«Information et documentation en milieu scolaire» : changements en cours. Une étude à lire.
Les réseaux entraînent l’évolution radicale de l’accès aux ressources documentaires dans l’établissement scolaire...
Publié le 12 février 2013 Mis à jour le 12 février 2013
Les Moocs étaient des grains de sable, ils sont en train de se transformer en rochers. Pas une enceinte universitaire dans laquelle on n'évoque ces cours en ligne massifs et ouverts, qui attirent des millions de participants sur les plateformes américaines. À première vue, il semblerait que ce mouvement soit en capacité d'emporter tout l'enseignement supérieur mondial dans une avalanche dont sortiront bien peu de survivants.Mais, à y regarder de plus près, on voit que les choses ne sont pas aussi catastrophiques qu'elles en ont l'air pour les prestataires d'enseignement supérieur francophones et européens.
La communication se fait mezza voce, mais celui qui tend l'oreille comprendra bien vite que plusieurs projets de Moocs en français sont en voie de finalisation. Pour plusieurs d'entre eux, les inscriptions sont déjà ouvertes :
Analyse Numérique pour les Ingénieurs, cours délivré par l'EPFL (école polytechnique fédérale de Lausanne, Suisse) sur Coursera, 7 semaines, démarrage le 18 février;
ReSOP : Les réseaux sociaux comme outils pédagogiques, cours délivré par Pedago-TIC et l'Ecole numérique (Belgique, Wallonie), sur site ouvert, 4 semaines, démarrage le 11 mars 2013;
Comprendre les états financiers, cours délivré par HEC Montréal (Québec), sur la plateforme de l'école EduLib, 6 semaines, démarrage le 12 mars 2013;
ABC de la gestion de projet, cours délivré par l'Ecole centrale de Lille (France), sur Canvas, 4 semaines, démarrage le 18 mars.
Problèmes et politiques économiques : les outils essentiels d'analyse, cours délivré par HEC Montréal (Québec), sur la plateforme de l'école EduLib, 6 semaines, démarrage au printemps 2013 (date exacte à venir) .
Deux de ces acteurs ne sont pas des débutants en matière de Moocs. HEC Montréal a offert un premier Mooc à l'automne 2012. Ce cours d'introduction au marketing a accueilli plus de 4 000 participants. L'EPFL a animé en juin 2012 un premier cours d'informatique (en anglais) sur Coursera, cours qui a accueilli... 53 000 étudiants, "Soit cinq fois plus qu’elle en réunit sur son campus, toutes branches confondues.", lit-on dans un article très exhaustif sur les Moocs en Suisse, publié sur swissinfo.ch.
En France, les couloirs des ministères, des universités et des écoles bruissent de conversations autour des Moocs. Les concepteurs d'ITyPA sont fortement mis à contribution pour parler des Moocs, pour faire état des leçons apprises, parfois (beaucoup plus rarement) pour appuyer des institutions souhaitant en monter. Nous constatons une forte volonté "d'y aller", "pour ne pas se faire bouffer par les Américains". Le besoin d'information et de méthodologie est énorme, parfois sous-estimé. Attention pourtant à ne pas agir dans la précipitation, car la médiatisation qui fait tant pour la vogue des Moocs détruit impitoyablement, et sans doute durablement, ceux qui ne tiennent pas leur promesses. En témoigne l'expérience malheureuse vécue par une conceptrice de Mooc sur Coursera, qui a du fermer le cours dans la précipitation au bout d'une semaine sous les huées des internautes et de la presse.
Cette volonté de ne pas laisser le champ libre "aux Américains" (alors que bien des universités européennes, britanniques en majorité, sont présentes sur Coursera, Canvas ou Udacity) agit comme un aiguillon sur les décideurs de l'enseignement supérieur francophones, et même européens. Pierre Aebisher, le directeur de l'EPFL citée plus haut, a pris un congé sabbatique de 6 mois pour rendre visite à ses collègues de Boston et de San Francisco, puis faire la tournée des capitales ouest-africaines pour évaluer les besoins de ce côté. L'EPFL a d'ores et déjà pour objectif de proposer au moins 10 cours avant l'automne sur Coursera. On ne sait pas encore combien de ces cours seront en français. L'intérêt de l'EPFL pour l'espace francophone africain est soutenu par son appartenance au RESCIF, réseau d'excellence des sciences de l'ingénieur de la francophonie au profit du développement, qui regroupe 14 universités de par le monde. Ensemble, ces universités pourront très certainement proposer des Moocs de grande qualité.
