Atlas des langues en danger dans le monde
L'Atlas des langues en danger dans le monde est un outil numérique interactif de l'UNESCO qui propose des données actualisées sur environ 2 500 langues en danger dans le monde.
Publié le 08 mai 2012 Mis à jour le 08 mai 2012
Véronique Litet est traductrice depuis huit ans. Elle n'a pas connu l'époque des longues séances en bibliothèque pour consulter les dictionnaires et lexiques hyper-spécialisés, ni le texte rédigé à la main. Pendant ses études, elle utilisait déjà les outils informatiques professionnels. Nous l'avons rencontrée pour qu'elle nous explique la fonction de ces outils et, plus globalement, pour en savoir un peu plus sur l'art de la traduction à l'époque des TIC.
Véronique, tu es traductrice free lance. Comment as-tu commencé dans le métier ?
Après mon bac, j'ai fait une maîtrise de Langues Etrangères Appliquées (LEA) spécialisée affaires et commerce. J'ai effectué mon année de maîtrise (la quatrième année, avant le passage au système LMD) en Italie, dans une école spécialisée en traduction et interprétation. C'est à ce moment que j'ai décidé de m'orienter dans le domaine de la traduction.
J’ai obtenu un DESS (aujourd’hui Master 2) de traduction spécialisée Ensuite, j'ai travaillé comme traductrice pendant trois ans en Angleterre, puis pendant quatre ans en Espagne. Je suis rentrée en France voici quelques mois.
Quelles langues traduis-tu ?
Je traduis l'anglais, l'espagnol et l'italien vers le français. Un traducteur travaille de préférence vers sa langue maternelle, même si certains font des traductions dans les deux sens. Mais on est plus à l'aise vers sa langue maternelle, car on en maîtrise les aspects culturels, historiques, etc. La traduction, ce n'est pas que de la compétence linguistique. Il faut avoir une solide culture générale.
Tu traduis tous types de textes ?
Jamais les textes littéraires, c'est une spécialité vraiment particulière. Je suis spécialisée dans l'économie et la finance, mais comme je travaille souvent pour des organismes d'aide au développement, je suis amenée à traduire des textes qui parlent aussi d'éducation, du climat, des migrations...
Quels outils informatiques utilises-tu ?
J'utilise des dictionnaires, lexiques et glossaires en ligne. Et surtout un logiciel de Traduction Assistée par Ordinateur (TAO).
C'est la même chose qu'un traducteur automatique ?
Non, pas du tout ! Le logiciel de traduction assistée par ordinateur est un outil professionnel. Il est composé de trois parties :
Comment utilise t-on ce logiciel ?
Le texte source apparaît dans l'application. Le texte s'affiche phrase par phrase ou paragraphe par paragraphe, que l'on appelle des « segments » dans notre métier. On ouvre le segment traduit la phrase, on la valide pour l’enregistrer dans la mémoire, puis on ouvre le segment suivant. Si la mémoire contient cette phrase, dans la fenêtre réservée à la traduction apparaît alors la phrase la plus proche que contient la mémoire. Le traducteur peut accepter la phrase telle quelle (correspondance totale) ou la modifier s’il s’agit d’une correspondance partielle. Si besoin, il effectue les corrections nécessaires, et il valide le résultat. Et ainsi de suite.
Interface du logiciel de TAO
On est quand même très proche de la traduction automatique...
Non, parce que la mémoire contient uniquement ce que l'utilisateur a déjà traduit. De plus, parfois une phrase proposée ne correspond pas exactement à celle qu'il faut écrire. Il y a toujours des petites variations dues au contexte, ou simplement à la volonté du rédacteur initial, qui a ajouté une virgule, modifié un terme, ajouté une proposition... Ces applications font gagner du temps, évite de traduire des segments identiques ou très proches et surtout, ils permettent de conserver une cohérence entre les traductions de différents documents fournis par le même client.
Quel logiciel de TAO utilises-tu ?
J'ai choisi SDL Trados, qui est très utilisé par les professionnels. C'est un des logiciels les plus anciens sur le marché, mais qui évolue régulièrement. Il existe également des logiciels libres, comme Omega T qui, selon moi, demande malgré tout une certaine habileté avec les TIC de la part de l'utilisateur. Cette opinion n'engage que moi, mes confrères plus "geeks" ne seront sans doute pas d'accord !
Les outils de TAO sont systématiquement utilisés par les traducteurs ?
C’est un outil idéal pour les textes répétitifs, les manuels, les rapport au format préétabli, etc. mais mal adapté aux textes trop créatifs, publicitaires ou littéraires.
