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Publié le 15 janvier 2012 Mis à jour le 15 janvier 2012

Pourquoi le cours magistral existe-t-il encore ?

Le cours magistral constitue une technique d'enseignement acceptable quand il s'agit seulement de transmettre de l'information. Pour ce qui est d'apprendre, il faudra trouver autre chose.

Certes, la question est un peu provocatrice. Mais après plus dun siècle de pédagogie nouvelle, à l’ère du numérique et de la pléthore de produits technologiques à la portée de tous, elle semble légitime : pourquoi le cours magistral existe-t-il encore ?

En 2012, la situation qui voit un maître parlant une ou deux heures devant des étudiants notant machinalement ses propos représente l’ennui à l’état brut. Et les enseignants s'en rendent compte, eux qui accusent les étudiants de ne pas être concentrés, d'être clientélistes, de zapper dun sujet à l'autre... En disant cela, ils admettent en creux qu'ils ne savent plus les intéresser.

Surestimer le pouvoir de la parole

Et pourtant, nombre d'enseignants universitaires continuent de parler tout seuls devant des amphis archi-pleins.


La critique du cours magistral ne date pas d'hier. Elle s'est intensifiée à partir du moment où l'on a eu des alternatives crédibles, adaptées à la situation universitaire (public très important, enseignant chercheur transmettant un important volume de savoirs en peu de temps). Déjà en 1981, les arguments pour le cours magistral comme unique façon d’enseigner étaient dénoncés dans un texte qu’il est possible de lire sur le site de l’Université Oxford Brookes. Un document de 30 ans qui est pourtant toujours aussi pertinent aujourd’hui.

Les défenseurs du cours magistral surestiment le pouvoir de la parole et de la transmission orale de connaissance. « Le cours magistral est la seule façon de s’assurer des connaissances transmises, que les étudiants obtiennent tous les faits. » Or, cela part de la présomption que tous les apprenants ont un niveau de compréhension similaire et qu’ils retiendront tous la même chose. Pourtant, des études datant des années 1970 démontraient déjà que les étudiants avaient des perceptions variées du duscours de leur enseignant : certains le considèrent comme une liste de réponses à restituer dans les contrôles et travaux, d’autres y reconnaissent une présentation générale des problèmes et des méthodes de résolution de ceux-ci et un troisième groupe enfin a une vision mixte (réponses et méthodes) du discours professoral.

« Oui, mais cela ne dure qu’une heure. Ils peuvent bien rester éveillés pendant une heure. » Cela n’est pas tant une question d’éveil que de concentration. Les recherches dans leur majorité ont prouvé que les étudiants restaient attentifs au maximum une trentaine de minutes lors d'un cours magistral. L’idéal pour une activité de la sorte est de ne pas dépasser 25 minutes. Après cette période, l’esprit a tendance à vagabonder. « C’est parce qu’ils ne sont pas tombés sur de bons orateurs! » Cela est peu probable. Une étude a analysé les notes des étudiants après des cours magistraux. Le bilan : à peine 21% de l’information essentielle abordée dans le cours s’y retrouvait! Même en dictant son exposé, le plus charismatique des professeurs n’arriverait pas à surpasser ce résultat. Car diffuser de l'information est une chose; la trasformer en connaissance en est une autre... Et dans un cours magistral, on ne s'intéresse qu'à la diffusion de l'information, jamais à l'apprentissage lui-même, à la construction de la connaissance.

Savoir concevoir ses cours


Le texte de 1981 s’intéresse aussi aux arguments portant sur l'impossibilité d'abandonner le cours magistral, quand bien même on le souhaiterait. Sont notamment cités le manque de resosurces à disposition des enseignants, la bonne image du cours magistral à l'extérieur des universités et surtout, la méconnaissance des différentes approches par les enseignants et leur manque de compétences dans la conception de cours. Car le cours magistral n’est pas le mal incarné. Usé à bon escient, c'est une technique respectable. Mais en sachant que même le plus discipliné des étudiants aura tendance à s’ennuyer au bout d’une demi-heure de discours, il vaut mieux connaître d'autres méthodes de transmission / construction de connaissances.

L’histoire de Mike Garver, décrite dans un article du Inside Higher Ed, est éloquente en ce sens. Jeune professeur diplômé en 1998, il donne son premier cours magistral sur les principes du marketing dans une université devant des dizaines d'étudiants et son superviseur. Heureusement, la nervosité ne le gagne pas. Au contraire, à son avis, il réalise le meilleur cours magistral de sa vie. Son exposé est structuré, parfois drôle, brillant. À la fin du cours, le responsable des enseignants de la faculté le rejoint et lui dit : « C’était un super cours. Mais as-tu déjà entendu parler de la taxonomie de Bloom? Car malgré une prestation orale extraordinaire, tu as gardé tes étudiants qau bas de l’échelle de la taxonomie (Mémoriser  - Comprendre). » Son superviseur le mettra donc au défi de se surpasser pour aller au-delà de la simple transmission de savoirs.

Depuis, Mike Garver a changé radicalement ses méthodes. Les parties magistrales de ses cours sont préenregistrées et distribuées en baladodiffusion sur le site de l’université de Central Michigan. Elles sont divisées en fichiers durant de 5 à 29 minutes au maximum. Elles peuvent donc être écoutées n’importe quand et n’importe où sans que les étudiants s’ennuient. D’ailleurs, l’enseignant ne les utilise pas en classe. Il préfère que ces plages horaires servent à la consolidation des acquis des étudiants. Les cours s'amorcent avec une période pendant laquelle les apprenants répondent à l’aide de télévoteurs à des questions sur lles points traités lors des derniers cours (revue des apprentissages). Ensuite, le groupe est divisé en équipes dans lesquelles les étudiants appliquent les savoirs acquis. Ce qui correspond au troisième barreau de l'échelle des objectifs d'apprentissage identitifés par Bloom.

La question des TIC est délicate : sans la ferme intention de changer et sans être suffisamment outillés pour y parvenir, les TIC ne servent qu'à reproduire ce qui existait déjà sans elles... et qui ne mrchait pas toujours. Aunsi un enseignant peut-il se vanter d'enregistrer tous ses cours magistraux et de les distribuer en baladodiffusion. N'est-ce pas, d'ailleurs, ce qui est mis à disposition sur ITunes U ? Pourtant, la numérisation ne change rien au problème central : les étudiants auront-ils une concentration plus forte devant un écran d’ordinateur pour prendre des notes pendant une heure? Rien n’est moins sûr.

Le cours magistral n’est donc pas à bannir, mais il faut admettre qu’il possède des limites (courte attention des étudiants, consolidation des savoirs plutôt faible, absence totale de considération portée au processus d'apprentissage). Délaisser ce mode d’enseignement exige une bonne maîtrise de ses objectifs pédagogiques et la connaissance d'une gamme de techniques et d'outils (y compris numériques) à utiliser en fonction des objectifs d'apprentissage à atteindre. Un travail de taille, mais plus intéressant que de s’adresser à une foule qui a l'esprit ailleurs.

« Twenty terrible reasons for lecturing », G. Gibbs, SCED Occasional Paper No. 8, Birmingham. 1981 publié sur le site de l’université Oxford Brookes

« Exploding the Lecture », Steve Kolowich pour Inside Higher Ed, 15 novembre 2011.


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