L'AUF (agence universitaire de la francophonie), singulièrement ignorée par M. Aebisher, envisage également de distribuer ses premiers Moocs dans le courant de l'année 2013, en mobilisant son important réseau de correspondants engagés dans la formation des enseignants.
D'autres établissements d'enseignement supérieur ont également des Moocs sur le feu, si l'on en croit les bribes d'information fournies par Educpros, sous un interview de Morgan Magnin, co-créateur d'ITyPA.
Ces initiaitives peuvent paraître bien maigres, si on les compare avec ce qui se passe en Amérique du Nord et au Royaume-Uni. Outre-Manche en effet, 16 universités coordonnées par l'Open University s'apprêtent à ouvrir Future Learn, la plateforme nationale de Moocs. Même si les plus prestigieuses universités brianniques ne figurent pas dans ce consortium, les instigateurs de Future Learn soulignent que la sélection s'est faite avant tout sur la qualité des cours. Une manière de répondre sans doute aux critiques qui sont régulièrement adressées aux opérateurs nord-américains quant à la médiocrité de certains des cours qu'ils hébergent.
Les autres pays d'Europe ne sont pas en reste et nous n'en donnerons que deux exemples. L'Université d'Amsterdam a créé sa propre plateforme et l'inaugure avec un Mooc d'Introduction à la science de la communication, qui démarre le 20 février 2013; en Espagne, l'université d'Alicante et de très nombreux partenaires ont ouvert en janvier dernier un Mooc consacré à l'entrepreneuriat, attirant plus de 11 000 participants.
Face à ces initiatives qui dégagent une énergie folle, les francophones (et les Français en particulier) semblent mûs par l'unique motivation de ne pas se laisser manger la laine sur le dos "par les Américains". Ce qui est en jeu dans cette histoire, c'est la capacité des établissements d'enseignement supérieur à attirer les meilleurs étudiants étrangers comme le dit très justement Morgan Magnin, bien plus que le fait de gagner des montagnes d'argent (puisque les pays francophones disposent de systèmes d'enseignement supérieur gratuits ou à très bas coût, contrairement aux Etats-Unis). Les Moocs seraient donc des "produits d'appel", des vitrines du savoir-faire disciplinaire et pédagogique des établissements, conduisant à des inscriptions soit dans les établissements physiques, soit dans les cursus en ligne plus traditionnels (et certainement moins massifs) de ces établissements.
Le savoir-faire pédagogique apparaît comme un élément de différenciation majeur entre les offres de cours massifs en ligne; et à ce niveau, les Européens ont une belle carte à jouer, d'après Cyril Bedel, qui est à la tête d'un projet européen de plateforme de Mooc : "Aux Etats-Unis, l’enseignement est très analytique et la pédagogie largement engagée dans une logique d’apprentissage de connaissance et de validation des acquis, à quelques exceptions près. La France, et l’Europe en générale, est plus ouverte à la formation des esprits. Pour vous donner un exemple, Michel Serres, qui a contribué à notre réflexion, rapporte qu’aux Etats-Unis, certains élèves demandent ce qu’est une bonne dissertation et s’étonnent de s’entendre répondre qu’il n’y a pas de réponse univoque". Cette différence est déjà visible sur les plateformes où se côtoient des Moocs réalisés par des universités américaines, et d'autres réalisés par des universités européennes, dans le vaste champ des sciences humaines et sociales. Dans ces Moocs européens, la pratique de l'apprentissage pair à pair est fréquente; le débat d'idées est fortement encouragé; l'effort demandé aux participants est sans doute plus grand, mais également plus productif, en termes de construction de leurs propres savoirs et connaissances.
Cette différenciation pédagogique sera d'autant plus visible qu'elle apparaîtra dans un espace clairement identifié : la plateforme francophone de Moocs. Celle-ci n'existe pas encore, et Mario Asselin ne s'est pas privé de le souligner récemment. Qui va s'y mettre ? Deux projets sont déjà bien avancés.
