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Publié le 05 septembre 2011 Mis à jour le 05 septembre 2011

Michelle Bergadaà : "Le plagiat n'est pas encore suffisamment pris au sérieux"

En dépit du retentissement médiatique de quelques affaires de plagiat au plus haut niveau universitaire, Michèle Bergadaà estime que le chemin est encore long pour se débarrasser de pratiques qui ébranlent la légitimité de l'Université.

Michelle Bergadaà est connue des milieux académiques universitaires non seulement en tant que professeur de marketing et de communication à l'Université de Genève , mais aussi, plus largement, pour son engagement international contre le plagiat universitaire.

Elle a créé le site Responsable au sein de l'université de Genève, qui est considéré comme la référence majeure, dans le monde francophone, sur l'analyse des stratégies de plagiat mises en place par les fraudeurs et les moyens de combattre ce fléau du savoir.

Michelle Bergadaà est intervenue lors des Journées du E-learning de Lyon, le 24 juin 2011. Elle y a présenté les quatre profils de plagieurs universitaires tirés de ses travaux et nous a ensuite accordé une entrevue. 

Michelle Bergadaà, vous animez un mouvement international de lutte contre le plagiat universitaire dans l'espace francophone depuis maintenant 8 ans. Considérez-vous qu'il y a une vraie prise de conscience sur ce sujet de la part des autorités académiques ?

Les choses avancent lentement. Certes, le sujet émerge dans le grand public, notamment à la suite d'affaires très médiatisées; je constate aussi que l'action que je mène avec de nombreux collègues est de mieux en mieux connue. En témoigne par exemple le nombre croissant d'abonnés à la lettre d'information sur les cas avérés de plagiat que j'ai créée, qui compte aujourd'hui plus de 18 000 abonnés venus de tous les pays de la francophonie.

 

Au niveau académique, je constate malheureusement que le plagiat n'est pas encore suffisamment pris au sérieux. La situation diffère selon les pays considérés. Au Luxembourg, le Fond National de la Recherche (FNR) est le premier organe national francophone à s'être doté d'une commission consacrée à l'intégrité dans la recherche (Research Integrity Commission), que j'ai l'honneur de présider. Concrètement, cela signifie que toutes les thèses sont examinées et que des procédures de prévention et de sanction du plagiat ont été élaborées et sont appliquées de manière systématique. Au Québec, la CREPUQ (Conférence des Recteurs et Principaux des Universités du Québec) dispose d'un groupe de travail qui se réunit régulièrement. En France, un colloque consacré au Plagiat dans la recherche sera organisé en octobre 2011 à Paris. Et globalement, on constate qu'un nombre croissant d'universités et écoles supérieures se dotent de commissions ad hoc et d'outils anti-plagiat et y soumettent les travaux des étudiants.

Mais cela ne suffit pas, car de nombreux cas avérés de plagiat ne sont pas sanctionnés. La situation est assez préoccupante en France notamment, où des plagiaires de haut niveau académique ont récemment défrayé la chronique, sans pour cela être sanctionnés clairement par les autorités universitaires.

Pourquoi, selon vous, le milieu universitaire français en particulier fait-il preuve d'une telle mansuétude à l'égard des plagieurs ?

Pour plusieurs raisons. D'une part, parce que les présidents d'universités s'occupent peu des questions académiques; ils sont totalement mobilisés sur les questions de gestion des établissements et nous peinons à les sensibiliser à l'image désastreuse que les affaires de plagiat donnent de leurs universités. D'autre part, parce qu'il n'existe pas d'instances internes aux établissements d'enseignement supérieur adaptées à ces nouveaux enjeux. Il revient à chaque enseignant d'assurer lui-même la lutte contre le plagiat et il n'y a pas de position commune, ni de règle systématique. Par exemple, les autorités estiment très souvent que les cas de plagiat doivent être traités par la justice civile habituelle. Ce qui impliquerait qu'il y ait un dépôt de plainte réalisé par le ou les auteur(s) plagié(s). C’est rarement le cas. Or, les établissements d'enseignement supérieur ont beaucoup à perdre en adoptant cette politique de l’autruche. Ils se décrédibilisent aux yeux du public et des étudiants car ils sèment le doute sur leur intégrité.

L'accès de plus en plus simple aux ressources existant sur Internet a t-elle aussi multiplié les cas de plagiat avéré ?

C'est certain, bien que la question du plagiat ne date pas d'hier. Mais l'accroissement des pratiques plagiaires tient à différents éléments.

Certes, les étudiants peu scrupuleux n'ont aucun mal à trouver sur Internet des savoirs qu'ils réintroduiront dans leurs mémoires sans les modifier ou presque. Mais à un autre niveau, il faut aussi parler du mode de financement des laboratoires de recherche, en France notamment, qui est fondé sur le nombre de publications réalisées par les chercheurs. Cette incitation à la publication intensive génère des pratiques fâcheuses. Et s'il faut publier beaucoup, et vite, eh bien, on hésitera moins à aller se servir discrètement dans les oeuvres des autres...

Vous évoquez régulièrement la question de ce que vous appelez la « peopolisation » qui touche les travaux universitaires et leurs auteurs. De quoi s'agit-il ?

