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Publié le 30 octobre 2012 Mis à jour le 30 octobre 2012

L'intimité publique, ou le paradoxe apparent des journaux intimes en ligne

Les nombreux diaristes qui exposent publiquement leur vie sur la toile témoignent d'une nouvelle conception de l'intimité, dans laquelle le public jour un rôle essentiel

Il est courant d'entendre dire qu'Internet a pulvérisé la notion d'intimité, en l'exposant publiquement au travers des réseaux sociaux, des blogs et même des sites de journaux intimes.

Le secret n'est pas constituif de l'intimité

 

Pourtant, il est bon de revenir sur la notion de secret attachée à celle d'intimité; selon Anais Aupeix, doctorante en Sciences de l'Information et de la Communication à l'université de Toulouse 2 et auteur d'un article intitulé « Reconfiguration de la notion d'intimité : l'exemple du journal intime en ligne », publié sur le site Raison publique, le secret n'est pas constitutif de l'intimité.

Certes, à sa naissance à la fin du XVIIIe siècle, le journal intime était une forme d'écriture secrète et presque taboue. Mais dès la moitié du XIXe siècle, on a vu des journaux intimes publiés, généralement après la mort de leur auteur. Au XXe siècle, la pratique devient un véritable genre littéraire et les auteurs prendront en charge eux-mêmes la publication de leur journal, généralement sous la forme de plusieurs volumes étalés dans le temps, au fil de l'écriture. Que l'on songe par exemple au Journal d'André Gide ou à celui de Paul Léautaud.

L'interaction avec les lecteurs du journal intime en ligne

 

Cette notion de journal-feuilleton prend une tout autre dimension avec l'arrivée, dans les années 2000, des premiers sites de journaux intimes publics. Il est désormais facile de s'auto-publier et d'avoir un lectorat, non pas vague et lointain comme il l'était avec les journaux publiés sous forme de livres, mais immédiat et réactif. Les lecteurs peuvent en effet se tenir informés, via les fils RSS, de toutes les nouvelles entrées de leurs journaux préférés. Encore mieux, ils peuvent dialoguer avec les auteurs, via les commentaires. « Le journal intime en ligne est un journal qui répond », dit A. Aupeix.

De plus, l'auteur peut publier et entretenir une relation avec ses lecteurs sans se mettre en danger : l'anonymat est de mise sur ces sites. Cet anonymat se concrétise par le choix d'un pseudo, l'absence de photos de l'auteur et le codage des noms de personnes et de lieux dans le texte (contrairement aux pratiques en cours sur les réseaux sociaux). Ainsi, ces sites permettent « d'exposer la vie intime sans que cela n'ait d'impact sur la vie sociale », dit encore A. Aupeix.

Intimité et profondeur de l'exploration

 

Mais malgré cet anonymat, peut-on encore parler d'intimité lorsqu'il s'agit d'une écriture aussi publique et interactive que celle d'un journal en ligne ? Oui, répond A. Aupeix, qui souligne que la notion d'intimité fluctue selon les époques. Si le secret lui était effectivement attachée lors du XIXe siècle pudibond, les choses ont bien changé depuis. L'aube du XXIe siècle consacre en effet la parole privée; non seulement sur Internet, mais dans la totalité des médias. Que l'on songe par exemple à la presse people et aux émissions de télé-réalité. A. Aupeix se défend de voir dans ces manifestations publiques de l'intimité un goût immodéré pour l'exhibitionnisme. Elle nous invite plutôt à les considérer comme une quête d'authenticité, une « révélation de soi à soi et de soi à l'autre », qui ne peut faire l'économie du regard d'autrui. Aujourd'hui, l'intimité est moins contrainte que par le passé par la norme sociale. Il revient à chacun de définir ce qui est intime de ce qui ne l'est pas, et l'usage que l'on veut faire de cette intimité, y compris dans son degré d'exposition au public.

Si l'on revient à l'étymologie de l'intimité, on constate que cette notion a moins à voir avec le secret qu'avec la profondeur. L'intime, c'est ce qui est le plus en dedans. Tenir un journal intime reviendrait donc à explorer de manière approfondie la relation que l'on entretient avec soi-même et avec le monde et l'espace public se ferait la chambre d'écho de cette quête. Ceci, tout en tenant cette exploration à l'abri du regard des proches, grâce aux pratiques d'anonymat.

Des services qui laissent le diariste tracer la ligne entre public et privé

 

Les sites de journaux intimes connaissent parfaitement les souhaits de leurs utilisateurs, qui renégocient constamment les frontières du public et du privé . On peut par exemple lire sur le site en amour avec la vie, site québécois de journal intime, la description suivante du service proposé :

*C’est gratuit et vous pouvez choisir de garder votre journal privé ou de le rendre public.

*Vous pouvez écrire sous un pseudonyme afin de garder l’anonymat.

*Si votre journal intime en ligne est public (les autres membres du site peuvent le lire), certaines pages peuvent demeurer privées.

*Pour les journaux publics, vous connaissez le nombre de personnes qui suivent vos écrits et combien de fois chaque page à été vue. Vous pouvez ainsi déterminer lesquelles de vos entrées sont les plus populaires!

*Vous disposez d’une messagerie gratuite qui vous permet de recevoir des courriels de vos fans et de communiquer avec les autres diaristes.

L'intimité et le défi du temps

 

Et on lit, un peu plus loin :

*Votre journal virtuel sera accessible tant que le site restera en vigueur. (Le site existe depuis au moins 2003)

Cette dernière mention doit attirer l'attention des diaristes sur deux choses :

- D'une part, leur journal n'est pas éternel : si le site disparaît, le journal disparaîtra aussi.

- D'autre part et à l'inverse, le journal restera accessible même si le diariste ne l'entretient ou ne le souhaite plus.

Car Internet a décidément la mémoire très longue, bien plus longue que ce que les prestataires de service laissent entendre. Récemment et à l'occasion d'une affaire tragique, un journal intime en ligne fermé en 2008 a été remis par le fournisseur d'accès à la police lors d'une enquête pour meurtre.

Après avoir déplacé les lignes de ce qui appartient à l'intime ou pas, de ce qui s'expose ou pas, du rôle attribué aux lecteurs dans la recherche identitaire, les diaristes en ligne devront donc se pencher sur la question de la longévité de leurs pensées les plus profondes.  

Anais Aupeix : Reconfiguration de la notion d'intimité : l'exemple du journal intime en ligne, site Raison publique, 31 mai 2012.

Quelques sites de jounaux intimes : 

http://www.diariste.fr/

http://www.en-amour-avec-la-vie.com/journal-intime/journal-intime-en-ligne/

http://www.journalsecret.com/

http://journalintime.com/site/histoire-jel/

Photo : Insomnia PHTvia photopin cc


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