EDUNAO, piloté par Cyril Bedel comme nous l'avons mentionné plus haut, est un projet européen, qui fonctionnera comme les plateformes américaines : "Notre plate-forme est un prestataire de service européen d’enseignement supérieur de qualité. Des professeurs d’universités et grandes écoles viendront y dispenser leur enseignement sous la forme de vidéos, assorti de nombreux outils pédagogiques. On laissera au professeur le soin d’apporter son savoir, son expertise et son expérience pédagogique que nous enrichissons avec lui des nombreuses spécificités de l’apprentissage en ligne. On demande simplement à chacun de répondre à trois critères : être passionné par sa matière, passionnant pour ses élèves et reconnu par ses pairs". La plateforme du même nom devrait être opérationnelle au printemps 2013, mais l'on s'étonne malgré tout de ne pas voir d'avantage d'information et d'éléments visuels, si le démarage est si proche. On espère ardemment que la diversité des langues européennes y sera respectée...
Mise à jour été 2013 : le site est désormais ouvert mais ne propose toujours pas de cours, ni même d'annonces de cours. Attendons encore un peu...
Claroline Connect, plateforme qui naîtra du mariage entre Claroline, créée à l'université catholique de Louvain-La-Neuve, et Spiral, créée à l'université Claude Bernard Lyon 1. Marcel Lebrun et Christophe Batier sont les maîtres d'oeuvre de cet ambitieux projet, financé et piloté par le Consortium Claroline, où l'on trouve notamment une douzaine d'universités, la Région Rhône-Alpes, la région wallone et AWT, l'agence wallone des télécommunications. Un projet ambitieux donc, qui doit voir la naissance d'une plateforme à usages multiples, et donc capable d'héberger des Moocs. Le prototype opérationnel de Claroline Connect est prévu pour septembre 2013 et la version publique, un an après. Ce qui est un peu tard pour répondre à la demande actuelle. Néanmoins, ce projet est séduisant car il réunit de nombreux acteurs de toute l'Europe et même au-delà, il est mené par des personnes qui connaissent parfaitement les attentes et besoins des établissements d'enseignement supérieur, tout en disposant de solides équipes de conception. De plus, les plateformes Claroline et Spiral sont déjà des produits ouverts, utilisés par de nombreux acteurs, y compris des acteurs non-académiques. Autant de raisons pour voir dans Claroline Connect un acteur très crédible du Mooc francophone, capable d'accueillir des initiatives diversifiées et de stimuler le dialogue entre leurs initiateurs; et le plus tôt sera le mieux.
Entre prudence et empressement, les acteurs académiques francophones doivent donc se positionner sur le champ de l'offre de cours en ligne massifs et ouverts. Ils doivent le faire en tirant parti des expériences qui se déroulent actuellement, sans chercher à imiter les voisins mais plutôt à faire entendre leur voix propre dans le concert. Ils doivent également unir leurs forces pour aménager l'espace qui accueillera leurs produits, et donc abandonner quelques querelles de clocher au profit d'une visibilité qui leur profitera à tous. Ne pas y aller serait perçu comme une incapacité à s'adapter aux réalités de son époque; bâcler l'affaire se paierait pendant de longues années.
Sources :
Bradley S. : Éducation pour tous : les universités suisses se mettent aux cours en ligne. swissinfo.ch, 7 février 2013.
Les MOOCs ou l'université à portée de clic. Reportage vidéo sur le site de nouvo.ch, 2 décembre 2012.
MOOCs for Africa (en français). Reportage vidéo sur le site de nouvo.ch, 17 octobre 2012.
Parr C. : Futurelearn picks league table stars for debut line-up. Times Higher Education, 20 décembre 2012.
Blitman S. : Morgan Magnin (Centrale Nantes) : "Les MOOC permettent d'attirer les meilleurs étudiants étrangers". Educpros.fr, 5 février 2013.
Asselin M. : La gratuité des contenus universitaires est peut-être à nos portes ! Huffington Post Québec, 15 janvier 2013.
Les MOOC, une révolution éducative ? Projets ENT, 5 février 2013.
Lebrun M. : Claroline Connect, ça vous dit quelque chose... Blog de M@rcel, 22 janvier 2013.
Illustration : soliman design, shutterstock.com
Corps de l'article, de haut en bas :
EduLib, HEC Montréal, page de présentation du cours "Comprendre les états financiers".
Logo de la plateforme FutureLearn
En-tête du site Claroline.net
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