Tous les éducateurs
vous le diront, la situation des nouvelles technologies en éducation est
quelque peu paradoxale. Le recours aux TIC est incontournable dans la plupart
des matières d’enseignement mais, pour autant, leur influence dans la
progression des élèves est le plus souvent difficile à cerner. Sur ce plan, les avancées fulgurantes de l’informatique ces dernières années n’ont pas accouché de
logiciels dits
intelligents, c'est-à-dire susceptibles d’aider réellement l’élève à aller au bout de ses acquisitions. Hormis peut-être dans l’enseignement des
langues, grâce aux algorithmes de traduction et de reconnaissance vocale, et celui
des mathématiques avec les progrès des logiciels de simulation notamment.
Cependant,
globalement, les "ratés" de l’intelligence artificielle dont on
attendait monts et merveilles ont quelque peu refroidi les ardeurs. On semble
aujourd’hui, comme c’est souvent le cas après une "désillusion" technologique,
vouloir revenir à l’essentiel : essayer de comprendre comment fonctionne
le processus d’apprentissage pour renforcer le soutien aux élèves lorsqu’ils
traversent des moments critiques, ces bifurcations où se produit – ou pas – le
déclic de la compréhension.
A cet égard, deux
points paraissent importants : la nécessité d’instaurer une culture numérique
à l’école afin de faciliter l’appropriation d’outils intelligents
d’apprentissage et la place que devrait occuper la pédagogie de l’erreur dans la
conception de ces outils.
De la nécessaire culture numérique en classe
Est-il nécessaire
d’argumenter une telle initiative ? Aujourd’hui, l’informatique est
partout et avant même de songer à l’utiliser pour apprendre, la maitrise de ses
outils devient un passage obligé de l’alphabétisation voire du simple
vivre-ensemble moderne. Oui mais, comment procéder pour développer cette
culture à l’école ? Voici une option
qui semble intéressante à discuter.
Voire. Il semble
encore plus intéressant de développer cette culture informatique ou numérique
en liaison avec d’autres cultures connexes comme il est proposé ici
par Bernard Stiegler (Philosophe,
Directeur de l’IRI, Professeur à l’université de technologie de Compiègne).
Stiegler plaide pour une formation aux nouvelles technologies de l'information
« du point de vue du contexte », en intégrant notamment la donnée fondamentale
d’élèves qui en savent parfois plus que leur professeur en matière de maniement
d’outils numériques. Ce qui risque de produire si l’on n’y prend garde un
« décrochage entre générations » poursuit-il.
L’enjeu est en tout cas assez sensible pour
qu’une mission parlementaire ait été chargée de produire un rapport, pertinemment intitulé « Réussir l’école numérique », sur le moyen d'introduire et de renforcer cette culture au sein des
établissements scolaires. Or, parmi les priorités repérées par le rapporteur,
le développement d’outils numériques innovants figure en bonne place. Il s’agit
certes de numériser les ressources bibliographiques pour procurer à l’élève une
bonne culture générale[1]
mais aussi d’encourager l’utilisation des « jeux sérieux » et autres
outils de simulation dans les processus d’apprentissage.
Une approche que
traduit l’usage, qui s’étend, des cartes mentales ou conceptuelles et dont une
illustration nous est donnée par le
Pearltrees de Thot ou encore
l’article
de Pierre Nobis dans ce numéro.
Mais ouvrir la voie à
l’intégration d’outils un peu plus analytiques et intelligents que les
habituels didacticiels de conjugaison ou de calcul est une approche qui suppose
que soient identifiés les mécanismes à l’œuvre dans le process d’apprentissage. Et
la production d’erreurs, s’il en est fait
une bonne appréciation, peut s'avérer un indicateur très précieux à cet égard.Voici pourquoi.
De la pédagogie de l’erreur
Dans une société
obnubilée par la performance, l’erreur conserve une connotation essentiellement
négative. Il faut apprendre sans faire de faute. Ou alors, lorsqu’elle est
commise ou inévitable, s’évertuer à l’effacer au plus vite. Parce qu’en
définitive, seul le résultat compte et le cheminement pour y parvenir
importe peu. Pourtant, on le sait depuis longtemps, on apprend surtout de ses
erreurs. Alors, au temps du zapping facile et du butinage sur le net, comment
inciter l’enseignant à mettre l’erreur au centre de sa pédagogie ? Et
convaincre l’apprenant de l’utilité de s’attarder sur les fautes qu’il commet
pour comprendre le mécanisme de l’apprentissage et progresser ? Quelques
pistes parmi d’autres.
Le premier pas dans
ce sens est de restituer à l’erreur son statut
d’indicateur dans le diagnostic du travail de l’élève. Ou encore mieux, en
faire une étape nécessaire pour progresser comme le suggère ce petit tableau extrait d’un ouvrage consacré à
la question.
En réalité, à toutes les étapes
du process d’apprentissage, l’erreur nous renseigne sur la situation de
l’apprenant. En effet, que ce soit au niveau de la compréhension des consignes,
de la production du contenu et des réponses, ou encore de la fatigabilité de
l’élève, l’analyse de l’erreur nous révèle beaucoup sur la manière de
transmettre les connaissances et les insuffisances auxquelles il faut pallier. La
nature de l’erreur renseigne aussi sur l’endroit et le moment de l’apprentissage où
elle a été commise. Et donne donc la possibilité d’apporter là encore les rectifications
nécessaires.
L’intérêt de
l’erreur, mis en évidence ici pour l’enseignement
du FLE, repose donc sur la possibilité de retracer le parcours de l’apprenant et
de repérer les bifurcations, erronées ou sources d’erreurs, qui y ont été empruntées.
En définitive,
ce qui transpire de ces grandes manœuvres est ni plus ni moins la nécessité de
combler le fossé, qui existe toujours, entre le monde de l’école et celui du
travail, le numérique étant appelé justement
à faire office de lien entre les deux.
[1] Une recherche
récente montre en quoi « l’acquisition de la culture générale est la clé
de la réussite scolaire » (voir à ce propos l’article
du Figaro sur ce sujet).
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