Les jeux sérieux trouvent progressivement leur place dans le monde de l'éducation et, beaucoup plus efficacement pour le moment, dans celui de la formation professionnelle.
Mais dans l'univers du jeu sérieux se côtoient le meilleur et le pire : à côté d''excellents produits, on trouve encore trop de banals questionnaires à choix multiples rapidement habillés de couleurs criardes et d'animations inutiles.
Alors, quelles sont les qualités fondamentales d'un bon jeu sérieux ? Deux chercheurs de l'université Pierre et Marie Curie ont identifié cinq principes de base et six facettes sur lesquels les développeurs doivent soigneusement réfléchir en concevant leurs produits.
Cinq principes qui font le succès des jeux vidéos
La qualité des jeux sérieux tient d'abord à la réutilisation des principes qui font le succès des jeux vidéos en général. C’est la
conclusion à laquelle sont arrivée deux chercheurs de ce court document
sur la motivation et l’apprentissage avec les jeux sérieux. En analysant
différents logiciels, ils ont repéré cinq principes fondamentaux derrière les
simulations et jeux en éducation :
- Un
sentiment de défi alimenté par les différents problèmes que l’utilisateur
doit résoudre.
- Un
moteur de jeu immersif et réactif qui répond aux manipulations et initiatives du
joueur.
- Des
actions significatives avec lesquelles les apprenants franchiront les
obstacles du jeu.
- Une
interface ludique qui stimulera à la fois le plaisir et la motivation de
poursuivre l’expérience.
- Une
difficulté progressive pour conserver l’intérêt durant toute la partie.
Voilà donc le secret de toute bonne simulation ou jeu sérieux.
Dans leur texte, les auteurs prennent en exemple un jeu de rôle américain
intitulé Revolution qui place les jeunes dans la peau d’un Américain de la fin du 18e siècle. D’un
côté, il y a l’aspect amusant et motivant (graphismes 3D, interface de jeu
de rôle, etc.) et de l'autre les contenus à assimiler et leur utilisation dans le jeu (les
joueurs devant répondre à plusieurs questions au cours de l’aventure sur
l’histoire américaine).
Six facettes à travailler, dans un objectif pédagogique
Mais alors, qu'est-ce qui distingue un jeu sérieux d'un jeu sans ambition d'apprentissage ? La dimension pédagogique, bien entendu. Celle-ci se décline en six facettes principales.
- Tout d’abord, les objectifs pédagogiques du jeu, qui doivent être clairs tant pour les concepteurs que pour les utilisateurs. Que veut-on que l’apprenant
retienne de sa séance de jeu et de sa pratique du jeu tout entier ?
- Ensuite vient la simulation du domaine. Il s'agit là de trouver des solutions pour que les apprenants acquièrent des connaissances au travers d'une interface attrayante et significative, et qu'ils puissent effectuer des opérations mobilisant les connaissances acquises ou en cours d'acquisition.
Pour ces deux premiers points, les formateurs et
professionnels du milieu éducatif seront de précieux conseillers pour les concepteurs du
jeu, leur suggérant des idées et leur indiquant les informations à intégrer
dans le logiciel.
- Il convient ensuite de réfléchir aux mécanismes
d’interaction dans la simulation. Le document donne l’exemple d’un jeu de
biologie traitant du système immunitaire. Les développeurs ont opté pour une manière de
jouer semblable aux jeux de stratégie (StarCraft, par exemple) : le joueur
contrôle des globules blancs qui doivent détruire des virus et envahisseurs du
corps.
- La quatrième facette porte sur les problèmes et la progression :
quels obstacles se dresseront sur le chemin de l’apprenant ? Une difficulté progressive et la personnalisation de l'avatar du joueur constituent des éléments importants de tout bon jeu vidéo, et les développeurs de jeux sérieux doivent faire au moins aussi bien, pour que les apprenants aient envie de rester devant leur écran.
- La cinquième facette est ce que les
auteurs du document appellent le décorum, c’est-à-dire tous les éléments multimédias ou
scénaristiques qui favorisent l’immersion du joueur. Pour cette facette et les
deux précédentes, les concepteurs de jeux doivent puiser dans
leurs connaissances et expériences professionnelles pour créer un outil qui soit aussi ludique et excitant qu’un jeu vidéo avec un fond solide de savoirs et
d’objectifs pédagogiques qui resteront gravés dans la mémoire du joueur.
- La sixième facette concerne directement les enseignants et formateurs. Il s'agit de l'identification des conditions d'utilisation du jeu et de sa capacité à s'insérer dans des scénarios pédagogiques variés et simples. Par exemple, veut-on un jeu qui puisse être utilisé en classe ? Si oui, pendant combien de temps ? Quels retours seront effectués sur les
connaissances acquises dans le jeu ? Il revient aux enseignants et formateurs de répondre à ces questions et à quelques autres. Le document donne l’exemple d'un professeur de sciences physiques
qui utilise le jeu Donjons & Radon dans ses classes : la première demi-heure de cours est consacrée au jeu, tandis que la seconde permet d'approfondir les questions et problèmes rencontrés pendant la phase de jeu.
La rencontre de deux mondes
La conclusion du document est claire : la conception d’un bon jeu sérieux
doit résulter d’un travail concerté entre les acteurs du milieu pédagogique et
ceux du milieu vidéoludique. Si ce type de collaboration est timide à l’heure
actuelle, il deviendra peut-être plus naturel au fil du temps. Après tout,
les professionnels de l'enseignement cherchent à dynamiser l'apprentissage pendant
que ceux du jeu vidéo visent de nouveaux marchés. Tout le monde a donc à y gagner.
Articuler motivation et apprentissage grâce aux facettes du
jeu sérieux, Bertrand Marne Benjamin Huynh-Kim-Bang et Jean-Marc Labat, Université
Pierre et Marie Curie – Laboratoire d’informatique de Paris 6, PDF, 12 p., 8
juillet 2011.
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