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Publié le 25 février 2013 Mis à jour le 25 février 2013

Quelles plateformes et quels modèles d'enseignement pour notre culture numérique ?

Après avoir copié les modèles ancestraux d'enseignement en présence, les plateformes de formation en ligne prennent leur autonomie et s'adaptent aux bouleversements induits par la culture numérique.

Les plateformes d'apprentissage à distance ou LMS sont pratiquement toutes conçues de la même façon : avant tout comme des espaces de mise en ligne de cours, ces cours étant constitués de ressources mises à disposition par les enseignants, complétées par les activités réalisées par les apprenants, qui suivent les consignes énoncées par l'enseignant. 

Les LMS sont des TMS !

 

Selon Marcel Lebrun, professeur à l'Université de Louvain-la-Neuve, les LMS (Learning Management Systems) sont en fait des TMS : Teaching Management System. C'est l'activité de l'enseignant qui est valorisée, bien plus que l'activité de l'apprenant. Ceci correspond peu ou prou à la situation d'enseignement en présence qui prévalait lorsque furent conçues ces plateformes voici une dizaine d'années, et qui prévaut encore dans de nombreux cas, surtout en enseignement supérieur : l'enseignant est un spécialiste disciplinaire qui sélectionne ce qui doit être enseigné en fonction du niveau visé, qui prépare son matériau (le plus souvent en écrivant son cours), y ajoute de nombreuses références externes et transmet tout cela dans une classe à des étudiants silencieux qui prennent des notes. Le travail de l'enseignant ne s'arrête pas tout à fait ici, puisqu'il lui faudra encore préparer une évaluation des connaissances acquises par les étudiants, et corriger leurs productions.

Il arrive, et même de plus en plus fréquemment, qu'au travers de Travaux Dirigés ou dans une logique d'apprentissage par projet (qu'on trouve surtout dans les établissements enseignant les sciences et technologies, fortement liés au monde professionnel) les étudiants doivent réaliser des activités, seuls ou en groupes, lors de leur apprentissage. Mais en tout état de cause, c'est l'enseignant qui décide des activités à réaliser, des ressources à utiliser, et de la production à livrer. 

À l'activité de l'enseignant répond la passivité de l'élève

 

On comprend donc que la formation à distance n'a pas fondamentalement transformé l'enseignement et la manière dont les étudiants apprennent. La liberté tant vantée par les pourvoyeurs de formation en ligne concerne bien plus les modalités d'organisation de l'apprentissage (horaires d'apprentissage, localisation de l'apprenant, durée impartie aux différentes activités...) que l'apprentissage lui-même. Ce qui ne pose aucun problème à de nombreux étudiants, bien au contraire : beaucoup se réfèrent encore à une vision traditionnelle largement icônifiée du bon élève, qui se caractérise par la déférence au maître, l'obéissance aux règles et aux consignes, et par l'imitation / la restitution des savoirs transmis par l'enseignant.

La passivité extrême de l'apprenant est si constitutive de la vision encore dominante de ce que c'est qu'étudier que nombre d'inscrits à une formation en ligne ne parviennent pas à substituer la discipline personnelle à la contrainte externe. Ils abandonnent leur cursus faute d'être parvenus à intégrer le temps de l'apprentissage dans une vie dont il ne constitue plus un moment formellement et identitairement essentiel, à l'inverse de la situation qui prévaut lorsque l'on est étudiant.

Le retour en force du modèle transmissif via les xMoocs américains

 

Cette vision de l'enseignement et de l'apprentissage fait actuellement un retour en force au travers des Moocs distribués par les universités américaines sur des plateformes telles que Coursera ou EdX. L'enseignant y tient clairement le premier rôle, dans des interventions enregistrées à l'avance qui excluent toute communication synchrone avec les apprenants. Comment pourrait-il d'ailleurs y avoir communication entre une équipe composée tout au plus de 6 ou 8 pédagogues (l'enseignant et ses "teachning assistants") face à des dizaines ou centaines de milliers de participants ? Des quiz et autres exercices, des forums de discussion, viennent compléter le dispositif d'enseignement. Ce que l'on commence à avoir l'habitude de nommer les xMoocs signe donc le triomphe du contenu sur l'activité, de l'unicité sur la multitude, et de la transmission sur la co-construction. 

Tout cela est bel et bon, tant que l'on ne s'interroge pas sur l'efficacité d'un tel apprentissage à moyen terme. Les limites du transmissif sont en effet connues depuis de nombreuses années; et la terre qui a conçu et distribué les premiers xMoocs est aussi celle qui voit fleurir des alternatives éducatives fort intéressantes. C'est le cas par exemple de l'apprentissage inversé, qui connaît un succès certain au-delà des frontières américaines; de l'apprentissage individualisé; des jigsaw classrooms, présentées cette semaine par Alexandre Roberge; et même des apprentissages tout entiers réalisés au travers du jeu vidéo, qu'Alexandre suit également depuis longtemps. Le but ultime de toutes ces techniques pédagogiques est d'engager les apprenants dans des apprentissages profonds, transférables, ancrés dans leur vécu. Autrement dit, de construire des compétences. 