Ces applications permettent aussi de proposer des tarifs de traduction dégressifs aux clients : quand un texte arrive, il est soumis à l'analyse du logiciel. Plus la mémoire du logiciel contient de termes et de segments identiques à ceux du texte à traduire, plus le prix de la traduction décroît.
Que penses-tu de la traduction automatique ?
Elle a son utilité. Mais il faut bien comprendre qu'en traduction automatique, l'humain n'intervient pas du tout. On entre un texte source, et l'application informatique génère un texte dans la langue cible construit à partir du contenu de sa base de données linguistiques. Plus la base est importante, meilleure est la traduction. Google Traduction par exemple fournit des résultats relativement corrects (et encore !), parce qu'un grand nombre de gens l'utilisent et enrichissent donc la base de données avec leurs propres textes. Ce qui pose quand même un problème de confidentialité des textes...
Néanmoins, la traduction automatique ne gère ni les différences de syntaxe entre les langues, ni la polysémie des termes, ni les sens figurés ou les implicites. La gestion des synonymes est également médiocre, car l'application ne dispose en général pas d'éléments de contexte en nombre suffisant pour choisir le terme adéquat.
Plus le texte est « rédactionnel » (autre terme de mon vocabulaire professionnel, qui signifie qu'un texte contient des figures de style, des expressions imagées, des phrases complexes...), moins la traduction automatique est bonne.
Donc, c'est un outil totalement proscrit des traducteurs professionnels ?
Dans des cas très spécifiques, le traducteur peut faire appel à une application de traduction automatique. J'ai vu par exemple utiliser une application de ce genre pour traduire des bulletins météo, qui ont une syntaxe et un lexique très figés.
Dans les autres cas, les traducteurs automatiques peuvent permettre au lecteur de se faire une idée du sens du texte source, mais il faut repasser longuement derrière si l'on souhaite utiliser la traduction écrite; c'est ce qu'on appelle le travail de post-édition, qui consiste à réviser un premier état de la traduction.
En résumé, je dirais que dans un texte, le traducteur automatique ne perçoit que des mots à sens univoque. Le traducteur humain ne lit pas des mots, il lit un sens. Tout son travail sur les mots et les phrases vise à conserver ce sens dans la langue cible, dans l'esprit du style de l'auteur du texte source, mais en s'adaptant aussi à l'audience qui lira le texte cible.
C'est donc un travail d'équilibriste !
Tout à fait ! Les cultures et les langues n'ont pas les mêmes constructions, les mêmes logiques internes. Il faut être capable de retrouver l'essence d'une expression dans une langue source et de l'adapter à la langue cible. Certaines langues sont très directes, d'autres au contraires enveloppent beaucoup le propos : au traducteur d'aménager le passage d'une langue à l'autre. Quand nous traduisons des livres, , il nous faut parfois changer l'ordre des chapitres, pour coller à la logique de la langue cible. Par exemple, un locuteur anglophone dira volontiers « faites ceci après avoir fait cela ». Le locuteur francophone préfèrera « faites ceci puis cela ». Les unités de mesure constituent également un grand classique de l'adaptation : un gallon américain n'est pas un gallon anglais, et n'a pas d'équivalent exact en français !
Sur Internet, on commence à voir apparaître des plateformes de traduction qui propose aux utilisateurs de faire traduire leurs textes par des traducteurs humains, et annoncent un prix au mot assez bas, de l'ordre de 5 ou 7 centimes d'euro ou de dollar. Que penses-tu de ces nouveaux services ?
Ils témoignent de la propension à vendre de la traduction au kilo, c'est à dire uniquement en fonction du nombre de mots que contient le texte source. Mais ils ne garantissent pas la qualité du produit final. Tout le monde peut se dire traducteur, ce n'est pas un métier réglementé. Qui sont les traducteurs qui prendront en charge votre texte ? Quelle expérience ont-ils ? Avec quels outils travaillent-ils ? Le texte sera t-il traduit par une ou plusieurs personnes ? Autant de questions qui restent sans réponse sur ce genre de plateformes.
Tu as choisi un statut de travailleur indépendant. Pourquoi ?
Pour la variété des tâches. Aucune journée ne ressemble à une autre. Certes, il n'est pas toujours facile de démarcher soi-même les clients, mais j'apprécie la diversité des textes à traduire, des prestations à réaliser : traduction en vue d'une publication, révision, interprétation... De plus, j’aime le rôle d’accompagnement et de conseil que je peux jouer auprès des clients directs.
Tu ne trouves pas la solitude pesante, au bout d'un certain temps ?
