Si l’attention médiatique s’est portée davantage sur les
problèmes économiques européens dans les derniers mois de 2011, l’économie
américaine n’est pas au beau fixe non plus. Le pays, porteur de la philosophie de « l’American Dream » dans le monde, affronte actuellement de multiples crises en matière politique, financière et même en éducation comme en témoigne le documentaire Waiting for Superman.
Dans un contexte où l’on sabre massivement dans les budgets publics,
des initiatives d’intégration des technologies de l’information et de la
communication sont perçues comme onéreuses et superflues. Il y a 3 ans, alors
que cette morosité s’amorçait, le district scolaire de San Diego, en
Californie, mettait en place le projet i21. Un programme qui se chiffrait à 2,1
milliards de dollars américains! Pourtant, ce qui semblait être une folle
dépense s’est avéré être un investissement de choix.
Un projet ambitieux
Qu’est-ce que le projet i21? Pour le district de San Diego,
il s’agissait d’équiper les écoles en TIC. Et la liste de ces technologies est
longue : tableaux blancs interactifs, postes de travail informatiques pour
les élèves et les enseignants, ordinateurs portables pour les professeurs,
systèmes audiovisuels, imprimantes, accès à la technologie sans fil partout,
etc. Bien entendu, tous ces équipements devaient servir le projet pédagogique. Par
exemple, dans un groupe, tous les élèves recevaient un miniportable qui pouvait
se connecter sur le réseau scolaire autant en classe qu’à la maison grâce à la
technologie 3G. Le but du projet i21 était de motiver les apprenants, leur
donner une flexibilité d’apprentissage et, évidemment, améliorer leurs
résultats scolaires. L’intégration des TIC était progressive, s’amorçant avec
quelques écoles en 2009-2010 et s’étendant petit à petit dans le district.
Les débuts furent difficiles. Toutes les écoles
n’étaient pas prêtes à changer aussi radicalement les manières d’enseigner et à
adopter les technologies. Il a donc fallu accompagner les établissements
dans le processus. Heureusement, la compagnie informatique Intel a été une
alliée de taille à cette étape en proposant une marche à suivre pour une
intégration intelligente des TIC.
De plus, l'économie chancelante a eu un impact négatif
sur le programme. Les administrateurs ont dû sauvegarder le projet
tout en faisant de grosses coupures dans le personnel, notamment dans le corps professoral. Cette restructuration a causé quelques problèmes d'organisation. Ainsi, certains enseignants formés pour utiliser les TIC se sont retrouvés dans des
classes non informatisées et vice-versa. Enfin, il a fallu se doter d'un
code de conduite en matière d’usage des réseaux sociaux et de mécanismes de
protection pour sécuriser la navigation des élèves.
Coûteux, mais pédagogiquement payant
Évidemment, dépenser 2,1 milliards de dollars sur un tel
projet peut sembler de la folie pure. Les raisons expliquant une facture aussi
salée: le coût de ces technologies, leur implantation et la formation des enseignants
et administrateurs à ces nouveaux outils et leurs possibilités. Pourtant, 2 ans
plus tard, alors que le projet i21 s’est étendu dans de nombreuses écoles du district
de San Diego, les premiers résultats démontrent que cette dépense valait son
pesant d’or.
En premier lieu, les professeurs sont maintenant convaincus de l'intérêt des TIC. Si à peine 26% d’entre eux utilisaient des technologies en classe
avant le projet, ce nombre a grimpé en une année jusqu’à 62%! Un changement qui
a eu des impacts également sur les résultats scolaires:
- Nombres d’écoles du district
nommés établissements d’excellence de Californie : en 2007-2008 et
2008-2009, il se chiffrait à 6. En 2009-2010, il est passé à 16.
- Pourcentage d’élèves passant les
tests avancés en anglais : de 47% à 56% en deux ans.
- Pourcentage d’élèves passant les
tests avancés en sciences: une augmentation de 15% (de 42 à 57%).
- Nombre d’examens avancés de
placement (NDLR: Ces tests donnent des crédits universitaires à ceux
qui les réussissent.) effectués par les élèves du secondaire : de 9272 en
2007-2008 à 12 267 en 2009-2010.
Les enseignants constatent une motivation accrue chez les élèves, autant parmi ceux qui réussissent bien que chez ceux qui sont en difficulté et s’améliorent avec ce programme.
La dernière étape de déploiement du projet sera franchie en 2012-2013, lorsque tous les
établissements du district de San Diego seront équipés. Pour que cette extension se fasse en douceur, des séminaires et des programmes de parrainage
sont prévus. Les professeurs du i21 pourront donc partager leurs bonnes pratiques avec leurs collègues.
Comment expliquer que le projet ait réussi? Tout d’abord, il
y a eu une communication très forte entre tous les intervenants du milieu (administrateurs,
enseignants, parents, membres de la communauté et même les entreprises locales)
pour que tous comprennent le processus et participent à ce changement radical
des façons de faire à l’école. La deuxième raison tient à l’approche holistique du
programme. Ses dirigeants n’ont pas voulu simplement installer dans les classes un parc
technologique dernier cri. Ils ont encouragé les changements de pédagogie, dans le sens d'une plus grande participation des élèves dans la construction de leurs apprentissages, y compris au-delà de l'enceinte de la classe.
Le contexte économique américain ou européen ne prête pas à
sourire ces derniers temps. Néanmoins, l’i21 de San Diego est une démonstration
que de tels investissements ont un impact réel sur les élèves et leur réussite
à l’école. Ces grandes dépenses pourraient bien enrichir les travailleurs de demain qui détiendraient alors les clés pour nous sortir de la morosité ambiante. L’expérience californienne prête en tout cas à
réfléchir sur cette question.
"Reinventing Education, Revisited", eSchool News, 30 septembre 2011.
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