“Ben alors les enfants, ça ne vous a
pas plu ?” demande un père de famille à ses deux (jeunes)
enfants. “Non, j’ai rien compris”, répondent-ils en chœur, à
la sortie de l’exposition. “Mathématiques, un dépaysement
soudain” n’est décidément pas conçue pour les jeunes esprits, pas vraiment non plus pour les esprits plus vieux, mais nuls en
maths... Qu’on se le dise, heureusement que les médiateurs sont
là, et surtout les étudiants en mathématiques capables de guider
les néophytes à travers un parcours jonché d’obstacles
scientifiques.
De l’abstrait au sensible
Cette exposition sur les mathématiques
implique la conception d’une expérience sensible à partir de
concepts abstraits. Comment rendre tangible la pensée extrêmement
complexe des mathématiciens pour le grand public ? Comment traduire
cette pensée à travers l’Art ? De cette réflexion, dix œuvres
sont nées. D’une certaine façon, elles illustrent la pensée
abstraite de la science, en prenant la forme de films, de collages,
de sculptures et d’installations.
La première installation est issue
d’une collaboration entre le cinéaste David Lynch, la chanteuse
Patti Smith et Misha Gromov, mathématicien. Ce dernier a sélectionné
pour sa Bibliothèque des Mystères, une série de livres ayant une
importance capitale dans notre compréhension du monde. Un film
d’animation de Lynch est projeté sur un plafond en coupole,
pendant que les couvertures des livres défilent sur un autre grand
écran au centre. La voix de Patti Smith nous berce devant ces images
incompréhensibles. La suite de l’exposition nous mène vers
d’autres écrans, grands, ronds, tactiles, sur lesquels jeux,
formules, théorèmes se succèdent. Plus loin, un œuf géant coupé
en deux abrite des robots doués de curiosité, réagissant de façon
interactive avec les visiteurs. Au sous-sol, un film de Raymond
Depardon et Claudine Nougaret est projeté sur un très grand écran,
permettant d’écouter une série d’interviews de mathématiciens
de 4 minutes.
Évidemment, on ne sort pas de cette
exposition avec la sensation d’avoir assisté à une dizaine de
cours magistraux sur la géométrie algébrique ou différentielle,
la topologie ou les équations aux dérivées partielles... Il s’agit
bien d’un parcours artistique, produit de la rencontre entre deux
mondes. Par contre, notez bien qu’on n’en sort pas non plus avec
la sensation de comprendre un peu mieux les maths, mais plutôt la
sensation d’avoir un cerveau en moins bon état que votre voisin
qui hoche la tête savamment devant des formules barbares.
De l’idée à la création
Il a fallu plus de deux ans à la
Fondation Cartier pour concevoir cette exposition, et le concours
d’une liste assez incroyable de personnalités et organismes
scientifiques. Sous la direction de Jean-Pierre Bourguignon,
mathématicien directeur de l’Institut des hautes études
scientifiques, Hervé Chandès, le directeur de la Fondation et
Michel Cassé, astrophysicien directeur de recherche au CEA et
chercheur associé à l’IAP, ont rencontré artistes et
mathématiciens de renoms. De fil en aiguille, chacun apportera au
projet sa contribution à la conception des œuvres qui seront
exposées. Au final, huit mathématiciens en seront les maîtres
d’œuvres : Sir Michael Atiyah, Jean-Pierre Bourguignon, Alain
Connes, Nicoles El Karoui, Misha Gromov, Giancarlo Lucchini, Cédric
Villani et Don Zagier. Tous issus de champs mathématiques
différents, ils vont travailler en étroite collaboration avec neufs
artistes contemporains, tous déjà exposés à la Fondation Cartier
: David Lynch, Takeshi Kitano, Jean-Michel Alberola, Raymond Depardon
et Claudine Nougaret, Beatriz Milhazes, Patti Smith, Hiroshi Sugimoto
et Tadanori Yokoo. L’équipe de Pierre Buffin, de la société BUF
spécialisée dans les effets spéciaux, apporte à cette
impressionnante équipe ses compétences pour les installations.
Autour de l’exposition
A la différence de certaines
expositions scientifiques proposant un contenu de vulgarisation au
grand public, la Fondation Cartier a tenu à travailler de façon
plus expérimentale et plus risquée. Finalement, le résultat est
aussi beaucoup moins abordable. "Cette exposition est un
manifeste contre l'anecdote et contre l'impatience" explique
Michel Cassé, commissaire de l’exposition. Si patience vous avez,
mais que vous ne souhaitez pas vous sentir trop perdu, la visite
guidée sera alors un réel atout, à défaut de pouvoir emmener un
ami universitaire ou érudit.
L'exposition physique n'est
malheureusement pas doublée d'une exposition en ligne, comme on
aurait pu s'y attendre de la part d'une si prestigieuse institution
muséale. Néanmoins, la production numérique n'est pas totalement
absente de l'événement. On pourra donc consulter et/ou télécharger
:
- une application iPad
, vous permettant de retracer un parcours intelligent de
l'exposition.
- une page spéciale sur iTunes
, qui vous permettra d’avoir accès à des podcats de conférences,
cours et outils didactiques.
- le site de la Fondation Cartier
sur lequel vous pourrez trouver de nombreux entretiens avec les
acteurs de l’exposition.
Des activités annexes sont aussi
prévues, dont des ateliers pour les enfants (qui sont sans doute
plus adaptés aux plus jeunes que l’exposition elle-même !). Le
programme complet est également disponible sur le site web de la
Fondation.
Mathématiques, un dépaysement soudain
Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris, jusqu'au 18 mars
2012.
Illustration : affiche de l'exposition.
Création Tadanori Yokoo (dessin : David Lynch / photos : ESO ; ©
Sebastian Kaulitzki/Fotolia.com)
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