uniquement l'exploitation des données collectées sur les plateformes.

J. Taylord comme D. Laurillard pointent la faible qualité des xMoocs présents sur les grandes plateformes américaines. "On ne peut pas les considérer comme une révolution. Pédagogiquement, l'énorme majorité des cours propose de la présentation, des gens qui parlent (talking heads). Nous nous sommes dit pendant des années qu'il fallait en finir avec cette pédagogie, et la voilà qui revient en force", dit D. Laurillard. 

Moins mais mieux

 

L'amertume de ces spécialistes de la formation en ligne et de l'usage des TIC en éducation et formation est palpable. Mais on relèvera aussi chez elles la volonté de faire autrement. Il est plutôt encourageant que FutureLearn, le consortium britannique qui proposera très prochainement des Moocs sur la plateforme du même nom, ait été créé à l'initiative de l'Open University. On peut espérer que l'expérience considérable accumulée par cette université en ligne (première université britannique avec 250 000 étudiants, dont 185 000 à l'intérieur du Royaume-Uni) soit réinjectée dans les Moocs et contraignent l'ensemble des acteurs mondiaux à adopter des standards de qualité plus élevés, principalement au niveau de l'accompagnement des apprenants. Car entre un Mooc suivi par 70 000 personnes, dont 5 000 seulement obtiendraient le certificat de réussite, et un Mooc de 3 000 apprenants dont 2 500 réussiraient l'épreuve finale, devinez lequel aurait le plus de succès ?

Références

Kolowich S. : The Professors Who Make the MOOCS. The Chronicle of Higher Education, 18 mars 2013

Parr C. : Will Moocs fail to give students help they need ? Time Higher Education, 14 février 2013. 

Illustration : Marynchenko Oleksandr, Shutterstock.com


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