Les médias sont toujours ambivalents par rapport aux projets ambitieux. Au départ, ils sont enthousiastes, mais dès qu'il y a de l'eau dans le gaz, ils sont les premiers à s'écrier : « Voilà! On vous avait bien dit que c'était trop beau pour être vrai! »
C'est ce qui arrive avec le fameux programme OLPC (One Laptop Per Child), initié par Nicholas Negroponte. Dès 2005, le PNUD avait pour objectif d'améliorer l'accessibilité aux ordinateurs et aux TIC dans les classes des pays en voie de développementen créant un programme « un élève, un portable ». Un projet ambitieux qui exigeait la production d'ordinateurs portables à des coûts suffisamment faibles pour que ces nations puissent en acquérir.
2,5 millions de machines distribuées plus tard, une étude faite en Amérique du Sud dévoile que ce programme n'améliore pas les résultats des élèves : on ne relève pas d'écart significatifs entre les résultats des élèves équipés et ceux des élèves qui ne le sont pas. Le New York Times, The Economist, Mashable : tous ces magazines ont signalé cette étude en concluant que, finalement, l'accès à la technologie n'est peut-être pas la clé de la progression des apprenants. Certains osent même remettre en cause les programmes « 1 portable, 1 enfant », particulièrement le programme OLPC qui aurait, selon eux, raté son coup.
La blogueuse et journaliste indépendante Audrey Watters a toutefois un point de vue moins négatif sur la question. Dans son blogue Hack Education, elle note les résultats de cette étude et arrive également à la conclusion que le programme OLPC a connu des ratés. Mais elle en souligne aussi les aspects positifs.
Les bourdes d'un projet
Pour elle, le programme OLPC reste une idée noble et audacieuse qui avait du potentiel. En revanche, le programme n'a pas réussi à s'adapter à la réalité sur le terrain. Dès le départ, les concepteurs furent confrontés à un premier problème : trouver une configuration informatique assez puissante, mais peu onéreuse. Une tâche qui a pris des années et qui n'a pas abouti à un prix de commercialisation satisfaisant. En effet, le prix final des petits ordinateurs vert fut de 200 $, soit le double du prix initialement évalué. Pendant ce temps, d'autres entreprises informatiques ont fait un travail similaire et proposé des appareils parfois moins chers que ceux du programme OLPC. Encore pis, le programme n'avait pas envisagé le boom des téléphones cellulaires. Certes, ces outils n'offrent pas toutes les possibilités d'un ordinateur, mais ils sont répandus partout sur la planète, leur facilité d'utilisation et leur prix les rendant plus attirants que des ordinateurs.
Des problèmes se sont aussi présentés au niveau de la distribution et de l'usage. Comme dans le film Les dieux sont tombés sur la tête, il est arrivé que des ordinateurs soient littéralement parachutés depuis un avion dans certains villages ! Dès le début du programme, les critiques n'ont pas manqué sur les pratiques plus que discutables de distribution du matériel. Ainsi, de nombreuses écoles et élèves se sont retrouvées avec les machines sans savoir quoi en faire. La plupart des enfants ne pouvaient apporter leur ordinateur à la maison, Internet était quasi inexistant dans de nombreux endroits et seulement 70% des professeurs avaient reçu une formation de plus de 40 heures avant la distribution des ordinateurs.
Dans un tel contexte, on pouvait se douter que la qualité des usages ne serait pas au rendez-vous. Par exemple, au Pérou, où l'étude eut lieu, des intervenants ont noté que les méthodes d'enseignement ne se sont pas modifiées. Les portables servent alors de cahiers de notes de luxe. Le PDG Nicholas Negroponte s'est défendu en disant qu'il voulait intervenir le moins possible dans les usages afin de favoriser la débrouillardise et l'auto-apprentissage des élèves et des enseignants. Mais comme le souligne Watters, il y a là une contradiction gigantesque : on dit ne pas vouloir s'immiscer dans les pratiques pédagogiques... et, en même temps, on balance des ordinateurs sans demander l'avis des acteurs de terrain, comme si l'outil occidental possédait des qualités propres évidentes et incontestables.
Un programme mal évalué?
Audrey Watters se demande finalement si l'étude qu'elle cite est pertinente dans la façon d'évaluer le projet. Elle cite l'objectif initial du OLPC : donner aux enfants une solution informatique abordable afin qu'ils développent le goût d'apprendre et qu'ils soient connectés au monde et au savoir pour un avenir meilleur. Nulle part, il n'est fait mention d'amélioration des notes en lecture et en mathématiques. Ni de performances scolaires supérieures.
Alors, est-il juste d'évaluer un programme sur des résultats scolaires quand jamais il ne fut créé pour cette raison ? Pour la blogueuse et journaliste, il est clair que non. Cela ne veut pas dire que le programme OLPC ne doivent pas être revu. En effet, les problèmes d'accès à Internet, la distribution cavalière, le manque de formation pour que les professeurs intègrent l'outil dans leur enseignement et enfin la concurrence avec les téléphones cellulaires, devront être rapidement pris en compte si ses promoteurs veulent le voir perdurer.
De là à conclure à son échec total et que tous les programmes de type « 1 ordinateur, 1 élève » sont à jeter, il y a un pas à ne pas franchir.
Crédit image: One Laptop per Child via photo pin cc
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