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Publié le 15 janvier 2013 Mis à jour le 15 janvier 2013

Tout gratuit ! Comment font-ils ?

Quelles sont les motivations de tous ceux qui partagent et produisent des ressources en ligne gratuitement ?

[email protected], un groupement d'intérêt scientifique regroupant des chercheurs en sciences humaines et sociales d'une quinzaine de laboratoires bretons, se consacre à la mesure et à l'analyse des usages numériques (la liste des chercheurs se trouve ici). On y a publié en ligne, en novembre dernier, un document intitulé Gratuité sur Internet : entre logiques individuelles et logiques communautaires.

Les auteurs  Godefroy Dang Nguyen, Sylvain Dejean et Thierry Pénard tentent d'y répondre à deux questions : pourquoi tant d’internautes mettent-ils gratuitement des ressources matérielles et immatérielles à disposition des autres ? Et comment ces contributions individuelles réussissent-elles à former des productions collectives gratuites de grande envergure comme Wikipédia ? 

Les auteurs montrent que la gratuité peut  s'expliquer par différents modèles d'affaires :  un site propose un accès gratuit mais restreint et ses services plus élaborés sont payants; ou alors, on capitalise sur un grand nombre d'utilisateurs non payants pour attirer les publicitaires qui, eux, paieront pour avoir une vitrine sur le site ou pour obtenir des informations sur les utilisateurs.

Cependant, selon les auteurs, ces modèles d'affaires n'expliquent pas tout ; il existe d'autres particularités propres aux modèles de production, d'échange et de consommation gratuits en ligne. Ces particularités tiennent notamment aux motivations individuelles des internautes et à la capacité des communautés à en organiser les contributions gratuites.

Contributions gratuites et motivations individuelles  

La gratuité dominante sur la toile s'explique en partie par le fait qu'Internet est perçu comme un bien public qui appartient à tous :  les biens numériques peuvent y être placés pratiquement gratuitement par tout un chacun. D'autre part, on peut difficilement restreindre l'accès aux données numériques, la copie étant souvent très facile à réaliser, les droits d'auteurs difficiles et coûteux à faire respecter.

La gratuité d'Internet, qui peut de ce fait continuer à être un lieu de diffusion libre malgré sa commercialisation, s'explique aussi par les motivations intrinsèques des internautes. Ces derniers peuvent en effet retirer un bénéfice indirect à faire connaître publiquement, et gratuitement, leurs compétences. Même dans le cas d'actes qui semblent purement altruistes, peut se cacher une part égoïste, le warm glow, le sentiment d'être bon et l'amélioration de l'estime de soi suite à un don reconnu par la communauté.   

Les auteurs rappellent que le don est la plupart du temps "social" dans la vie réelle : il s'agit plutôt d'échanges entre individus. On donne à quelqu'un ou à un groupe de personnes en échange de quelque chose (contre-don). Sur Internet cependant, les dons ne sont pas faits à quelqu'un ou à une communauté en particulier ; on y attend des contre-dons directs (réponses à la contribution gratuite) ou indirects (relais de la contribution gratuite à d'autres). La raison de la grande présence d'offres de biens et de services gratuits sur Internet résiderait donc également dans le fait que les internautes sont confiants que leurs interlocuteurs feront un contre-don, c'est-à-dire qu'ils retireront éventuellement un bénéfice indirect à leur contribution gratuite.

Contributions gratuites au sein de communautés diverses

Il y a plusieurs formes de communautés contributives : les auteurs de la recherche les différencient notamment par le type d'échanges qui y est en jeu et la nature de l'effort à mettre pour y contribuer.

Le texte définit d'abord les communautés d'expérience où sont donnés des avis ou des commentaires sur des biens et des produits, dans le but de mieux les connaître : la contribution gratuite y est facile et subjective (par exemple, TripAdvisor). La valeur de la communauté et des contributions dépend du nombre de commentaires qui se retrouvent  sur ces plateformes centralisées. Dans les communautés de pratique, on donne une expertise ou des savoirs sur une pratique particulières (par exemple : sport, parentalité, etc.). Les contributeurs (experts) et les bénéficiaires (novices) se regroupent sur ces plateformes d'intermédiation centralisées mais n'y sont pas sur un pied d'égalité.

