L'application du droit d’auteur sur Internet donne lieu depuis plusieurs années à un débat acharné. Personne ne sait vraiment comment agir dans
ce dossier, et toute proposition de solution est immédiatement battue en brèche par de nouveaux usages ou l'impossibilité de la mettre en oeuvre. En France, on est partisant de la répression, comme en témoigne la loi HADOPI.
D’autres croient au contraire qu’il ne faut pas trop légiférer, ce qui risquerait de détruire la
liberté du Web et de tuer nombre de créations dans l'oeuf.
Une grande part du malaise ressenti par les législateurs et ceux qui essaient de faire appliquer les lois (ou de s'en affranchir) vient du fait que le droit d'auteur fonctionne jusqu'à présent selon une logique binaire autorisé / interdit, protégé / non protégé. Le blogueur Lionel
Maurel, conservateur des bibliothèques à la Bibliothèque nationale de France, estime pour sa part que la situation réelle est beaucoup plus nuancée et propose de l'analyser au travers d'une échelle chromatique.
Autant de couleurs que de catégories d'oeuvres face au droit
Dans un remarquable diaporama (disponible sur le billet
de blogue et sur Slideshare),
il nous explique sa vision chromatique du droit d’auteur.
Tout d’abord, il nous rappelle que le droit d’auteur est né de la volonté de faire respecter certains droits (moraux et patrimoniaux) afin que
le créateur touche les revenus issus de l'utilisation de ses oeuvres. Une philosophie qui reste pertinente aujourd’hui, mais dont la déclinaison juridique se heurte désormais à bien des cas non prévus par la loi. Par exemple, lorsqu'une personne dépose une photographie sur Flickr, celle-ci lui appartient-elle encore totalement, ou y a t-il de fait un partage de propriété avec le réseau tout entier, même si la loi lui en accorde, en l'absence d'une licence particulière attachée à son oeuvre, la pleine propriété ?
Lionel Maurel propose d'abandonner le nir et blanc et d'adopter la couleur pour tenter de défini le statut des oeuvres par rapport au droit d'auteur.
Le rouge représente les œuvres commercialisées et distribuées par des compagnies spécialisées. Il s'agit probablement de la
catégorie dont la diffusion fait actuellement le plus jaser. Les contrats d'édition ne sont manifestement plus adapté à la réalité de la diffusion en ligne et s'avèrent jouer en finale en défaveur de l'auteur. Pourtant, des plateformes comme Publie.net offrent des ententes de
publication plus souples et plus en phase avec la réalité d'internet et des
nouvelles technologies. Les oeuvres appartenant à ce groupe connaissent un autre problème : les protections (DRM) sur les livres électroniques restreignent les droits des lecteurs qui ont pourtant payé le prix voulu pour acheter les ouvrages. Des éditeurs alternatifs comme Édition équitable ou
Gluejar cherchent à modifier la situation et à atténuer les droits estimés excessifs des distributeurs, au bénéfice des auteurs et des lecteurs .
Le gris représente les œuvres orphelines. On désigne par "oeuvres orphelines" celles dont plus personne ne touche les droits. Utiliser les oeuvres orphelines est un
casse-tête puisqu’on ne sait pas à qui vont les redevances, quelles sont les modalités d'utilisation, etc. On assiste à de véritables combats pour décider qui prendra possession
des droits et de l'argent. Des débats et des procès eurent lieu aux États-Unis
et en France contre Google Books, entre autres. L’Union européenne a certes
proposé des solutions, mais le dossier n’est pas réglé à l’heure actuelle, d'autant plus que des auteurs bien vivants ont eu la surprise récemment de voir leurs oeuvres devenir "'orphelines" sans que personne ne leur ait demandé leur avis !
Le blanc représente les oeuvres du domane public. Si les oeuvres tombées dans le domane public (à l'expiration de la période de 70 ans de protection) sont nombreuses, les sites sur lesquels les trouver ne sont pas légion. Certes, il existe bien Wikisource ou le Projet Gutenberg (dont le créateur Michael Hart est décédé le 6 septembre 2011); mais il y a encore peu d’espaces qui proposent des ouvrages
entièrement libres de droits. En effet, l’offre augmente, mais des questions se
posent sur ce qui peut être considéré comme relevant du domaine public, les partenariats
public-privé noués sur des oeuvres patrimoniales, les lois régissant une telle classification, etc.
Le vert représente les oeuvres sous licences libres. On connaît les licences Creative Commons, qui commencent à être bien connues dans le domaine éducatif. Certes, les auteurs choisissant ces licences n'espèrent dans un premier temps pas beaucoup de revenus de leurs oeuvres. Cependant, ils obtiennent une bonne visibilité et l'histoire récente de la littérature et de la musique sur le web cntient quelques beaux succès commerciaux. Cory Doctorow, qui fut l'un des premiers écrivains à proposer ses livres sous licence libre sur le web, affirme que cela ne l'a jamais empêché de gagner de l'argent. Des sites
comme manolosanctis donnent l'occasion à de jeunes dessinateurs de BD et des lecteurs de se
découvrir mutuellement. D’ailleurs, les visiteurs peuvent même laisser des
critiques des œuvres et participer à la politique éditoriale du site. Les bandes dessinées les plus populaires sont publiées et vendues en
version papier. Selon Lionel Maurel, cette catégorie pourrait accueillir bien des oeuvres purgeant actuellement leur peine dans la zone grise; d'autres oeuvres déjà placées sous licence libre pourrait aussi migrer facilement vers la zone blanche (domaine public).
Finalement, il y a l’infâme groupe noir, celle que toutes
les lois HADOPI punissent : les pirates et contrefacteurs qui se servent
des créations comme si elles étaient leurs. Cependant, s’il y a certes des
actions condamnables, elles sont plus difficiles à cerner aujourd’hui à l’ère
du remix et de l’hommage. Le diaporama donne l’exemple d’un auteur ayant fait
un livre électronique gratuit basé sur le titre d’une chanson de David Bowie
(Space Oddity). Malheureusement, cette allusion a été dénoncée par les
titulaires de droits de la pièce musicale qui ont exigé que toutes les
références à cette œuvre soient supprimées.
Voilà le véritable portrait du droit d’auteur sur Internet.
Comme on le voit, la situation est bien plus complexe que ne le laisse entendre le
débat actuel entre le légal et l'illégal. Cet aperçu ne donne pas de réponses claires
sur les actions à poser. Néanmoins, il suffit de lire la fin du billet pour
comprendre que le problème du droit d’auteur est qu’il ne prend pas en compte
les nouvelles façons de créer sur Internet (collaboration, Creative Commons,
etc.). La solution à l'application du droit d’auteur sur la Toile se situerait-elle dans une
zone verte?
« Rendre ses couleurs au droit d’auteur (intervention
Université d’été du CLEO) », Lionel Maurel, S.I.Lex, 20 septembre
2011.
Image de Hervé Kerneïs / http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/
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