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Publié le 27 novembre 2011 Mis à jour le 27 novembre 2011

L’open data au chevet de la démocratie

Un colloque français a expliqué et a promu l'open data pour la santé des démocraties occidentales

À quelques mois des élections présidentielles en France, un sondage a montré une défiance massive des Français envers la classe politique : 83% d’entre eux pensent que les hommes et femmes politiques ne se préoccupent pas d’eux. Le constat est brutal et similaire aux perceptions de bien d’autres sociétés occidentales comme au Canada ou aux États-Unis.

Pour lutter contre cette morosité générale, quelques gouvernements ont décidé de jouer cartes sur table avec leurs citoyens en leur offrant de consulter les données publiques gratuitement. Que ce soient la Maison-Blanche ou le parlement britannique, ces administrations publiques semblent prêts à adopter la philosophie de l’open government. Les Français n’ont pas à jalousé ces deux nations puisque depuis décembre 2011, ils ont leur portail etalab.gouv.fr développé par la mission Etalab, placée sous la tutelle du Permier Ministre.

L’open data (données ouvertes, c'est à dire consultables et exploitables par tous) serait-il donc la solution pour répondre à la crise de la démocratie? La question a intéressé le Centre d’analyse stratégique qui en a fait le thème d’un colloque organisé en novembre 2011.

L’open data, le nouveau pont entre les citoyens et les politiques

 

Pour comprendre l'importance que peut avoir l'accès libre aux données publiques, reportons-nous au milieu du XIXe siècle.

En 1854, à Londres, le district de Soho est touché par l'apparition soudaine et inexpliquée de cas de choléra. Plus de 600 personnes en moururent. Un bilan qui aurait pu être beaucoup plus élevé sans l’intervention de John Snow et du révérend Henry Whitehead qui, grâce à leur analyse des données municipales, ont découvert que tous les cholériques avaient utilisé l’eau d’une pompe en particulier. Cet événement est l'un des premiers exemples d’utilisation des données publiques pour le bien commun.

Aujourd’hui, la défiance envers les gouvernements est une autre sorte de choléra. Augustin Landier, professeur à la Toulouse School of Economics et coauteur de « La société translucide », énumère à ce propos quelques problèmes de nos démocraties : la vision à court terme des partis qui agissent toujours en vue d'une réélection tous les 4 ou 5 ans, l’absence de consensus social et les médias traditionnels qui n’arrivent plus à jouer leur rôle d’informateurs, cherchant surtout à être financièrement viables dans un contexte de migration des consommateurs vers Internet.

Comment renverser la vapeur ? Par l’open data, selon les intervenants au colloque du Centre d’analyse stratégique. En effet, d'après ces experts, l’open data répond au besoin du public d’obtenir des informations non traitées et objectives. Ceci, afin de forger son jugement sur une base rationnelle.

Le partage de données forme un pont entre l’élu et le citoyen. Un exemple réussi de ce type d'initiative est Regards Citoyens, une plateforme qui donne notamment accès aux sections Nosdéputés.fr et Nossénateurs.fr. Développés bénévolement en 2009 par quatre jeunes hommes férus de numérique et de politique, ces sites permettent aux électeurs français de comprendre objectivement ce que font leurs députés ou leurs sénateurs à l'Assemblée nationale ou au Sénat : amendements proposés, présence en commission, champ d'expertise, etc.. Ceux qui le souhaitent peuvent même s'abonner au fil RSS d'un ou de plusieurs hommes politiques, afin de connaître le détail de leurs actions. 

En Grande-Bretagne, les intiatives d'information citoyenne basées sur l'exploitation des données publiques sont déjà bien développées. Par exemple, le site indépendant « Where does my money go? » montre aux internautes britanniques où va l'argent de leurs impôts et taxes. Une fois leur salaire annuel sélectionné, ils peuvent constater combien d’argent sera dépensé en éducation, en santé, en culture, etc. Chaque grande catégorie contient des subdivisions pour voir exactement la contribution dans plus de détails. Ces calculs sont basés sur les données publiques du gouvernement britannique. De cette façon, le contribuable prend conscience de son apport à sa société. Dans la même ligne, le Centre d’analyse stratégique français prépare actuellement un logiciel gratuit et libre de simulation des impôts et des prestations sociales qui sera mis en ligne prochainement.

Une telle transparence dans les données publiques pourrait aussi, selon Séverin Naudet de l’Etalab, diminuer le populisme et l’extrémisme grandissant en politique, améliorer le rendement économique de la France et même stimuler la recherche scientifique.

Les réticences que suscite l’open data

 

Devant cette pléthore d’arguments en faveur de l'open data, pourquoi n'y a t-il pas plus d'exemples de l'exploitation des données publiques ? La réponse est simple : il y a encore de la résistance. Ouvrir les données à tous amène inévitablement à afficher ses failles et à s'attirer des critiques. Ce que les pouvoirs publics ne sont pas toujours prêts à assumer. Par exemple, beaucoup de députés français ont été mal à l’aise et ont contesté le processus de collecte des données de Nosdéputés.fr sur leur présence en commission.

Augustin Landier souligne d’ailleurs trois objections classiques à l’open data:

  1. « Trop d’information tue l’information » ou « Les gens ne pourront pas comprendre ces données brutes, cela les fera paniquer ». Le professeur Landier considère cet argument comme un jugement méprisant envers les citoyens. Au contraire, selon lui, ils pourraient bien mieux comprendre une situation en ayant toutes les informations en main.
  2. « Ouvrir la porte à l’open data, c’est ouvrir la porte à Big Brother ». Faux, d'après les experts de l'open data, puisque les données réclamées existent déjà dans les instances publiques. En certaines occasions, il faudrait s’ajuster et s’assurer de l’anonymat des gens, mais l’open data n'engendra pas plus de collectes de données sur la population que ce qui se fait actuellement.
  3. « Cela coûterait trop cher. » Au contraire, car l’investissement mis dans la libération des données permettra d’améliorer les services publics, d’augmenter la croissance économique, la recherche commerciale et académique, etc.

 

Le coût de l'accès à certaines données constitue un autre sujet de litige. Benjamin Ooghe-Tabanou, cofondateur de la plateforme Regards citoyens, estime que la notion-même d'open data implique la gratuité de l'accès. Il suggère d'instaurer un système d'amendes pour les sociétés exploitant les données de manière à les contraindre à partager leurs banques de données. M. Ooghe-Tabanou insiste aussi sur le fait que l'open data doit être sous licence libre et dans des formats ouverts afin d'être pérenne. Il cite ici quelques-uns des dix principes auxquels les données ouvertes doivent satisfaire, selon la Sunlight Foundation qui les a énoncés.

L’Occident vit une crise de confiance profonde envers ses institutions politiques. Il est temps pour les membres de la classe politique d’adopter une gouvernance plus transparente et collaborative avec le citoyen afin d’éviter que cette défiance ne dégénère et ne jette les citoyens vers les extrêmes. Cela demandera un important effort de la part des gouvernements. Mais pour tous les participants du colloque, une chose est claire : l’open data pourrait bien sauver nos démocraties.

 

Source : Le colloque "Nouveaux usages d’Internet, nouvelle gouvernance pour l’État" du Centre d’analyse stratégique (vidéo)

Illustration : capture d'écran de la page d'accueil du site du Centre d'analyse stratégique, avec présentation du colloque "Nouveaux usages d’Internet, nouvelle gouvernance pour l’État".


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