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Publié le 11 mars 2013 Mis à jour le 11 mars 2013

Quand le chercheur acceptera t-il de devenir enseignant ?

Deux billets de blog, l'un américain et l'autre français, regrettent que l'enseignement aux étudiants de premier cycle soit considéré comme une tâche subalterne dans les universités françaises

Daniel Little, un sociologue américain, a publié le 3 mars 2013 un long billet sur Le déclin des universités françaises.  Little a focalisé son article sur un point particulièrement préoccupant : le peu de cas qui est fait, dans les universités françaises, des étudiants de premier cycle (undergraduate, dans le système universitaire anglo-saxon).

Des enseignants peu engagés auprès des étudiants de premier cycle

 

Dans son article, Daniel Little regrette donc quand dans les 83 universités publiques françaises, on se préoccupe bien peu d'encourager le succès des étudiants de premier cycle. Il identifie plusieurs causes à cet état de fait :

- Le manque de moyens dont souffrent les universités;

- La primauté absolue accordée à la recherche vis à vis de la tâche d'enseignement dans la carrière de celui qu'on continue d'appeler quand même "l'enseignant-chercheur";

- Le phénomène des "turbo-profs", cette appellation née dans les années 80 du siècle dernier désignant les enseignants qui résident à Paris et enseignent dans une université de province, passant le minimum de temps dans cet endroit reculé et n'ayant par conséquent à peu près aucun contact avec les étudiants hors de leur temps de cours, ou avec les services pédagogiques (quand il y en a) de leur université;

- Le fait que ceux qui s'impliquent dans leurs tâches d'enseignement ne voient finalement aucune amélioration dans les résultats obtenus par leurs étudiants aux examens.

Daniel Little souligne également que les travaux français en sociologie de l'éducation ont toujours pointé le déterminisme social qui influait sur le destin scolaire et universitaire des jeunes, mais ne se sont jamais penchés sur la qualité de l'enseignement supérieur, ni sur l'impact des pratiques individuelles ou collectives d'enseignement sur les apprentissages. Little ne sait peut-être pas qu'en France, ce sont les Sciences de l'éducation qui s'intéressent à ces questions, une spécialité qui, en France toujours, ne mène pas majoritairement à l'enseignement mais à la recherche sur l'enseignement. Nuance.

De nombreux commentateurs, connaisseurs du système universitaire français, ont réagi au billet de Little. Selon plusieurs d'entre eux, il y a bien un problème dans le premier cycle universitaire en France. Mais cela n'est pas du aux turbo-profs ni à l'attention excessive portée à l'avancée de la carrière via la recherche au détriment du rôle éducatif. Cela vient surtout du fait que les premières années de fac sont des voies de garage, tous les bons profils étant partis en classe préparatoire, en BTS ou en IUT, ou à la rigueur en faculté de médecine ou en droit. 

Ces commentaires font bondir et en même temps, ils témoignent d'une puérilité alarmante : "c'est pas moi m'sieur, c'est lui !". Où avez-vous entendu ça pour la dernière fois, si ce n'est à l'école ?

Daniel Little ignore sans doute que les mesures se succèdent depuis 6 ou 7 ans pour augmenter le taux de réussite des étudiants de premier cycle. Ces mesures souvent accompagnées de financement permettant un encadrement accru des étudiants n'ont jusqu'à présent pas donné les effets espérés. De nouvelles mesures, qui figurent dans le rapport issu des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche pubié en janvier dernier, sont en passe d'être prises. 

Parmi celles-ci, on ne trouve aucune recommandation sur les contenus et les méthodes de l'enseignement universitaire. Il a été décidé d'intervenir à la périphérie de l'université, dans la présentation des diplômes, leur lisibilité, voirel'accès aux études, mais absolument pas dans les contenus. 

Enseigner sans chercher ?

 

Une mesure pourtant mérite qu'on s'y attarde. C'est celle qui porte le numéro 11 : "Faire en sorte que tout enseignant chercheur consacre une partie de son service au premier cycle". S'il est nécessaire de prendre une mesure pour parvenir à ce résultat, c'est que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. 

Et là, il faut lire le billet intitulé "La pédagogie en premier cycle universitaire, un truc d'enseignante-chercheuse, vraiment ? " publié par Maxime Szczepanski sur son blog On/Off. Maxime Szczepanski a lui aussi lu le billet de Daniel Little, et a profité de l'occasion pour détailler la situation des jeunes enseignants-chercheurs qui prennent leur premier poste dans une université. Ce sont eux qui se voient systématiquement refiler les cours de 1e et 2e année, ainsi que les cours de Méthodologie de travail universitaire. Et quelques années plus tard, les mêmes enseignants-chercheurs se feront un plaisir de passer la balle à leurs voisins, c'est à dire d'abandonner ces premiers niveaux aux nouveaux arrivants.

