Histoire des mots, vidéos d'Alain Rey
Alain Rey nous fait découvrir les aspects méconnus et souvent drôles de notre patrimoine commun, la langue française.
Publié le 29 mai 2011 Mis à jour le 29 mai 2011
Blogues, fan fictions, courts-métrages sur YouTube, réseaux sociaux, etc. Les canaux de transmission de fictions et d’histoires se multiplient sur la Toile. On est donc tenté de dire qu’Internet a révolutionné notre façon de raconter des histoires
Mais est-ce si sûr ? Hubert Guillaud, dans un billet de son blogue La feuille, intitulé De l'évolution de l'art de raconter des histoires, en doute. Il appuie son opinion sur un autre blogue, anglo-saxon cette fois, Darwin's Library, dont l'auteur dresse un magnifique arbre de l'évolution du récit, qui montre qu'il n'y a pas de rupture, mais bien plutôt des hybridations de formes qui créent la nouveauté. Puis Guillaud convoque François Bon qui tient pour acquis que les nouvelles formes de narration ne sont pas si nouvelles que cela. La publication dans un blogue par exemple a beaucoup à voir avec la pratique du journal littéraire telle qu'on la connaît chez Kafka.
Les formes narratives ont bien évidemment changé avec le numérique et le Web, mais elles s'appuient sur des démarches créatives que l'on repère chez les auteurs des siècles passés dont les oeuvres sont arrivées jusqu'à nous.
Sur son blogue Confessions of an Aca-Fan, Henry Jenkins publie une série de vidéos réalisées par Kurt Reinhard, de l’Université des Sciences appliquées et des arts de Zurich, traitant de l'avenir du Storytelling. Reinhard signale tout d'abord qu'une des manifestations les plus visibles de la transformation des récits tient à l'utilisation de plusieurs médias dans la même oeuvre. Par exemple, les auteurs de la série télévisée américaine Heroes ont utilisé Internet entre chacune des saisons pour enrichir l’histoire de chaque personnage, optant même pour une version interactive lors de la troisième saison puisque les lecteurs pouvaient choisir l’issue du récit.
Dans une autre vidéo, on voit un intervenant qui s'est intéressé de très près aux modes de construction des intrigues dans les animes japonais. Il a découvert que les auteurs coinstruisent d'abord les personnages, les dotent d'un passé, de traits de personnalité, examinent la manière dont ils vont interagir les uns avec les autres. Ensuite seulement, ils bâtissent les péripéties de l'intrigue. Lorsque les épisodes sont publiés sur le web, on repère très bien cette prédominance des personnages, qui permet aux lecteurs de s'identifier à eux.
La relation entre concepteurs de récits et spectateurs / lecteurs est de plus en plus forte. Un site comme Storify permet aux utilisateurs des réseaux sociaux de concevoir des récits, y compris à partir d'événements réels. Par exemple, voici celui qui a été créé par le réseau de sports Rogers Sportsnet de Toronto au moment de la finale de la Ligue des Champions 2011 entre le Manchester United et le FC Barcelona. De bas en haut, on peut suivre les messages postés sur Twitter, les articles, les vidéos et les photos menant au match ultime.
La forme la plus aboutie de particiaption des amateurs aux récits est la "fan fiction". Très en vogue notamment dans le milieu des animes japonais, la fan fiction permet à des "fans" de créer de nouveaux épisodes de leur fiction favorite, en explorant les moindres recoins de l'intrigue et des personnages. Ces épiodes sont publiés sur le net et attirent de nombreux commentaires. La rétroaction est d'ailleurs une puissante motivation pour les écrivains / scénaristes bénévoles.
Parfois, les récits quittent la toile et se déplacent dans la rue, comme en témoigne par exemple cette manifestation à Memphis en 2007, ou plusieurs centaines de personnes ont joué une sombre histoire de morts-vivants dans les rues de la ville :
Alors, de quoi sera fait l'avenir du récit ? Bien malin qui peut le dire aujourd'hui car pour l’instant, les liseuses, tablettes numériques et téléphones intelligents de ce monde offrent seulement des possibilités étendues de navigation dans les bons vieux textes, éventuellement enrichis de vidéos. Pourtant, des appareils comme les téléphones intelligents pourraient devenir des plateformes intéressantes pour les ouvrages comme l'explique Guillaud dans cet autre article de La feuille. Il donne l’exemple de Geoffrey Young, auteur d’un roman graphique intitulé The Carrier, qui a publié son histoire sur iPhone et iPad. Se basant sur la géolocalisation, le récit s’adapte selon l’emplacement du lecteur et de la météo actuelle. Rien qui ne modifie fondamentalement la trame narrative, mais on peut déjà imaginer l’avenir en y ajoutant le principe de réalité augmentée en utilisant la caméra, entre autres, ou même le téléviseur.
Le mélange de médias et la réalité augmentée sont probablement les deux leviers technologiques qui modifieront la façon de raconter des histoires. Néanmoins, cet art ancestral gardera toujours son axe central : à savoir des personnages et des événements véritables ou fictionnels menant à une catharsis du lecteur ou de l’auditeur.
« De l’évolution de l’art de raconter des histoires », Hubert Guillaud pour le blogue La feuille, 30 septembre 2010.
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