Les médias sociaux et la RSE : danger ou opportunité ?
Tout est question de stratégie. Quelques éléments à prendre en compte pour être efficace.
Publié le 24 mai 2011 Mis à jour le 24 mai 2011
La responsabilité sociale des organisations (RSO) qu'on appelle plus communément responsabilité sociale des entreprises (RSE) même si elle concerne tous types d'établissements, a désormais sa norme qualité, l'ISO 26 000. On lit dans l'excellent dossier sur la RSE publié sur Novethic que cette norme a été élaborée avec la participation de 500 experts de 90 pays. Il s'agit d'une norme mondiale, non contraignante et non certifiable.
Dans la norme ISO 26 000, la RSE est définie comme la « responsabilité d'une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l'environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui contribue au développement durable, à la santé et au bien-être de la société, prend en compte les attentes des parties prenantes, respecte les lois en vigueur, qui est en accord avec les normes internationales de comportement et qui est intégré dans l'ensemble de l'organisation et mis en oeuvre dans ses relations » (1).
Nous nous arrêterons ici sur deux points spécifiques de cette norme, préconisant un comportement éthique et transparent, qui
- "prend en compte les attentes des parties prenantes"
- "est intégré à l'ensemble de l'organisation et mis en oeuvre dans ses relations".
Nous examinerons ces points avec les lunettes du Web 2.0, qui semble bien, à ce niveau, pouvoir être utilisé tout autant comme un outil facilitant la mise en place d'une véritable politique de RSE que comme un outil de marketing représentatif de pratiques superficielles.
Les organisations ont des responsabilités non seulement vis à vis de leurs salariés, donneurs d'ordre et actionnaires dans le cas des entreprises du secteur marchand, mais aussi de toute une gamme d'autres "parties prenantes" (stakeholders en anglais) qui lui permettent d'exister. Aux salariés et actionnaires, on ajoutera donc les consommateurs ou bénéficiaires des services, les fournisseurs, et même des parties prenantes indirectes comme par exemple les riverains d'une entreprise porteuse de fortes nuisances (bruit, pollution de l'air, etc.). La théorie des parties prenantes, popularisée par un ouvrage de R.E. Freeman publié en 1984, constitue l'un des fondements de la RSE (2). Elle prend une place de plus en plus importante à mesure que les années passent et qu'apparaisssent les outils d'information et de communication modernes, qui permettent à tous de s'informer sur les activités d'une organisation, de dénoncer ses pratiques contestables et même de participer plus ou moins directement soit à sa production, soit à la révision périodique de ses stratégies.
Les outils du web 2.0 sont évidemment de formidables catalyseurs d'information et de participation. Les réseaux sociaux en particulier, mais aussi les sites participatifs, les forums, permettent aux consommateurs de telle ou telle entreprise de donner leur avis sur ses produits et ses pratiques, avec un écho public jamais atteint jusqu'alors. Il n'est que de penser aux récent problèmes connus par des entreprises comme Nestlé à propos de l'emploi d'huile de palme entrant dans la fabrication du Kit Kat ou, à un niveau beaucoup plus anecdotique, aux protestations des fans de la première heure devant le changement de mascotte du chewing-gum Malabar, marque appartenant au groupe Cadbury, pour se convaincre de l'importance d'une utilisation adéquate de ces outils. Dans une vidéo intitulée Web 2.0 et développement durable (la stratégie RSE pouvant être considérée comme une stratégie d'application des valeurs et finalités du développement durable dans les organisations de travail), Emmanuelle Delsol, responsable éditoriale d'ACIDD, donne d'autres exemples de cet usage "sociétal" du web 2.0 : portails participatifs, organisation de filières de recyclage là où il n'y en avait pas, mobilisation citoyenne et de consommateurs... Dans ce dernier cas, on peut voir que les consommateurs peuvent s'organiser dans une démarche militante non seulement pour critiquer les mauvaises pratiques des entreprises, mais aussi pour les soutenir quand elles sont menacées de disparition.
Cette composante de la RSE concerne essentiellement deux dimensions : la politique managériale d'une part, la politique environnementale de l'autre. Nous nous arrêterons ici sur la politique managériale des entreprises engagées dans une stratégie RSE.