De cette propension, à se mettre en avant à tout propos, à bénéficier des honneurs sans avoir réalisé le travail qui les justifierait. Voyez ce schéma : 

 

En principe l'auteur (1) produit, lentement et avec beaucoup de travail, des « objets de savoir », des écrits (2) qui lui accordent une place d'acteur (3) important dans le monde académique (4). Pour conserver cette place d'acteur majeur, l'auteur doit constamment publier à nouveau, pour être reconnu par ses pairs, etc. Mais aujourd'hui, le monde de la recherche est touché par la tentation de la « peopolisation », c'est à dire par l'envie d'être célèbre et reconnu sans avoir à travailler durement pour cela. Certains (minoritaires, sans aucun doute) sont donc tentés de maintenir ou de conforter leur position (4) sans avoir à repasser par les cases (1) et (2), ou plutôt en produisant de faux objets de savoir, concoctés à partir des travaux d'autres personnes.

Cela vaut-il pour les étudiants qui se laissent aller à ce genre de pratique ?

Les étudiants visent à une certaine reconnaissance de la part du monde académique, celle de leurs professeurs, tout simplement. Pas nécessairement pour y faire carrière, mais pour obtenir les notes leur permettant de passer au niveau supérieur ou d'obtenir leur diplôme. Fondamentalement, leur position est la même que celle des chercheurs qui ne font plus l'effort de travailler dans la durée. C'est pour cette raison que je précise toujours ne pas faire de différence entre les étudiants et les enseignants en matière de plagiat. Ils ont les mêmes caractéristiques.

Tous les plagiaires obéissent-ils à ce genre de motivation ?

Non, fort heureusement. Vous verrez sur le site Responsable que j'ai dressé quatre profils de plagiaires : le manipulateur, le bricoleur, le fraudeur et le tricheur (rapports à venir). Le profil du « bricoleur » est le plus courant et le moins grave, dans la mesure où il peut être facilement pris en défaut et adhère aux valeurs du monde universitaire, tout en se laissant aller parfois à des pratiques incontestablement déviantes. Pour lui, l'essentiel est de rendre un document « propre », bien mis en page et dans le temps imparti. On retrouve ce profil chez les enseignants aussi bien que chez les étudiants, tous étant surmenés, engagés dans de trop nombreuses activités, incapables de gérer, en somme, les différents aspects de leur travail. Nicole Perreault au Québec avait fort bien analysé ce profil chez les étudiants.

Votre mode d'analyse pose la question de la culture de la réutilisation des oeuvres dans les milieux universitaires. De tout temps, il a fallu citer, procéder à des états de l'art, s'imprégner des travaux antérieurs avant de proposer des éléments nouveaux, n'est-ce pas ?

Bien sûr, mais encore faut-il le dire et le faire de manière explicite ! Personne ne crée à partir de rien. Dans mon intervention ce matin (aux journées du e-learning de Lyon), j'ai mentionné la pratique de Van Gogh, qui admirait Jean-François Millet et n'a pas hésité à réinterpréter certaines de ses toiles. Cela n'a rien à voir avec le plagiat. Van Gogh ne s'est pas attribué les toiles de Millet ! Je n'ai rien contre les personnes et les organisations qui pratiquent ce que Jean-François Lyotard a appelé « le discours narratif » : ceux-là exposent, rendent compte de ce qui existe, sans se l'attribuer. C'est ce que vous faites chez Thot Cursus, et c'est un travail fort précieux. C'est aussi, par exemple, ce que fait Jean-Noël Darde qui, sur son blog « Archéologie du copier-coller » dénonce les pratiques de plagiat dont il a connaissance dans les milieux universitaires français. Mais, à l'heure de l'exposition médiatique croissante des chercheurs, notamment sur Internet, certains confondent allègrement le savoir narratif et l’appropriation pure et simple des idées, raisonnements et écrits d’autrui.

 

Le combat est donc loin d'être terminé...

Certainement. A certains niveaux et malgré les efforts réalisés, le phénomène prend de l'ampleur. On assiste désormais à des vols internationaux de thèses et d'articles. Mais les travaux réalisés depuis une dizaine d'années ont néanmoins permis de construire des stratégies de riposte au plagiat, que les pays qui désirent se lancer dans la bataille peuvent s’échanger pour construire ensemble une réponse intelligente. Je pense notamment aux établissements d'enseignement supérieur des pays du Maghreb, qui se manifestent de plus en plus souvent contre les pratiques plagiaires et ont rejoint la communauté des contributeurs au site Responsable.

***

Michelle Bergadaà sera présente lors du Colloque « Plagiat de la recherche », organisé les 20 et 21 octobre prochains à Paris par Geneviève Koubi et Gille Guglielmi du CERSA  (Université Paris II). Toutes les informations relatives à ce colloque figurent sur le site dédié, plagiat-recherche.fr  

Responsable - Internet : fraude et déontologie selon les acteurs universitaires. Le site animé par Michelle Bergadaà et de nombreux contributeurs.

S'inscrire à la lettre d'information éditée par M. Bergadaà, dans laquelle elle traite des cas avérés de plagiat.   

L'intervention de M. Bergadaà aux journées e-Learning de Lyon, 24 juin 2011

Illustrations :

Photo M. Bergadaà, avec son aimable autorisation

Capture d'écran de la page d'accueil du site Responsables

Capture d'écran du site Archéologie du copier-coller

 



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