On ne lit pas sans un certain embarras les articles qui se sont
multipliés ces derniers mois autour du plagiat littéraire et
journalistique et du plagiat à l'université.
C'est que l'art, musical, pictural, littéraire ou architectural
nous a habitué à considérer autrement que sur le mode de la faute,
de la culpabilité la frontière
entre une oeuvre originale, son emprunt ou son
imitation.
Le plagiat, « péché » d'artiste
Hélène Maurel-Indart, universitaire enseigne la
littérature à l'Université François-Rabelais à Tours et a
écrit un ouvrage sur le plagiat en 1999, à l'époque où le sujet
était encore tabou. Elle le définit comme une "zone grise"
difficile à cerner, entre emprunt servile et emprunt créatif. Cet
ouvrage vient d'être réédité et réactualisé en 2011, en
collection de poche avec quatre nouveaux chapitres. Le site associé
en donne un très bon aperçu : leplagiat.net/.
On y trouvera comment faire la différence entre le plagiat et la
contrefaçon, la citation, la parodie, le pastiche, l’allusion ou
la réminiscence, toutes des pratiques de citation fort connues. On y
découvrira qu'un grand nombre d’écrivains ont littéralement
pillé des sources anciennes, étrangères ou même contemporaines.
Hugo a recopié des pages entières de dictionnaires dans ses romans,
tout en affirmant : « N'imitez rien ni personne. Un lion qui copie
un lion devient un singe. » Stendhal a beaucoup emprunté aux
nouvelles qu’il a traduites de l’italien et a plagié superbement
une foule d’auteurs dans son histoire de la peinture en Italie.
Que dirait donc un critique de Télérama s'il tombait aujourd'hui
sur le
Chant V des "Chants de Maldoror" de Lautréamont,
écrits en 1869, une description du vol des étourneaux entièrement
recopiée de l'encyclopédie
du Docteur Chenu ?
Lautréamont n'a pas hésité à faire l'apologie du plagiat dans
un immense texte conçu comme un écosystème vivant, qui intègre et
entrechoque divers morceaux de cultures composites. "Les Chants
de Maldoror" en effet sont faits de collages, d'emprunts, de
prélèvements effectués sur des discours constitués en genres : le
discours et la rhétorique de la science, de l'école, du roman
feuilleton, le discours épique.
Cet amalgame de registres, de motifs produit un effet esthétique
comparable au mixage musical et au mash-up contemporain. On pense au
cut-up de Burroughs, à un procédé d'écriture qui utilise la
violence des ciseaux pour faire apparaitre la poésie. Cette sorte
d'écriture automatique se retrouve ici dans la Cut-up
machine, mais sans la violence et le rythme qui caractérise cet
auteur.
Le réalisateur Jean-Luc Godard reprendra plus tard cette approche du collage dans "Pierrot
le fou" par exemple qui est un magnifique poème visuel et
sonore qui avance à toute allure à travers citations littéraires,
réferences publicitaires, slogans et clins d'oeil à des films
cultes. Cette science du montage doit autant au hasard qu'à une
intelligence et une volonté délibérées.
Ces morceaux d'oeuvres qui sont ici récupérés, coupés,
recomposés avec d'autres ne disparaissent pas vraiment dans ce
maestrom mais gardent une part de leur identité originelle : ils
doivent être un peu reconnus pour que la nouvelle écriture exprime
toute son ironie, son décalage, sa cruauté.
C'est que pour ces trois créateurs, la notion d'originalité et
de propriété des textes ne se pose pas vraiment, on pourrait même
dire qu'ils la bousculent en même temps qu'ils bousculent un certain
ordre établi, une société qui s'est rigidifiée autour de ses
principes de droit, ses slogans, sa morale établie.
« On est toujours deux en un. Il y a les autres en soi. »
Godard.
Phrase qui semble répondre au "Je est un autre" proféré un siècle plus tôt par un certain Arthur Rimbaud.