Ceci parce qu'effectivement, la compétence enseignante n'est absolument pas prise en compte par l'institution académique. L'enseignant chercheur n'en retire de bénéficies ni moraux, ni monétaires, ni de carrière. Alors, pourquoi essayer de "mieux faire", quand personne ne vous demande autre chose que de "faire", tout simplement ? Maxime Szczepanski suggère donc deux voies pour améliorer la situation : revaloriser le salaire des enseignants chercheurs assument des responsabilités fortes d'enseignement en premier cycle, là où les étudiants sont les plus nombreux et les moins familiarisés avec le travail universitaire; ou recruter pour ces niveaux des enseignants non chercheurs, qui enseignent par exemple dans les classes préparatoires ou en BTS (ces fameuses filières d'élite qui piquent tous les bons étudiants aux universités). Cette deuxième voie a d'ailleurs été explorée voici quelques années par le ministère de l'enseignement supérieur, et cela a provoqué un tollé dans les syndicats enseignants du supérieur puisque cela créerait inévitablement une réduction du nombre de postes accessibles aux seuls enseignants chercheurs, à l'heure où l'université française produit déjà un nombre bien supérieur de docteurs à ce que peut absorber le marché du travail. 

Le fétichisme de la recherche

 

Enseigner, et plus particulièrement enseigner à ceux qui en ont besoin (et non pas à ceux qui sont déjà acquis à la cause de votre discipline, comme en Master) est-il donc une tâche si méprisable qu'il faille s'en débarrasser sur de plus faibles que soi ? Cette perception de l'enseignement imprègne la plupart des réflexions sur le devenir de l'université en France. Le rapport cité plus haut en fournit un éclatant témoignage dans sa section intitulée "Mieux reconnaître l'activité des femmes et des hommes", recommandation 14 : pour mieux reconnaître l'activité du jeune enseignant chercheur, il faut... diminuer son service d'enseignement, de manière à ce qu'il se consacre davantage à sa recherche. Et ce, alors que l'obsession pour la recherche (Daniel Little parle même de "fétichisme") est déjà un trait dominant de l'université française ! Eventuellement, le jeune chercheur désormais à peine enseignant pourra suivre des formations à la pédagogie, s'il accepte de prendre sur le temps dégagé oour sa précieuse recherche. Tout le dernier paragraphe de la page 64 du rapport, reproduit in extenso ici, montre dans quel guêpier se sont enferrés les rédacteurs du rapport, qui ne veulent pas dire du mal de l'activité d'enseignement mais cachent très mal leur amour immodéré pour la recherche, quitte à ce que l'on développe la recherche sur la pédagogie, ce sera toujours mieux que rien : 

Cette décharge d’enseignement pourra être également mise à profit pour aider le jeune recruté à se former à la pédagogie. Ces heures de formation à destination de l’enseignant lui-même demandent beaucoup moins de temps que les heures de cours dispensées aux étudiants (qui exigent beaucoup de préparation), et laisseront du temps pour la recherche. La formation des enseignants du supérieur à la pédagogie est un enjeu important. On ne peut pas croire raisonnablement que le doctorat suffit pour maîtriser tous les savoir-faire de l’enseignant. La communauté universitaire a assez répété, dans le contexte de la formation des maîtres, qu’enseigner est un métier et que le savoir disciplinaire n’est qu’une partie de la formation, pour ne pas souhaiter cette formation au métier pour les enseignants du supérieur aussi. A ce propos, il serait d’ailleurs intéressant de faire davantage de recherche sur la pédagogie dans le supérieur. Dans l’espace européen par exemple, il existe un grand nombre de cultures de l’enseignement différentes, et des programmes européens favorisant des échanges et des retours d’expérience devraient permettre à tout le monde de progresser.

Des services universitaires de pédagogie à multiplier de toute urgence

 

Dans bien des pays, la formation pédagogique des enseignants du supérieur est une réalité prise en charge par les universités, qui disposent de services supports dédiés à cette vaste tâche. Cela ne concerne pas uniquement le monde anglo-saxon; les universités belges (voir ici l'université de Louvain-la-neuve) et suisses (voir ici université de Genève, service d'appui commun à trois Hautes écoles), pour ne parler que des universités francophones, disposent d'excellents services d'appui aux enseignants. En France, il serait malhonnête de dire que rien n'existe : 9 universités publiques sur 83 disposent d'un Service Universitaire de Pédagogie (SUP). D'autres (ou les mêmes, d'ailleurs) disposent d'un service TICE, chargé d'accompagner les enseignants dans leur utilisation des technologies pour enseigner. Voyez par exemple le blog du dispositif PédaTice, "dispositif inter-établissements de formation, d'accompagnement et de valorisation des pratiques en pédagogie universitaire et numérique", animé par Anne-Céline Grolleau. Mais force est de constater que ces services disposent de peu de moyens et sont peu valorisés, toujours en butte aux interrogations sur leur utilité réelle et le périmètre exact de leur mission. Rien à voir, donc, avec le service de soutien à la formation de l'université de Sherbrooke par exemple, qui n'est pourtant pas une université richement dotée mais dont les responsables estiment qu'enseigner est un métier qui s'apprend vraiment, et que l'on peut même avoir plaisir à exercer quand on s'y sent compétent. Au bénéfice principal des étudiants, bien entendu.

Little D. : Decline of French universities. Understanding society, 3 mars 2013.

Szczepanski M. :  : La pédagogie en premier cycle universitaire, un truc d'enseignante-chercheuse, vraiment ? On/Off, 10 mars 2013.

Vincent Berger, rapporteur général : Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche - Rapport au Président de la République - 17 décembre 2012 

Illustration : lightpoet, Shutterstock.com

 


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