Durant la période estivale de 2012, les jeunes Londoniens avaient deux centres d'intérêt. Les Jeux olympiques constituaient évidemment le premier. Le deuxième se trouvait aussi sur le site olympique, mais n'avait rien à voir avec les compétitions sportives. Il s'agissait de la maison de la Suisse. Et pourquoi ces jeunes s'intéressaient-ils au pays de Roger Federer? À cause de la formation duale qui est devenue un emblème du système éducatif suisse.
Alterner école et formation en entreprise
Dans les trente dernières années, la vision britannique de l'éducation supérieure est redevenue snob : hors de l'université, point de salut. Les formations dites professionnelles ne s'adressaient qu'aux plombiers et aux menuisiers (eux-mêmes exclus de l'enseignement supérieur académique), et pas aux futurs ingénieurs ou médecins. Pourtant, jusqu'en 1980, la Grande-Bretagne subventionnait la formation aux métiers et en entreprise. Mais l'arrivée de Margaret Thatcher a changé la donne. Désormais, les étudiants paieraient pour obtenir ce type de formation. Le gouvernement travailliste qui a suivi n'a pas fait mieux, en n'investissanti que dans les études universitaires.
Aujourd'hui, avec un taux de chômage de 24% dans la jeunesse britannique, l'heure n'est plus au dogmatisme universitaire. Pour enrayer la montée du chômage, le Parlement actuel a déboursé plus de 100 millions de livres afin d'attirer les jeunes dans les formations par apprentissage et de combler ainsi les besoins du pays en matière de main d'oeuvre qualifiée. Il prend ainsi en charge 100% des coûts de formation pour les jeunes âgés de 16 à 18 ans et 50% pour ceux qui ont entre 19 et 24 ans. Grâce ces mesures, le nombre d'étudiants dans ces programmes a grimpé de 63% en deux ans. Mais le chantier est loin d'être terminé : il faudra encore créer des standards nationaux de formation profesisonnelle, à l'image de ce qui existe dans l'Europe germanique.
En effet, l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse ont adopté un modèle éducatif radicalement différent de celui qui prévaut en Grande-Bretagne, mais qui interesse beaucoup les décideurs éducatifs de ce pays. La formation duale est en effet le fer de lance d'un système éducatif qui valorise dès le début de l'école secondaire et jusque dans l'enseignement supérieur les compétences acquises sur le poste de travail. Deux tiers des jeunes Suisses par exemple, suivent un cursus en alternance. Si une partie de la semaine est consacrée aux cours théoriques, l'autre se déroule en entreprise où les apprentis acquièrent de l'expérience et des compétences en situation. Cette formation offre en outre de la flexibilité à l'apprenant qui peut changer de voie s'il se rend compte que le milieu professionnel initialement choisi ne lui convient pas. Nous sommes bien loin ici de l'apprentissage conçu comme "la trappe à mauvais élèves", tel qu'il existe dans bien des pays. Autre avantage: le jeune peut continuer à apprendre tout en bâtissant une carrière et grimper régulièrement les échelons le conduisant à des postes à responsabilité, s'il le souhaite. La Suisse, pays fédéral, s'est également assurée que les entreprises qui forment ces apprentis répondent à certaines normes afin que les élèves obtiennent des diplômes de valeur équivalente dans tous les cantons.
La Grande-Bretagne, franchisée suisse
Voyant les succès de la formation duale sur ses terres, la Suisse s'est décidée à l'exporter. Le but : inspirer d'autres pays à adopter ce modèle et ainsi améliorer le niveau de travail et de motivation chez les jeunes adultes dans le monde. Quelques gouvernements ont commencé à prêter une oreille attentive à la proposition suisse. L'Inde a désormais un projet-pilote et la Grande-Bretagne est tout ouïe aux recommandations. Mais la Suisse n'a pas l'intention de s'arrêter là. Elle ne vise rien de moins que la Chine, le Brésil, l'Afrique du Sud, le Cameroun, l'Indonésie et même les États-Unis.
Évidemment, il ne faudrait pas croire que l'implantation de formations duales à l'étranger soit totalement désintéressée. En effet, la Suisse y voit un avantage financier grâce à la franchise posée sur son système de formation) et, surtout, la possibilité d'une plus grande mobilité de ses jeunes travailleurs un peu partout sur la planète. Malgré tout, la Grande-Bretagne pourrait bien ressortir gagnante de cette expertise pédagogique qui lui permettrait d'apporter un peu d'espoir et de travail à sa jeunesse.
« La Suisse exporte son apprentissage », Swissinfo, 23 août 2012
Voir aussi : le système dual de la formation professionnelle en Suisse, Horizons et débats, octobre 2011.
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