Le sujet est donc polémique comme en témoigne cette partie du
site d'Hélène Maurel-Indart, Pour
ou contre avec un agréable
jeu de citations :
« Vous souhaitez consulter les
déclarations des auteurs favorables à une pratique très libérale
de l’emprunt, cliquez pour…
Vous
êtes plutôt curieux de connaître les points de vue de ceux qui
revendiquent une écriture personnelle, méritant d’être défendue
au même titre qu’une propriété, cliquez contre…
«
Ce que des artistes s'autorisaient, par la grâce de leur "génie"
(qu'ils ont payé cher d'ailleurs pour beaucoup d'entre eux )
peut-il devenir une exemple à suivre ? Apparemment la société
tolère de moins en moins ces attitudes rebelles et irrespecteuses et traque tout ce
qui ressemble de près ou de loin à de la citation, justement parce
que ces pratiques sont devenues avec les outils du web extrêmement
répandues. En effet, le mixage est aujourd'hui quotidien dans toutes
nos activités de prise d'information, de loisirs, de communication,
de formation. Dans le gigantesque zapping de nos esprits connectés,
il est devenu difficile de citer ses sources. On embarque des vidéos
sur nos blogs, insère des codes qui fonctionnent comme des greffons
sur nos flux individuels.
Comme le dit Guy Debord, l'impertinent situationniste : « Il
va de soi que l'on peut non seulement corriger une oeuvre ou intéger
divers fragments d'oeuvres périmées dans une nouvelle, mais encore
changer le sens de ces fragments et truquer de toutes les manières
que l'on jugera bonnes ce que les imbéciles s'obstinent à nommer
des citations. »
Il n'y a guère qu'à l'école où les genres, les
disciplines, les notions, les discours, les rangées de tables, les
classes soient quadrillées et cloisonnées. A l'école, on ne copie
pas, on n'emprunte pas, on est personnel. Si on emprunte, on cite
scrupuleusement ses sources dans un cadre très normalisé. On rend à
César ce qui est à César. A l'université un vent de justice
souffle fort et entend remettre de l'ordre dans la notion d'auteur
chez les étudiants et les enseignants.
A l'école, le plagiat c'est mal, mais pourtant, mais
pourtant...
Un écrivain est toujours un « cannibale », dit Hélène
Maurel-Indart, mais « encore faut-il que, passé la phase du
cannibalisme, survienne celle du greffage ». Cette phase de la
greffe où l'expression personnelle démarre enfin à partir des mots
des autres, tout le monde la connait bien. Comment penser sans
s'aider des pensées des autres, toutes faites, comment imaginer sans
invoquer des images communes, sinon en avançant en s'en servant
comme de barreaux d'échelles, ou des kits de sécurité ?
Pourquoi diaboliser ainsi certaines pratiques de plagiat qui
pourraient constituer des aides à l'apprentissage et à
l'élaboration d'une pensée personnelle ? Du copier-coller
peuvent naitre de vrais textes « authentiques » (si le
mot authentique veut encore dire quelque chose), faits de fragments
soigneusement filtrés et réinterprétés.
En 2009, un colloque en Belgique s'est intéressé de près à la
question : « Copié – collé… » Former à l’utilisation
critique et responsable de l’information.
L'aricle de Paul ARON, Des
interdits qui méritent d’être discutés. Réflexions d’un
enseignant en lettres sur l’imitation et le plagiat développe
une passionnante et érudite argumentation en faveur de l'imitation
bien comprise (Il n’y a pas d’apprentissage sans imitation), et son plaidoyer pour une éducation au développement de l’esprit critique part de l'observation des pratiques des écrivains.
« Pour une part, l’emprunt est indispensable à la formation de l’être humain en société, comme il l’est de manière manifeste pour l’artiste ou l’écrivain. Tenir compte de ce fait implique que nous aidions les étudiants à négocier le passage entre l’imitation et la création personnelle avant de songer à réprimer leurs fraudes. ».
On complétera cette réhabilitation partielle du
plagiat par la lecture d'une étude qui tente de comprendre la
pratique du copier-coller « souvent dénigrée du point de vue
de l'apprentissage » chez les étudiants.
"Copier poour apprendre : Le rôle des copiés-collés
dans l’activité de recherche d’information des élèves du
secondaire
En ces temps de traquage et de suspicion, un peu de confiance expérimentale ne nuit pas.
Illustration : Illustration de l'expression "beau comme la rencontre d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection" de Lautréamont. GNU Free Documentation Licence, Wikimedia Commons.