Mais je ne travaille pas seule ! De plus en plus, les traducteurs travaillent en réseau. Par exemple, je traduis un texte et je le donne à réviser à un collègue. Je révise également les textes traduits par d'autres. Certains traducteurs travaillent en binôme, assurant alternativement les tâches de traduction et de révision.
Pourquoi éprouves-tu le besoin de faire réviser tes traductions par d'autres ?
Cela apporte vraiment de la qualité à la traduction. Le réviseur arrive avec un oeil neuf, il voit les maladresses, les coquilles, il peut proposer des alternatives. On dépasse ses propres compétences, on s'enrichit de celles des autres.
Penses-tu que le développement des outils numériques de traduction mette en péril le métier de traducteur ?
Franchement, non. Peut-être ces outils vont-ils remplacer les traducteurs humains dans des domaines très techniques, qui s'expriment sous des formes figées. Mais globalement, si les TIC ont ôté certaines caractéristiques au métier, elles l'ont aussi beaucoup enrichi et facilité. On traduit plus et plus vite avec les TIC. Evidemment, la concurrence dans le secteur est de plus en plus forte, car le marché des langues est énorme et attire bien des convoitises (1). Il faut donc se singulariser, se spécialiser.
Les entreprises et organismes professionnels actifs à l'international doivent communiquer dans plusieurs langues; tous n'ont pas encore compris quels étaient les enjeux liés à une traduction de qualité. On voit encore de grosses entreprises faire réaliser la traduction de leurs campagnes publicitaires par des amateurs... et ensuite être la risée de leur milieu. À quoi sert d'investir des moyens considérables dans une campagne de communication écrite de très haut niveau, si celle-ci doit perdre toute sa force à cause d'une traduction médiocre ? Voyez le « just do it ! » de la célèbre marque des chaussures de sport : pensez-vous que ce slogan aurait autant de force si on l'avait transformé en « faites-le seulement » ? Parfois, il ne faut même pas traduire. Et si on le fait, il faut le faire bien.
Quels conseils donnerais-tu à un jeune attiré par le secteur professionnel de la traduction ?
Je lui dirais qu'il y a de la place pour des professionnels polyvalents, qui savent vendre leurs compétences autant que les exercer. Qu'il doit se spécialiser. Les clients apprécient d'ailleurs beaucoup les spécialistes disciplinaires qui se tournent ensuite vers la traduction. Le jeune qui veut faire de la traduction son métier doit donc avoir de bonnes connaissances linguistiques mais surtout être très à l'aise à l'écrit dans sa langue maternelle et avoir une bonne culture générale. Il doit être curieux et aimer apprendre. Pour ma part, l'apprentissage en continu est mon moteur dans ce métier. Je l'exerce depuis 8 ans; je me rends compte que j'ai déjà beaucoup appris, et que ce n'est certainement pas fini !
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(1) : "L’industrie des langues représentait 8,4 milliards d’euros en 2008. Ceci inclut la traduction, l’interprétation, la localisation de logiciels et de sites Web, la conception d’outils de traduction assistée par ordinateur (TAO), l’enseignement des langues, conseils sur les enjeux des langues et l’organisation de conférences avec une composante linguistique. Cinq virgule quatre milliards d’euros concernent la traduction, l'interprétation, et la localisation de sites Web et logiciels. La croissance du marché est estimée à 10 % au cours des prochaines années, avec un chiffre d’affaires qui pourrait atteindre 16,5 milliards d’euros en 2015.
Dans le secteur de la traduction et de l’interprétation, la tendance à la consolidation se poursuit. Les langues prédominantes du marché sont l’anglais, l’allemand, l’espagnol, le français et l’italien. Par ailleurs, la technologie appliquée aux langues et la traduction automatique connaissent un fort développement". Commission Européenne, Direction générale de la traduction, Study on the size of the language industry in the EU, (Étude sur la taille de l’industrie des langues dans l’Union européenne) 2009.
Pour aller plus loin
Retrouvez Véronique Litet sur Linkedin
Les brochures gratuites du Syndicat national des traducteurs professionnels (France) sont accessibles sur le site du SFT.
Voir en particulier :
Repères pour établir le cahier des charges d'une traduction.
Deux brochures destinées à ceux qui envisagent de faire appel à des traducteurs / interprètes professionnels.
Un exposé en accès libre sur le site de l'Université Paris Sorbonne, centre de recherches "Cultures englophones et technologies de l'information".
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Photos (de haut en bas) :
Véronique Litet
Amaury Henderick via photo pin cc
ButterflySha via photo pin cc
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