Les auteurs définissent également les communautés de partage de biens numériques (légales ou illégales), des organisations décentralisées, dans lesquelles il existe une symétrie entre les fournisseurs et les consommateurs (par exemple Flickr) mais dans lesquelles on retrouve des inégalités dans les contributions individuelles, certaines beaucoup plus riches que d'autres. Enfin, les communautés épistémiques sont définies comme des plateformes centralisées au sein desquelles on construit un savoir (par exemple, Wikipédia), où les contributions varient selon l'expertise de chacun mais où le but commun est de réaliser une production de qualité.

Productions  communautaires  en ligne

Dans le texte des trois auteurs, on note qu'il doit y avoir une incitation à la contribution pour engendrer un succès tel que celui de Wikipédia et ses 6 millions de contributeurs.  En effet, la grande majorité des contributeurs aux grandes créations collectives libres en ligne est inactive, c'est-à-dire que ces participants n'écrivent pas durant de longues périodes, jouant le rôle de passagers clandestins. Pour contrer cet état de fait, on peut diviser la production  en modules, chaque partie étant effectuée par un plus petit nombre de contributeurs plus actifs. On donne en exemple la production des logiciels libres dont le développement est divisé en sous-programmes que toute personne peut utiliser ou modifier. L'effort collectif sera donc plus présent si l'on découpe le travail en sections, en modules, en articles.

Par ailleurs, la communauté devra se donner des moyens et des règles à respecter quant à la coordination des différentes parties du travail, la résolution de conflits éventuels, le contrôle de la qualité, etc.

Auto-organisation

La coordination, et ce que les auteurs du document appellent l'auto-organisation, seront essentielles à la réussite d'une production communautaire en ligne. Ils donnent en exemples certains sites de partage de pair à pair, où des règles s'appliquent, notamment par le fait que l'inscription n'est possible que sur recommandation d'un membre, et où le non-respect des règles peut conduire à  une limitation dans l'utilisation du service et éventuellement à l'exclusion de la communauté. On incite aussi les contributeurs à participer plus fréquemment en les faisant, par exemple, bénéficier de priorités de téléchargement. On souligne que plus les sites sont spécialisés et moins il y a de contributeurs, plus il y a de réciprocité et d'échanges.

Le succès de Wikipédia

L'encyclopédie en ligne créée en 2001 fonctionne à partir de contributions ouvertes, par lesquelles  tous les individus peuvent modifier, amender, ajouter ou supprimer  des parties et où s'exerce une surveillance mutuelle. Le succès de Wikipédia, selon les auteurs, tient à l'efficacité de ses règles. Par exemple,  les textes sont approuvés par tous et s'il y a des conflits sur le contenu d'articles, on peut y apposer le bandeau qui rend publique et bien visible la controverse. On y fait ainsi respecter le principe de neutralité. On y lutte contre le vandalisme qui peut donner lieu à une exclusion du contributeur fautif. Les rôles sont spécialisés et chacun contrôle le contenu à des degrés divers. D'autre part, les contenus tendent à se décentraliser avec les wikiprojets, des communautés plus restreintes  -où la non-contribution est moins présente- et où on doit là aussi respecter certains aspects du contenu et où les décisions se prennent par consensus.

Dans cette recherche dont nous avons donné les grandes lignes et qui jette un éclairage utile sur la gratuité et la production contributive en ligne, les auteurs soulignent par ailleurs que les  comportements collaboratifs sur Internet sont, en quelque sorte, devenus une norme sociale. La tendance des visiteurs à apprécier le don et à le restituer, de manière directe ou indirecte, au donateur, ainsi que la capacité des communautés à s'auto-organiser, ont permis  la forte présence de l'offre gratuite sur Internet.

LIENS

Cahier de recherche : Gratuité sur Internet : entre logiques individuelles et logiques communautaires.

M@rsouin (Mesure et analyse des usages numériques)  : http://www.marsouin.org

Laboratoire ICI Université de Bretagne occidentale : http://www.univ-brest.fr/iae/menu/Recherche/Laboratoire_ICI


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