Lorsqu’on dit littérature, on pense aux œuvres romanesques
des Flaubert et Zola ou aux vers de Nelligan et Baudelaire. Il ne nous
viendrait jamais à l’esprit d’y inclure Twitter, un outil qu’on associe aux SMS
avec des abréviations douteuses et des syntaxes épouvantables justifiées par la
limite de 140 caractères. Et pourtant, au Québec, un homme a entrepris une croisade
pour que s’amorcent des projets-pilotes de twittérature dans les écoles
secondaires.
L’histoire commence avec l’initiative d’une enseignante de
français, Annie Côté, de l’école secondaire Les Sentiers de Charlesbourg en
banlieue de la ville de Québec. Pour ses élèves de 16-17 ans, elle décide
d’inclure Twitter comme plateforme de devoirs. Ainsi, comme l’explique cet article
du Café pédagogique,
le site de microblogging est devenu un lieu pour rendre de courts hommages,
présenter une nouvelle ou un fait divers, créer une petite annonce ou même
décrire un rêve. Ces contraintes obligeaient les apprenants à stimuler leur
imagination et, surtout, à bien écrire malgré la limite de 140 caractères.
Intéressé par cette expérimentation, le cofondateur de l’Institut
de twittérature comparée et poète Jean-Yves Fréchette est allé à la rencontre du ministère québécois de
l’Éducation pour les convaincre de financer des projets-pilotes dans des
écoles secondaires de la province. Ainsi, à la fin du mois de mai 2011, il leur a exposé son argumentaire.
Pour M. Fréchette, la twittérature pourrait améliorer les
compétences en rédaction française et dans les dictées. Mais comment cela pourrait-il
se produire avec un outil de 140 caractères alphanumériques? Par le plaisir que
procure cette technologie, en premier lieu, et par la contrainte qu’elle offre
également. En effet, pour celui qui gazouille sous le pseudonyme de Pierre-Paul
Pleau, obliger les élèves à rédiger une pensée en 140 caractères peut être comparé
à ses hommes et femmes qui se sont donné des défis littéraires :
quatrains, alexandrins, haïkus, etc.
Sujet de débat, mais déjà employé
En 2010, d’ailleurs, Jean-Yves Fréchette avait participé à
un débat sur la littérature Twitter dans le cadre du Festival Metropolis Bleu à
Montréal (que l’on peut visionner sur cette page).
Car évidemment, un art d'écrire aussi récent est sujet à polémique. Par
exemple, plusieurs se questionnent sur le risque d’habituer les adolescents à
un style littéraire si court: seront-ils en mesure de tolérer des lectures plus
longues? M. Fréchette réfute cet argument en affirmant qu'ils peuvent très bien
lire les deux. D'autant plus que plusieurs romans sont désormais disponibles
dans un format électronique qui les rejoint davantage.
Qui plus est, il peut trouver des alliés dans des expériences
déjà établis dans des classes en France également. On peut citer ce projet de
Delphine Regnard du Lycée Saint-Exupéry:
citations, haïkus et communications entre élèves étaient au programme. Du côté
de Web Pédagogique, Claire de la Rochefoucauld propose deux exercices
littéraires sur Twitter : un sur les vers et un autre de cadavres exquis.
La croisade de twittérature de Jean-Yves Fréchette n’est
donc pas une lubie. Il y a un réel intérêt pédagogique pour la matière comme le
souligne ce dossier de Café pédagogique.
Pour l’instant, le ministère québécois de l’Éducation n’a pas donné de réponse
claire à son exposé. Néanmoins, celui-ci soutient que les premières réactions
de la ministre Beauchamp à ses arguments ont été assez positives. Maintenant,
la question est de savoir si la twittérature sera adoptée à plus grande échelle
au Québec et dans le reste de la francophonie.
Compte Twitter de Pierre-Paul Pleau alias Jean-Yves
Fréchette
« La twittérature, outil pédagogique », Lisa-Marie
Gervais, Le Devoir, 16 juin 2011.
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