La compétence se construit au travers de l'activité de celui qui apprend, bien plus que de l'activité de celui qui enseigne. Et force est de constater que nos plateformes de formation en ligne, qu'elles soient utilisées pour des cours massifs ou, plus classiquement, de la formation en groupes restreints, ne sont pas prêtes à se retourner, à mettre les activités des apprenants en valeur.

Il faut donc en créer de nouvelles. 

Une plateforme centrée non sur le cours, mais sur l'activité

 

C'est à cette conclusion que sont parvenus Marcel Lebrun, co-concepteur de la plateforme Claroline (université catholique de Louvain-la-Neuve, Belgique), et Christophe Batier, co-concepteur de la plateforme Spiral Connect (université Claude Bernard Lyon 1, France). Nous l'annoncions voici quelques semaines, leur création commune se nommera Claroline Connect. Dans le noyau de cette plateforme en open source, on trouvera toutes les fonctions de gestion des parcours de formation et des accès. S'y agrègeront des espaces d'activités entièrement personnalisables dans leurs fonctions et leur aspect. Des droits d'administration modulables pourront être attribués aux différentes personnes qui participeront aux activités, à qui ne seront plus attribués des rôles préétablis. 

Dans un entretien qu'il nous a très récemment accordé, Marcel Lebrun disait souhaiter rendre l'apprentissage plus gai, plus généreux, plus distribué. "Le numérique, ce n'est pas une punition de Lucifer!", s'est-il exclamé. On perçoit parfaitement cette gaîté, bien partagée par son compère Batier, dans cette présentation vidéo du projet Claroline Connect :

 

 

L'impact de la culture numérique sur l'apprentissage et ses supports

 

Cette conception de l'apprentissage augmenté par les outils numériques témoigne d'une manière stupéfiante de l'existence d'une culture numérique si bien décrite et décryptée par Milad Doueihi dans une remarquable intervention accessible in extenso sur le site de l'Entreprise numérique  : le passage de l'informatique vers le numérique signe la création d'une culture, partagée et accessible à tous, qui modifie notre regard sur notre patrimoine, produit de nouveaux objets et engendrent de nouvelles perspectives sur nous-mêmes et notre rapport aux autres. M. Doueihi se réfère à Blaise Pascal qui avançait qu'il existe deux esprits : un esprit de géométrie et un esprit de finesse. En schématisant, on dira que l'ère de l'informatique témoignait d'un esprit de géométrie, et que nos premières plateformes d'e-learning reflétaient cet esprit; en se répandant dans l'ensemble de la société, l'informatique est devenue le numérique et l'esprit de géométrie a laissé place à l'esprit de finesse. Claroline Connect serait-elle la première plateforme de formation en ligne témoignant de cet esprit de finesse, ayant pris son autonomie vis à vis d'un modèle scolaire traditionnel qui ne coöncide plus avec la société numérique d'aujourd'hui ? Laissons Milad Doueihi conclure sur cette prise d'autonomie : 

Le numérique est à mon avis très trompeur. Il a commencé en voulant imiter, copier les choses très familières et très connues. Il suffit de se rappeler les premières pages web, qui s’appellent toujours « pages », parce qu’il y a quelque chose auquel on tient beaucoup (surtout en France) qui s’appelle le livre…

Aujourd’hui, le numérique est en train de s’autonomiser, de se libérer de cet héritage qui nous est familier. Il est en train d’imposer, ce qui est très intéressant car les questions de responsabilité deviennent centrales, d’imposer ses propres registres et repères. C’est la véritable dimension de civilisation et de culture qu’est le numérique.

Demain, des Moocs imprégnés de culture européenne ?

 

Les établissements d'enseignement supérieur européen sont ébranlés par le bulldozer des Moocs américains, dont les universités clament haut et fort leur intention de dominer le monde d'ici une vingtaine d'année, dans une parade d'intimidation dont nous avons l'habitude. L'Europe a pourtant de très bons atouts à jouer dans cette partie : elle peut s'emparer du concept de Mooc et y déverser ce qu'elle veut. Y valoriser sa culture éducative particulière, encourager l'esprit critique et la collaboration chez les apprenants (comme le Mooc connectiviste e-learning and Digital Culture, délivré sur Coursera par l'université d'Edimbourg, en est un parfait exemple), valoriser ses intellectuels et ses artistes, dont il existe déjà des miliers d'heures d'enregistrement numérique qui ne demandent qu'à être montées et intégrées à des parcours d'apprentissage. 

L'automne 2013 sera la saison des Moocs en français. Des écoles fort prestigieuses et d'autres établissements, sans doute moins connus mais tellement inventifs, vont proposer leurs cours aux francophones du monde entier. Claroline Connect sera alors à leur disposition. Si vous voulez figurer parmi les beta testeurs et vous associer à cette belle aventure, il suffit de laisser un message sous la vidéo présentée ci-dessus. 

Entrerise numérique: Pourquoi le numérique est-il une culture ? Compte-rendu d'une intervention de Milad Doueihi, 5 octobre 2011.

Rappel : Lebrun M. : Claroline Connect, ça vous dit quelque chose ? Blog de M@rcel, 22 janvier 2013.

Illustration : solarseven, Shutterstock.com


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