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Publié le 15 mai 2012 Mis à jour le 15 mai 2012

Comment individualiser la formation dans le cadre d'un enseignement de masse ?

Voici près de 20 ans, Philippe Meirieu éclaircissait les notions liées à l'individualisation de la formation, et soulignait le caractère "insurrectionnel" de cette approche dans le cadre de l'école républicaine.

L’importance accordée à l’individualisation et/ou à la personnalisation des méthodes et des parcours d’apprentissage n’est plus à souligner. Cette approche pédagogique qui vise la différenciation de l’apprentissage et de la formation  selon les besoins d’individus et de groupes restreints est censée permettre la gestion de l’hétérogénéité du groupe et la réduction des  écarts pour un meilleur épanouissement de l’apprenant. Dès 1991, Philippe Meirieu, professeur des universités en sciences de l'éducation, explorait les diverses significations associées à l'individualisation de la formation, dans un exposé structuré en 5 parties : exploration du champ sémantique du concept d'individualisation et examen des quatre paradoxes suscités par ce concept.

 

Théories de l'apprentissage

 

Le concept d'individualisation est un concept nomade et polymorphe et  cela tient à ce qu'il se situe à un niveau de langage qui n'est pas véritablement stabilisé et dont le statut épistémologique n'est pas toujours compris, le niveau proprement "pédagogique".


Meirieu nous propose donc une exploration du champ sémantique du concept d'individualisation en croisant 6 théories de référence mobilisées par les pratiques d'individualisation avec les champs d'applications de cette notion selon les niveaux d’enseignement et les publics visés :
 

  • l’humanisme et la pédagogie personnalisée avec une focalisation autant sur l’enfant que sur les contenus,
  • la psychosociologie avec une forme d’accompagnement qui est  le tutorat selon des formes aussi différentes que l'aide à l'insertion dans un groupe, la psychothérapie ou la "pédagogie de contrat",
  • le behaviorisme avec toutes les formes d’enseignement programmé individuel,
  • la psychologie différentielle avec les expériences des "ateliers" à l'école primaire ou des "groupes de besoin" dans le secondaire, des dispositifs comme les "ateliers pédagogiques personnalisés" ou les expériences d'auto-formation assistée dans le domaine de la formation des adultes,
  • les taxonomies de la pédagogie de projet ou pédagogie de la maîtrise, dans laquelle l'individualisation est surtout liée à l'idée d'une progression rigoureuse modulée au fil du temps avec une prise en compte des rythmes de progression des personnes,
  • la psychologie cognitive constructiviste où il s'agit de mettre le sujet dans des situations d'apprentissage adaptées à son niveau de développement, de créer un système approprié de contraintes et de ressources, de prévoir un mode de fonctionnement de l'activité qui lui permettront, à lui personnellement, de construire ses connaissances.

 

Les paradoxes du concept d'individualisation

 

Le champ sémantique du concept d'individualisation suscite quatre paradoxes :

  • le paradoxe du particulier et du général, et il renvoie au problème du statut de la culture. Il s'agit en effet de prendre en compte l'individu et dans le même temps de lui donner accès à une culture, nécessairement collective. Meirieu parle ici du caractère "insurrectionnel" de la démarche d'individualisation dans le cadre de l'enseignement traditionnel, "dangereusement homogénéisant". L'enjeu est donc de faire accéder l'apprenant à la culture collective en prenant en compte son individualité.
  • le paradoxe de l'ouvert et du fermé, et il renvoie au problème du statut de la connaissance des personnes. L'approche pédagogique en effet ce caractérise par le fait qu'elle s'exerce sur des individus sans avoir une connaissance approfondie et globale de ceux-ci. Meirieu alerte le lecteur sur le fait que les typologies, les "catégories" d'apprenants pour réduire l'infini des individus à un nombre maîtrisables de profils, sont indispensables mais doivent demeurer révisables dès que l'action est engagée, de manière à ne pas enfermer la personne dans un type.
  • le paradoxe de l'intérieur et de l'extérieur et il renvoie à la question des rapports entre le développement et l'apprentissage. "Un sujet n'intègre un savoir nouveau que dans la mesure où il le perçoit comme venant de lui, répondant à des questions qu'il s'est posées, renvoyant à une vérité qu'il peut faire sienne parce qu'elle lui correspond intimement". Comment alors apporter les éléments de connaissance de l'extérieur ? Il faut organiser les situations d'apprentissage de manière à laisser au sujet la latitude nécessaire à l'examen et à l'appropriation de ces éléments externes. Mieux dit Meirieu, l'objectif ultime de tout enseignement devrait être d'apprendre au sujet à se passer des situations d'apprentissage organisées, pour qu'il "apprenne tout au long de la vie", selon l'expression consacrée.
  • le paradoxe du passé et du futur et il renvoie au statut de l'anticipation dans la pensée éducative. L'anticipation du progrès, d'un état amélioré est indispensable mais en même temps risque de provoquer des blocages et une confrontation du sujet dans ses idées reçues si le défi qui lui est posé s'avère hors de sa portée. "Le rôle du pédagogue est donc bien de déterminer l'obstacle franchissable en s'efforçant de créer les conditions pour qu'il puisse être franchi". Pour ce faire, le pédagogue dispose de la didactique, qui aménage les parcours d'apprentissage. Il doit aussi adopter une attitude donnant au sujet le "courage" d'apprendre sans être sûr de réussir. Meirieu développe longuement ce par quoi passe la construction de cette attitude. 

Phippe Meirieu explore ici une voie stimulante pour une réflexion sur l'individualisation, la personnalisation et la pédagogie différenciée à mettre en oeuvre pour que l'acte d'enseigner corresponde à l'acte d'apprendre. Chaque apprenant doit  évoluer pour son propre compte dans un enseignement équitable pour tous, certainement; mais aucune théorie à elle seule ne permet de garantir la réussite de cette gageure, le pédagogue restant l'artisan des approches à adopter selon son vécu avec ses apprenants. Philippe Meirieu dit bien préférer une pédagogie individualisée tâtonnante où l'on cherche ensemble, avec les apprenants, des modalités de regroupement provisoires, où l'on examine les difficultés rencontrées, où il reste de "l'ouvert" dans l'organisé, où l'organisé est constamment repensé et reconstruit en fonction de ce qui se passe dans cet "ouvert".

Individualisation, différenciation, personnalisation : de l'exploration d'un champ sémantique aux paradoxes de la formation. P. Meirieu, 1991 (pdf).

Pour aller plus loin :

Individualisation / personnalisation : enjeux pour le scénario et le tutorat (en formation à distance)

Site de Philippe Meirieu
 

 

 


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