Il paraît que les membres de "la génération Y", ceux qui ont toujours connu Internet, sa rapidité, les modes de relation construits avecles réseaux sociaux, l'accès illimité à l'information et l'autonomie supposée qu'il engendre, ne supportent plus les modes managérieux traditionnels des entreprises. Ils se moquent de la hiérarchie, ne veulent pas venir au bureau tous les jours, collaborent dans des réseaux mondiaux, ne sont pas attachés à la séparation entre vie privée et temps de travail... Certains consultants en management ont trouvé là un fond de commerce lucratif et se font un plaisir de nous annncer haut et fort que nous, les quadras et au dessus, sommes complètement dépassés, que les petits jeunes vont nous étriller, nous manger la laine sur le dos, parce qu'ils maîtrisent tellement bien les outils modernes et que leurs cerveaux se sont transformés.
Ce point de vue est absolument fascinant, tant il nie la réalité (par exemple, un jeune Français sur trois veut toujours être fonctionnaire, faisant apparemment passer la sécurité de l'emploi avant le fun de la start up) et tant il est amnésique. Dans un volumineux article consacré aux Fondements théoriques de la responsabilité sociétale de l'entreprise publié en 2004 (donc, à l'heure où les membres de la génération Y commençaient l'école secondaire), deux jeunes chercheurs mentionnent un certain Hammet qui affirmait en 1984 (là, ils étaient carrément à la crèche, ou à la rigueur au jardin d'enfants) que "la jeune génération a davantage besoin de développement personnel, d'autonomie, de flexibilité et d'expérience professionnelle. Elle veut participer à son environnement de travail, suporte mal les hiérarchies rigides, veut être responsabilisée, prendre part aux décisions, eetc. or, ces nouvelles attentes constituent autant de challenges nouveaux pour la gestion des ressources humaines submergées de questions telles que : comment pouvons-nous retenir les personnes auxquelles nous ne pouvons offrir que l'incertitude ? Comment pouvons-nous nous assurer de la loyauté de nos salariés alors que les opportunités de carrière s'amenuisent ? etc. ". Autrement dit, les problèmes sont connus depuis fort longtemps, depuis bien avant l'ère de l'Internet généralisé; ce sont les réponses managériales qui manquent. Jean Pralong, professeur en gestion des ressources humaines et auteur d'une étude intitulée "La génération Y n'existe pas" a sa propre opinion sur l'invention de la génération Y : " je pense en effet que c’est la génération X qui a inventé la génération Y pour appeler au secours et demander de nouvelles règles du jeu en matière de comportement et de management. Les managers de la génération X ont en effet beaucoup de mal à faire passer les modes de performance et de comportement attendus par l’entreprise, car ils ne correspondent pas forcément à leurs propres valeurs. Quand ils s’étonnent que leurs collaborateurs de la génération Y veulent partir plus tôt, travailler depuis leur domicile, avoir un mode de communication plus interactif…, il est difficile de ne pas penser qu’ils prêchent pour leur propre paroisse, mais en se cachant derrière un paravent".
Cette opinion concorde avec les observations réalisées par Hammet en 1984, période où la RSE n'avait certes pas l'importance médiatique et commerciale qu'elle a aujourd'hui, mais était déjà bien structurée. Le management "à la sauce RSE" s'accomode mieux des réseaux que des hiérarchies rigides, des guides de bonnes pratiques plutôt que des contraintes, des négociations plutôt que des décisions unilatérales. C'est sans doute le domaine dans lequel la mise en place de politiques de responsabilité sociale (ou sociétale) a le plus de chemin à faire dans la majorité des entreprises. Avec ou sans web 2.0, la conduite des hommes au sein d'une organisation de travail demeure délicate, mais toujours passionnante.
(1) : La responsabilité sociale et sociétale des entreprises : un enjeu majeur du 21ème siècle, Blog Terra Nova sur Mediapart, 16 novembre 2010
(2) : Fondements théoriques de la responsabilité sociétale de l'entreprise, J.P. Gond, A. Mullenbach-Servayre, février 2004
Sources :
Dossier RSE - Responsabilité Sociale d'Entreprise : Enjeux et acteurs, Novethic
Fondements théoriques de la responsabilité sociétale de l'entreprise, J.P. Gond, A. Mullenbach-Servayre, février 2004
Les 2 visions de la RSE pour une entreprise, site RSE-pro
La génération Y n'existe pas, site Focus RH, 2 décembre 2010.
Illustration : Meeting nieuwe leden / Voka Kamer van Koophandel Limburg / CC BY 2.0
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