Mathilde Bourdat, responsable de la formation des formateurs dans le groupe Cegos, a publié un billet sur l'évaluation de la formation professionnelle. Elle préconise de croiser deux approches classiques.
Evaluer en fonction des objectifs et du niveau de compétences visé
D'abord, l'évaluation s'appuyant sur la taxonomie de Bloom, en termes d'objectifs d'apprentissage. Rappelons que Bloom a systématiquement lié des catégories et niveaux d'objectifs à des verbes qu'il convient d'utiliser pour décrire les objectifs d'apprentissage. Bloom distingue 6 niveaux d'objectifs, répartie en trois catégories : cognitifs, affectifs, psychomoteurs. L'objectif cognitif de premier niveau par exemple est mémoriser; l'atteinte de cet objectif pouvant être vérifiée par des actions telles que la récitation, l'énumération, la description, etc.
On trouvera sur le blog "Formation et e-Learning, article "La pédagogie par objectifs", une bonne présentation en français de la taxonomie de Bloom.
Ensuite, M. Bourdat s'appuie sur une taxonomie connue sous le nom de SOLO (Structure of the Observed Learning Outcomes), qui établit 5 niveaux de compréhension du sujet étudié par l'apprenant : pré-structurel, uni-structurel, multistructurel, relaitonnel, abstrait étendu. Ces niveaux peuvent être utilisés pour fixer des objectifs d'apprentissage, et pour évaluer la compréhension réelle d'un domaine par l'apprenant, au travers de ses productions : travaux écrits, réalisation de tâches, etc.
Ici, une présentation de SOLO en français, un peu complexe.
Là, une présentation synthétique et claire, mais en anglais.
M. Bourdat fusionne les deux taxonomies, en un troisième modèle simplifié dont l'intérêt est surtout de diversifier les modes d'évaluation et les produits attendus pour ce faire, selon l'objectif d'apprentissage visé. Ainsi, à chacun des trois niveaux d'appropriation d'un sujet (fondamentaux, avancé, maîtrise), correspond un certain nombre de verbes à utiliser pour formuler les objectifs d'apprentissage et les consignes d'évaluation, et des exemples de produtions attendues.
Voyez ci-dessous par exemple le résultat proposé pour le niveau intermédiaire "avancé" :
Le modèle de Kirkpatrick
Il est un autre modèle largement utilisé pour évaluer la formation professionnelle, c'est le modèle de Kirkpatrick. Ce modèle propose 4 niveaux d'évaluation :
- Les réactions. On évalue ici le degré de satisfaction des participants à la formation, pas l'apprentissage lui-même. C'est le niveau le plus massivement évalué actuellement en formation professionnelle, au travers des fameuses fiches d'évaluation dont le remplissage meuble agréablement le dernier quart d'heure d'une journée de formation.
- Les apprentissages. On évalue ici un niveau de maîtrise de connaissances ou de savoir-faire. C'est ce niveau qui est principalement visé par les deux taxonomies détaillées plus haut, à partir desquelles M. Bourdat a construit son propre schéma d'évaluation. L'examen, qu'il soit écrit ou sous forme d'épreuve pratique, est l'exercice largement privilégié pour évaluer les apprentissages.
- Le transfert. Il faut ici sortir de la salle de formation et se rendre sur le poste de travail. On évalue le degré d'utilisation sur le poste de travail des éléments vus pendant la formation.
- Les résultats. À ce dernier niveau, on évalue la productivité de la formation : quels résultats utiles à l'enteprise a t-elle produits ? Une formaiton à la gestion des conflits interpersonnels par exemple devrait générer une diminution (mesurable et mesurée) des conflits, et/ou une augmentation des règlements positifs des conflits. Une formation à l'utilisation de tel progiciel de gestion devrait générer non seulement une maîtrise du logiciel par ceux qui ont participé à la formation (transfert des acquis), mais une accélération du traitement des données, ou une diminution du nombre d'erreurs (deux résultats positifs pour l'entreprise) effectuées avec ce progiciel. Les résultats objectifs de la formation sont très rarement mesurés, car il est impossible de séparer nettement ce qui relève strictement de la formation, d'autres facteurs de progrès (facteurs internes et externes de motivation, conditions de travail, présence ou pas de collègues possédant déjà la compétence visée, etc.).
Ces quatre niveaux sont hiérarchisés. Les critiques à ce modèle n'ont pas manqué, notamment pour souligner que toutes les formations ne visent pas l'atteinte des quatre niveau, alors que Kirkpatrick estime pour sa part que toute formation doit apporter la preuve qu'elle agit bien au niveau le plus haut. Un autre ensemble de critiques touche à la difficulté de collecter des preuves de l'atteinte des différents niveaux. Ce qui a conduit Kirkpatrick (et ses enfants, tombés dans l'évaluation de la formation quand ils étaient petits et ayant rejoint la société fondée par leur père) à modifier son modèle, de manière à bien séparer la planification de la formation, fondée sur ces quatre niveau, des données à collecter en tant que preuves de l'atteinte des différents niveaux. L'exercice, assez peu concluant, est présenté dans un billet de blog intitulé "How to evaluate learning :Kirkpatrick model for the 21st century".
Un troisième ensemble de critiques enfin, est mentionné dans une fort intéressante brochure publiée par l'UQÀM en 2007, intitulée "L'évaluation de la formation dans l'entreprise : état de la question et perspectives". Certains auteurs estiment en effet qu'à l'heure du développement de la formation tout au long de la vie, l'apprenant doit être en capacité d'évaluer sa propre formation, selon des critères qui ne sont pas nécessairement ceux de sa hiérarchie, et que la frontière entre acquis de formation formelle et acquis de formation informelle n'a jamais été aussi floue.
Il existe bien d'autres modèles d'évaluation de la formation professionnelle, et la lecture de la brochure de l'UQÀM vous permettra d'en faire le tour. Quoi qu'il en soit, une chose paraît certaine, quelle que soit l'approche choisie au niveau de l'apprentissage lui-même et de son évaluation : il faut arrimer l'évaluation à une production, et de préférence une production réelle, dont la validité soit reconnue par les acteurs professionnels. Cette approche est déjà parfaitement intégrée dans la plupart des formations professionnelles initiales. On imagine mal par exemple une jeune infirmière sortant de formation initiale sans savoir faire une prise de sang à un patient réel, dans un vrai hôpital. Même chose pour un coiffeur, ou un développeur informatique. Mais cette approche est très difficile à mettre en oeuvre dans les formations professionnelles courtes; et c'est là que les modèles précédemment évoqués trouvent tout leur intérêt : pour inciter les concepteurs de formation et ses commanditaires à imaginer des situations instrumentées d'évaluation sur poste de travail. Une raison supplémentaire de rapprocher les salles de formation des lieux de travail.
Sources :
Bourdat, M. : Evaluer les acquis de formation (1). Le blog de la formation profesionnelle et continue, 16 février 2013.
Anon. : Le modèle de Kirkpatrick. Skillway, anon., non daté.
Anon. : How to evaluate learning :Kirkpatrick model for the 21st century. Social Learning Blog, Dashe & Thomson, 6 décembre 2012.
Dunberry A. et Péchard C. : L'évaluation de la formation dans l'entreprise : état de la question et perspepctives. UQÀM - CIRDEP, 2007.
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