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Publié le 02 juillet 2012 Mis à jour le 02 juillet 2012

Journées du e-learning 2012 à Lyon : un urgent besoin d'adaptation

Les règles du jeu de l'apprentissage formel sont inadaptées à la partie qui se joue désormais en ligne.

Pour la septième année consécutive, les journées du e-learning de Lyon organisées par un large consortium universitaire en Rhône-Alpes et accueillies dans les locaux de l'université Lyon 3 ont rassemblé plusieurs centaines de participants. Les séances en plénières ainsi que quelques ateliers étaient transmis en ligne et en direct, et plus de 500 personnes les ont visionnés.

Cette édition intitulée L'enfance de l'art a filé avec bonheur la métaphore du jeu et a également accueilli quelques spécialistes de l'utilisation du jeu pour apprendre. Il y fut question de simulations, de jeux de rôles, de jeu en réseau local. Mais au-delà de ces usages particuliers et néanmoins en croissance, il fut surtout et plus globalement question lors de ces journées de l'urgence constatée d'adapter les systèmes éducatifs formels aux nouvelles règles de l'apprentissage en ligne et de l'apprentissage hybride.

Ces règles, personne ne les a imposées "d'en haut", à l'inverse de celles qui tentent de régir encore aujourd'hui les systèmes éducatifs formels. Ces règles se construisent au fil des expérimentations diverses; quels que soient les outils adoptés, les objectifs pédagogiques poursuivis, les parcours proposés et les acteurs en présence, des règles majeures émergent, qui mettent massivement en cause les principes du théâtre classique occidental transférés aux dispositifs éducatifs, à savoir l'unité de temps, de lieu et d'action.

 

La fin d'un monde homogène

L'apprentissage en ligne fait exploser la notion de lieu unique : il se déroule en de multiples espaces, successivement ou en parallèle. En d'autres termes, on peut être présent ici et ailleurs au même moment, chez soi et dans la salle virtuelle de conférence ou dans la classe d'un enseignant donnant ses cours à l'autre bout du monde; en classe et sur un réseau social; dans l'établissement et au poste de commande d'un navire, dans la cabine de conduite d'un camion, dans le bloc opératoire d'un hôpital, par le biais d'un simulateur. Et il s'agit là de présences actives, l'apprenant interagissant avec ses pairs et les commandes de l'univers d'apprentissage en ligne. 

L'apprentissage en ligne bouscule également la notion de temps : grâce aux outils numériques, j'apprends potentiellement à toute heure et à toute période de ma vie. Et à l'inverse, lorsque je suis dans la salle de classe, je peux ne pas apprendre, consacrer ce temps-là à autre chose, quitte à utiliser plus tard une portion de mon temps personnel pour les apprentissages. Certes, le constat n'a rien de nouveau; mais la disponibilité permanente des outils numériques via les appareils personnels l'a remis au premier plan des préoccupations. Surtout, ces appareils et tout ce à quoi ils donnent accès permettent aux apprenants de prendre la main sur leurs apprentissages, de ne plus subir le rythme imposé par le système formel. Ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes majeurs, comme nous le verrons plus bas.

L'unité d'action a elle aussi disparu : le phénomène du multi-tâches s'est amplifié et les acteurs du système éducatif formel ne parviennent pas à le contenir. De plus, il est bien difficile désormais de distinguer ce qui, dans une tâche donnée, relève de l'apprentissage et ce qui n'en relève pas. Le transfert de compétences d'une activité à une autre s'est accéléré. Je peux par exemple être complètement immergé dans une partie de jeu en ligne et y développer des habiletés fort utiles à mes activités formelles d'apprentissage. 

 

De nouvelles règles à adopter

Ces constats qui, répétons-le, ne sont pas propres à l'apprentissage en ligne mais que ce dernier a rendu plus visibles et plus partagés, exigent désormais une adaptation des systèmes formels d'apprentissage. Car les questions se pressent chez les acteurs de l'apprentissage en ligne. En voici quelques exemples, inspirés par les réflexions entendues lors des Journées e-learning, tant chez les conférenciers que chez les participants dans les salles, et en particulier lors de l'atelier consacré à L'apprentissage augmenté que j'ai eu le plaisir d'animer, sur les thématiques développées dans le Livre blanc du même nom (en téléchargement libre et gratuit).  

