Sayansi : dans la peau d'un travailleur humanitaire
Un serious game sur la complexité de l'intervention humanitaire.
Publié le 15 novembre 2011 Mis à jour le 15 novembre 2011
A la fin du mois d'octobre 2011, le quotidien canadien The Globe and Mail a publié un copieux dossier consacré aux nouvelles formes d'aide internationale et de philanthropie. Dans ce dossier, on pouvait lire un passionnant article de Doug Saunders intitulé "Save the World, Inc. : The Revolution of Philanthropy 3.0". L'article, toujours disponible sur le site du Globe and Mail, peut être lu de façon plus confortable sur le site de l'auteur.
Que nous apprend cet article ? Entre beaucoup d'autres choses, que le numérique a bouleversé le "tiers secteur", celui des organismes sans but lucratif et, plus précisément, celui de la solidarité internationale, qu'il s'agisse d'action d'urgence ou d'aide au développement.
Ce bouleversement est intervenu aux deux extrémités de la chaîne de l'aide, depuis le donateur privé jusqu'aux principaux organismes chargés de récolter et distribuer les fonds destinés à l'aide.
Le don privé a en effet changé avec les outils numériques : désormais, le chèque annuel adressé à une ONG traditionnelle (MSF, Care, Oxfam, Croix-Rouge...) semble sur le point de se faire dépasser par les innombrables appels aux dons réalisés par de micro-organismes qui affirment pouvoir acheminer l'aide ainsi collectée plus rapidement et plus directement à ses bénéficiaires. Dons par SMS, campagnes menées sur Facebook et Twitter, permettent à de nouveaux publics (les jeunes d'une part, les habitants des pays émergents d'autre part) de participer à la solidarité internationale.
Saunders souligne que l'aide apportée à Haïti après le tremblement de terre du début de l'année 2010 est représentative de cette tendance : d'innombrables organismes petits et gros se trouvent sur place pour utiliser l'argent collecté par le biais des outils numériques. Ils entrent en concurrence directe avec les organismes d'aide traditionnels, qui se plaignent de voir leurs actions (mal) répliquées par des amateurs qui n'adoptent pas les bonnes pratiques du secteur. Cet ensemble d'acteurs d'un nouveau genre constitue ce que Saunders appelle "la troisième vague (des organismes d'aide), née de la mondialisation, de la crise et de la technologie, qui est à la fois plus dynamique et moins stable que le groupe d'acteurs d'hier".
Ces nouveaux acteurs omniprésents dans l'espace numérique mettent en avant plusieurs caractéristiques de leur action :
- Elle permet les micro-dons. la fondation One créée par l'acteur chinois Jet Li par exemple, permet des dons de un yuan (11 centimes d'euros, 16 cents de dollar canadien).
- Elle est ciblée sur des projets ultra-précis, parfois même sur des individus : financer une année scolaire pour un enfant, assurer une année de nourriture pour une famille...
- Elle n'est pas nécessairement réalisée à fonds perdus. Le prêt gagne du terrain pour financer des initiatives génératrices de revenus. Sur le site Kiva par exemple, les volontaires financent des projets individuels, par exemple pour aider un vendeur des rues de Kinshasa à acheter son stock. ils récupèrent ensuite leur mise (25 dollars) avec intérêts, et le site prend lui aussi une commission. Le modèle est donc celui du "profit" aux trois niveaux : le prêteur, le site (l'intermédiaire) et le bénéficiaire du prêt. Et le modèle fonctionne, d'après ce qu'on lit sur le site, puisque plus d'un million de dollars est distribué sous forme de prêts chaque semaine, et que le taux de remboursement est de près de 85 %.
A l'autre bout de la chaîne, là où les organisations géantes collectent et distribuent d'énormes sommes d'argent, on trouve des consortium qui réunissent gouvernements, ONGs et entreprises, et quelques milliardaires qui cherchent à corriger les effets d'un capitalisme débridé sur le spopulations les plus défavorisées avec les produits du capitalisme. Parmi eux : Bill Gates. "La Fondation Gates est désormais à la philanthropie ce que Microsoft est à l'industrie du logiciel pour ordinateur personnel", dit Saunders. Il dit aussi que Gates a abordé le domaine de la philanthropie avec les lunettes de l'ingénieur. Là où, dans les organisations internationales, il faut des années de discussion et de planification avant d'engager une action, là où on peine à mesurer l'impact des projets et où ces derniers sont mis en oeuvre sur 3 ou 5 ans au maximum, la fondation Gates promeut la mesure quotidienne de l'efficience et de l'efficacité de l'aide, une réactivité extrême en dotant les organisations au plus près du terrain et travaillant sur des problématiques ciblées, et des projets de 5, 10 ou 20 ans.
Les milliards ainsi déversés font tourner des projets extrêmement ambitieux, auxquels nul organisme d'aide traditionnel n'oserait penser : créer une nouvelle espèce de riz à cultiver dans toute l'Afrique, à la fois résistante aux inondations et à la sécheresse, en prévision du changement climatique à venir; réformer de fond en comble l'enseignement secondaire et post-secondaire aux Etats-Unis; éradiquer le VIH. La Fondation Gates est, avec la Clinton Global Initiative, à l'origine de la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en 2002. Sa puissance financière est telle (dotation initiale de plus de 33 milliards de dollars, puis dotation annuelle de 3 milliards de dollars) qu'elle sert de catalyseurs aux autres donateurs et finance aujourd'hui tous les maillons de la chaîne de l'aide, des Nations Unies aux organisations de base, en passant par les grosses ONGs et les Etats. Certains estiment même que les sommes mises à disposition sont trop importantes, que les acteurs de l'aide n'ont pas les capacités de les absorber.
Tout en reconnaissant le changement intervenu dans le secteur de l'aide ces dernières années et leur intérêt, les acteurs professionnels classiques insistent sur la nécessaire coordination des initiatives, non seulement sur le terrain de l'urgence après catastrophe, mais aussi sur celui de l'aide au développement. Des pays sont surinvestis par les donateurs en tous genres, qui ont chacun leur propre agenda et priorités. Et les clusters mis en place par les Nations Unies après le tsunami de 2005 sont loin d'intégrer tous les donateurs.
En matière d'aide internationale comme en bien d'autres domaines, les outils numériques autorisent la prise d'initiative personnelle et génèrent des mouvements de grande ampleur avec lesquels il faut désormais compter. Qu'il s'agisse des quelques euros ou dollars du donateur individuel ou des fortunes des milliardaires des secteurs informatique et des télécommunications, l'aide 2.0 est devenue incontournable. L'argent est là, il faut maintenant l'utiliser de la manière la plus efficace possible.
A lire absolument : Save the World, Inc. : The Revolution of Philanthropy 3.0. Doug Saunders, sur son site personnel, 30 octobre 2011.
Illustration : Haïti après le tremblement de terre. Colin Crowley, Flickr, licence CC BY 2.0
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