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Publié le 13 mars 2012 Mis à jour le 14 avril 2021

La responsabilité des modèles mathématiques dans la crise économique

Un modèle mathématique domine le monde de la finance. Il ne marche pas. Comment en changer ?

Depuis 2008, les crises économiques se succèdent, à moins qu'il s'agisse d'une seule grande crise qui nous montre au fil du temps ses multiples visages. Crise du crédit, crise de la dette publique, et quoi encore, dans les jours ou mois à venir ?

 

La faute aux maths, à l'informatique et aux Quants

Dans la presse financière, on penche de plus en plus en faveur d'une crise globale aux retombées multiples. Mais plus qu'une crise économique au sens strict, il s'agirait de la crise d'un modèle mathématique de gestion du risque, ultra-dominant chez les experts financiers et les agents de bourse. Les porteurs et propagateurs de ce modèle, ce sont les "quants" : "les quants sont des mathématiciens et des programmeurs informatiques réunis dans la salle du système financier mondial Wall Street. (...) L’objectif des Quants est d’éviter de nouvelles crises financières en “ quantifiant ” le comportement humain en matière d’économie et en laissant de côté le hasard et l’aléatoire. Et oui, avec les Quants le comportement humain face aux marchés est déterministe et le marché n’est plus aléatoire ! "

Cette explication nous est fournie par Patrick Jaulent, expert du risque financier, dans un excellent article intitulé "Alerte, les robots ont pris le pouvoir dans la finance !".

Le métier de "quant" (abbréviation employée pour "professionnel de la finance quantitative") est porteur; c'est un métier de spécialiste de haut niveau en mathématiques et en informatique. Peu à peu, les "quants" sont devenus les expert de l'appréciation du risque financier, comme on le lit sur le portail maths-fi, dédié à l'emploi et à la formation en finance de marché : "L’un des nouveaux rôles dévolus aux Quants est l’évaluation de ce risque global induit par la gestion de gros portefeuilles éventuellement très hétérogènes. Il doit donc concevoir (pour partie) et calculer un faisceau d’indicateurs de risque à court et à moyen terme. Cette évaluation porte non seulement sur les variations des actifs primaires, des produits dérivés mais aussi tout ce qui concerne la défaillance des émetteurs, comme par exemple le non-versement de coupon obligataire ou la perte en capital consécutifs à la défaillance temporaire ou définitive d’une entreprise. Ce dernier problème, connu sous le nom de risque de crédit ou risque de défaut a pris depuis quelques années une importance considérable". 

 

Un modèle mathématique trop simple mais qui permet d'énormes profits

Le modèle mathématique dominant dans le monde de la finance s'appelle le modèle brownien, description mathématique du comportement de particules physiques, initialement observé dans le domaine de la botanique et ensuite appliqué, à partir du début du XXe siècle, au monde de la finance. 

L'incroyable succès de ce modèle tient à sa simplicité (toute relative pour les non-spécialistes, évidemment). Mais cette qualité s'est révélée être aussi son plus redoutable défaut : "Mais le problème des quants n’est pas uniquement un problème de robots. Nous pensons en effet, que leurs travaux conduisent presque toujours à la sous-estimation systématique de ce que l’on qualifie d’événements rares", affirme Patrick Jaulent. La minoration des variations quotidiennes du cours des actions, la sous-estimation des événements exceptionnels et la foi absolue dans la rationnalité des comportements des agents a selon ce dernier conduit à la succession de crises que nous connaissons depuis 2008.

Pourquoi, alors, les financiers continuent-ils à promouvoir ce modèle ? Parce qu'il permet de générer des profits énormes, dit P. Jaulent, qui n'est vraiment pas tendre : "la minimisation des risques extrêmes permet de continuer à financer les gaspillages et les excès d’endettement qui conduit à des bulles. Il y a derrière tout cela trois types de motivations : Souvent la cupidité, le gaspillage et l’incompétence". Jaulent recommande donc de poursuivre la recherche mathématique qui conduirait à élaborer des modèles plus réalistes; il souligne également la nécessité absolue de ne pas faire une confiance aveugle aux technologies numériques (qui permettent de passer des ordres à la vitesse de la lumière) et aux modèles théoriques. Selon lui, il est plus urgent que jamais de s'intéresser à la finance comportementale, seule discipline capable de rendre compte des peurs et effets de mimétisme qui conduisent les agents financiers à prendre des décisions irrationnelles faisant mentir les modèles mathématiques.

 

Benoît Mandelbrot, ou le prêcheur dans le désert

Il est un mathématicien de grand renom qui, pendant cinquante ans, s'est battu contre le fameux modèle brownien. C'est Benoît Mandelbrot, auteur de la théorie des fractales, disparu en 2010. Benoît Mandelbrot a cherché à alerter ses contemporains sur l'inanité du modèle brownien : "Cette théorie ne prend pas en compte les changements de prix instantanés qui sont pourtant la règle en économie. Elle met des informations essentielles sous le tapis. Ce qui fausse gravement les moyennes. Cette théorie affirme donc qu’elle ne fait prendre que des risques infimes, ce qui est faux. Il était inévitable que des choses très graves se produisent. Les catastrophes financières sont souvent dues à des phénomènes très visibles, mais que les experts n’ont pas voulu voir. Sous le tapis, on met l’explosif !", lit-on dans le compte-rendu d'une interview que Mandelbrot avait accordée au journal Le Monde en 2009. Mandelbrot a lui-même ouvert la voie à des modèles plus sophistiqués, mais il a été peu écouté, dans la mesure où ce qu'il préconisait impliquait une bien meilleure prise en compte des risques et donc, une réduction significative des profits à court terme... 

Il sera difficile, selon les experts financiers, de rompre avec le modèle brownien, tant il a envahi les pratiques. Néanmoins, les prises de position de Mandelbrot sont de mieux en mieux considérées par les spécialistes des mathématiques financières, qui reconnaissent également le besoin de changer de modèle. Des modèles mathématiques améliorés, augmentés d'un peu d'humanité non modélisable fourniront peut-être des éléments de solution à la crise globale de la finance qui s'est diffusée comme un virus sur la planète entière, depuis les salles des marchés.

A lire :

Alerte, les robots ont pris le pouvoir dans la finance ! Patrick Jaulent, Finyear, 9 mars 2012

La crise n'a pas remis en cause les modèles mathématiques utilisés dans les banques. - Annie Kahn- Le Monde

photo : Occupy Wall Street shehan365 via photopin cc


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