- Comment comptabiliser le temps de travail d'un enseignant ou d'un formateur ? Comment distinguer ce qui relève du temps d'enseignement proprement dit du temps de préparation et de formation ? Lorsque les apprenants réalisent des activités en ligne complémentaires au temps de cours et aux devoirs qu'ils ont à réaliser chez eux, doit-on considérer que le temps global d'apprentissage alloué à une matière est augmenté ? Cela doit-il apparaître officiellement quelque part ?

Exemple : une enseignante d'anglais en collège (1e à 4e secondaire en France) a ouvert un espace sur Moodle dans lequel elle complète les parcours d'apprentissage offerts à ses élèves par la mise en ligne de ressources appréciées des jeunes : vidéos, exercices, jeux... Les jeunes élèves passent des heures dans ces espaces, au point qu'il a fallu bloquer l'accès à la plateforme après 22 heures ! Cette enseignante s'est formée seule à l'utilisation de Moodle et consacre un temps significatif à l'alimentation de son espace. Où ce temps de formation et de travail est-il comptabilisé ? Cet aveuglement (volontaire) de la part de la hiérarchie du dispositif formel ne l'empêche pas de poursuivre : elle dit en effet entrer en classe avec beaucoup moins d'appréhension qu'auparavant, car ses élèves sont désormais intéressés par l'anglais, et peuvent vérifier au quotidien, sur Moodle, que leur professeure travaille pour eux, sait ce qui les intéresse et fait l'effort de le mettre à disposition. 

- Comment délimiter le périmètre de l'activité d'enseignement, si la classe n'en est plus l'espace unique, ni même majeur ? Un établissement d'enseignement doit-il être augmenté de toutes ses extensions en ligne, y compris de celles qui n'ont pas été aménagées sur la décision d'une autorité pédagogique ou administrative ? De plus, les espaces virtuels officiels (tels les ENT, dont l'implantation dans les établissements secondaires et supérieurs français a englouti des sommes considérables) n'enthousiasment pas nécessairement les acteurs éduactifs de premier rang, à savoir les enseignants et les apprenants. Ces derniers préfèrent largement les espaces choisis comme des réponses pertinentes aux besoins pédagogiques identifiés.

Exemple : Jean-Paul Moiraud, enseignant de gestion, organise régulièrement des rencontres entre ses étudiants et des professionnels du design dans Assemb'live, univers de travail virtuel. Cette activité fait partie de son cours dont l'horaire modeste (2 heures par semaine) et intégré à un emploi du temps rigide n'autorise pas ces rencontres, pourtant essentielles à la formation des étudiants dans la mesure où elles facilitent considérablement le passage de la théorie à la pratique dans le cadre d'une future création d'activité professionnelle.  

- Comment faciliter le travail collaboratif à distance ? Certes, les outils donnent l'illusion qu'il est désormais évident de travailler ensemble à distance. Mais la réalité de l'organisation personnelle de chacun pulvérise cette illusion : le temps effectivement disponible pour le travail de groupe synchrone est très limité. D'où la nécessité de ne pas multiplier les activités collectives en ligne et, surtout, d'accorder un temps suffisant à leur réalisation. Cette règle heurte de plein fouet les pratiques traditionnelles en cours dans les systèmes formels d'éducation, dans lesquels tout le monde est censé faire la même chose au même moment. C'est Margarida Romero, professeure associée à la Faculté des Sciences de l'éducation de l'Universitat Autonoma de Barcelone, qui a exploré ce thème crucial pour tous les acteurs du e-learning, en séance plénière le vendredi 29 juin. Voici sa présentation déposée sur Slideshare :

 

 

Comment accéder à une formation adaptée à ses besoins, tout au long de la vie et dans des conditions acceptables, quel que soit son lieu de résidence ? La réponse à cette question fondamentale, qui conditionne une large part de la montée en compétences de la population mondiale, est évidemment l'accès aux ressources d'apprentissage libres et aux parcours de formation certifiants à des coûts raisonnables. Sophie Touzé, représentante de la déclinaison française du mouvement OpenCourseWare et très investie dans la mise en place d'un projet similaire au niveau européen, a dressé un tableau enthousiasmant de ce mouvement, en insistant sur le fait que les établissements d'enseignement supérieur ont tout intérêt à fournir des cours en ligne en libre accès, les apprenants hésitant moins à s'isncrire ensuite aux autres cours (payants), dans la mesure où ils ont pu juger sur pièce de la qualité de l'offre de l'établissement. Cela semble si évident que l'on se demande bien pourquoi les universités francophones ont tant de mal à adopter ce principe !

