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Publié le 10 juin 2012 Mis à jour le 10 juin 2012

L'avant-garde artistique au bout de la souris

Un webmestre a décidé de mettre en ligne des milliers d'oeuvres avant-gardistes, accessibles sans frais et sans publicité

L'avant-garde artistique est, par définition, en avance sur son temps et court donc le risque assumé de n'être pas compris ni même apprécié par le plus grand nombre. Si le web est un média de masse, il héberge aussi de nombreux sites à l'audience confidentielle, y compris dans le monde de l'art. UbuWeb fait partie de ces sites qui ne cherchent ni la publicité (dans tous les sens du termes), ni l'audience.  

Kenneth Goldsmith, universitaire et poète américain, commence son aventure numérique en 1996, en diffusant sur la Toile le contenu de recueils de poésie concrète acquis dans des brocantes. Puis, Goldsmith va plus loin en se disant que son site pourrait être la plateforme de diffusion d'art avant-gardiste sur Internet. Une vitrine virtuelle pour ces artistes que la culture populaire a délaissés. Ainsi, en plus des textes, UbuWeb comprend aujourd'hui des milliers de documents visuels et sonores, pour la plupart captation des oeuvres et performances d'artistes du XX et du XXIe siècles. Samuel Beckett, Allan Ginsberg, René Clair, Charles Bukowski... et bien d'autres, figurent ainsi au catalogue d'UbuWeb. La majorité des documents sont en anglais, mais il est possible d'en trouver dans différentes langues, dont le français. Les internautes sont même invités à collaborer au site en proposant les œuvres d'avant-garde qu'ils possèdent. D'ailleurs, des groupes se sont joints au site pour offrir, par exemple, un catalogue de créations acoustiques ou des ressources de musique électronique.

Mais ce qui impressionne le plus n'est pas tant la taille (impressionnante) de la collection que la philosophie qui sous-tend UbuWeb, et qui va à l'encontre des pratiques dominantes sur Internet.

Un pied de nez au modèle commercial et au droit d'auteur

 

Dans une entrevue publiée sur Rue 89, le créateur du site aune formule lapidaire : On s'en fout des droits d'auteur ! Un point de vue qui laisse pantois dans un contexte où l'industrie culturelle cherche par tous les moyens légaux et politiques à lutter contre le "piratage" sur Internet, de manière à maximiser ses sources de profit.

Kenneth Goldsmith détaille sa démarche dans l'entretien. Il offre les oeuvres gratuitement non par mépris pour les créateurs, mais parce qu'il sait que personne ne viendra faire valoir ses droits. Ceci, parce que les artistes ont tout intérêt à voir leurs oeuvres diffusées sur UbuWeb... Si Goldsmith avait le malheur de mettre ne serait-ce qu'une chanson de Madonna en ligne, il serait obligé de payer. Mais le risque que quelqu'un exige des redevances sur de la musique de Meredith Monk ou un film d'Ulrike Meinhof est quasi nul.

Goldsmith nous place donc devant une évidence : la protection offerte par le respect du droit d'auteur ne fonctionne pas de la même façon pour les artistes populaires et pour ceux qui ne le sont pas. Et il sert surtout les intérêts des distributeurs.  Ainsi, Kenneth Goldsmith permet aux artistes d'avant-garde, dédaignés par les principales vitrines en ligne, de faire connaître leurs oeuvres à un public qui pourra reconnaître leur talent. Et l'artiste lui-même conserve le dernier mot : s'il ne veut pas voir ses créations figurer sur UbuWeb, le webmestre les retirera aussitôt. Ceci étant dit, le site ayant acquis une solide réputation au fil du temps, bien des créateurs demandent à ce que leur travail soit déposé dans le gigantesque catalogue.

Mais Goldsmith ne s'attaque pas uniquement aux limites imposées par le droit d'auteur. Il refuse aussi toute la dimension commerciale du Web. Sur UbuWeb, aucune publicité. Plus étonnant encore : le webmestre ne veut même pas que son site soit référencé sur Google ! Cette folie du classement et de la popularité virtuelle l'horripile. Il le trouve terriblement daté et attend le jour où la reconnaissance se fera sur la qualité des contenus plutôt que sur les stratégies de référencement. Un pari risqué en 2012, mais Goldsmith assume cette décision en acceptant que cela puisse signifier la fin d'UbuWeb un jour. Dans son manifeste, d'ailleurs, il se dit surpris de la pérennité de sa création (15 ans en 2011).

UbuWeb est non seulement une vitrine pour les artistes avant-gardistes, mais c'est aussi un manifeste philosophique : celui de ne pas succomber à l'aspect mercantile d'Internet. Bien sûr, certains pourront traiter de fou un homme qui, sans publicités et sans vendre quoi que ce soit, travaille sur un site promouvant des créateurs quasi inconnus du grand public. Mais c'est une résolution assumée qui fonctionne: le site continue d'être vivant, d'accueillir de nouvelles œuvres et d'être visité. Contre toutes attentes, le pari de Kenneth Goldsmith semble réussi.

Le site d'UbuWeb

Ceux qui se trouvent perdus dans l'abondance des références proposées sur le site peuvent se référer aux listes d'oeuvres présentées dans le menu droit du site, élaborées par des spécialistes de l'art contemporain, artistes et représentants des mouvements alternatifs américains. 

 


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