Présentation de Sophie Touzé, sur Slideshare :

 

Le coût de la formation n'est pas l'unique barrière à son accès. Il existe même un large public solvable qui se rue actuellement sur la formation à distance, dans la mesure où celle-ci répond à leurs besoins en termes de savoirs et savoir-faire, et s'adapte à leurs contraintes. Tété Enyon Guemadji-Gbedemah a présenté l'offre de formation en ligne de 2IE, établissement privé d'enseignement supérieur basé à Ouagadougou, au Burkina-Faso. En 5 ans, l'établissement est passé d'une formation en ligne et 40 inscrits à 24 formations et 1000 inscrits ! 90 % de ces inscrits sont des professionnels en activité, vivant majoritairement en Afrique. Quand la formation est adaptée aux besoins des personnes et du marché de l'emploi, diffusée grâce à des moyens modernes et fiables, et d'un coût accessible, le public répond favorablement. Voilà de quoi pulvériser bien des clichés misérabilistes sur l'Afrique. 

Enfin, on peut pousser l'initiative encore plus loin, comme n'hésite pas à le faire Jean-Marie Gilliot qui encourage déjà ses étudiants à apporter leurs propres équipements en classe. Et s'ils apportent les équipements, ils apportent aussi les contenus... Pourquoi alors ne pas tenir compte des souhaits des apprenants quant aux apprentissages les plus pertinents, utiles, stimulants... en leur demandant de proposer eux-mêmes des thèmes à aborder et des parcours d'apprentissage ? Cela contribuerait sans doute à réinvestir l'espace formel d'apprentissage, par le biais d'un engagement accru des apprenants, désormais co-responsables du choix des contenus. 

Toutes ces questions trouvent actuellement des réponses partielles. Tant mieux. Il ne s'agit pas de revenir aux vieux et dommageables réflexes habituels, voulant qu'un système central décide de tout pour tout le monde. C'est donc moins l'adaptation de tout un systèmes et de tous ses acteurs qui est demandé, que la possibilité pour chacune des pièces de ce système d'adopter par voie consensuelle, fondée sur des pratiques avérées et donnant des résultats pertinents sur les apprentissages, ses propres solutions. Quelle révolution, dans un pays aussi centralisé que la France ! 

Les Journées du e-learning ont traité bien d'autres points. Voici quelques liens vers les pages où vous en trouverez des comptes-rendus.

- Captation vidéo des séances en plénières et de quelques ateliers (mises progressivement en ligne)

- Prises de notes collaboratives sur les séances en plénière sur Framapad

- Twitter : suivez le mot-clé #JELyon

- Retrouvez les présentations de Sophie Touzé, Margarida Romero, Jean-Paul Moiraud et Cedric Manara (droit d'auteur et exception pédagogique).

 

Et pour aller encore plus loin

Ressources proposées par Jean-Paul Moiraud sur son blog "Apprendre avec un blog - Un blog pour apprendre" :

Urgences immersives et simulation - Se préparer virtuellement aux catastrophes du réel.

Bricolage - Quelques réflexions.

La pédagogie immersive - Bilan annuel d'activités 2012.

Ressources proposées par jean-Marie Gilliot sur son blog "Techniques innovantes pour l'enseignement supérieur" :

Equipements à l'école. Et si on jouait à l'AVAN ?

AVAN : une politique souhaitable pour les écoles d'ingénieurs et les universités.

Le BYOL - Bring Your Own Learning, conséquence du BYOD.

Ressources proposées par Tété Enyon Guemadji Gbedemah, sur le site du 2IE :

Présentation des formations accessibles en FOAD

Présentation complète du nouveau dispositif de FOAD

Présentation rapide

... Et n'oublions pas que Tété Enyon est rédacteur pour Thot Cursus. Actuellement trop mobilisé par la mise en place du niveau dispositif de FOAD au 2IE, il reprendra ses activités éditoriales à la prochaine rentrée. Tous ses articles sont ici.  

Ressources proposées par Sophie Touzé :

OpenCourseWare in the European HE Context

Le Congrès mondial des RE adopte la Déclaration de Paris sur les REL 2012. Site de l'Unesco.

Photos :

Titre : l'assemblée lors de l'atelier Apprentissage augmenté des Journées du e-learnig 2012.

Milieu : Margarida Romero lors de sa présentation sur le temps en e-learning. A sa droite, Yann Berghaud, l'un des maîtres du jeu de ces journées e-learning.

Bas : Jean-Paul Moiraud et Sophie Touzé, pendant l'atelier Apprentissage augmenté. Jean-Marie Gilliot et Tété Enyon Guemadji-Gbedemah intervenaient à distance et ne figurent donc pas sur la photo !

 



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