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Publié le 06 février 2011 Mis à jour le 06 février 2011

Comment les jeux en ligne ont créé une génération qui va sauver le monde

Les jeux électroniques développent des qualités et comportements chez les joueurs qui pourraient être utiles dans la vraie vie. Une créatrice de jeux en ligne a testé cette idée.

L’affirmation a de quoi faire sursauter : « les jeux informatiques ont déjà et vont encore créer des générations qui pourraient assurer notre survie. » Elle peut être d’autant plus choquante si notre seule image de joueur est celle d’un garçon ou d’une fille plantée devant son ordinateur ou son téléviseur sans bouger, le regard vide. Pourtant, de plus en plus d’experts considèrent que le jeu constitue une formation continue dont on ne mesure pas encore tout le potentiel.

C’est du moins la conclusion de Jane McGonigal qui, lors du colloque TED2010 (que vous pouvez visionner avec sous-titres français ici), a affirmé que le monde aurait bien besoin de s'inspirer de la mécanique du jeu en ligne.

21 milliards d’heures de jeu hebdomadaires pour sauver le monde

Jane McGonigal, qui est chercheuse à l’Institute for the Future etconceptrice de jeu depuis 10 ans, a commencé son allocution avec un chiffre impressionnant. Actuellement, on estime à trois milliards le nombre d'e-hreures passées sur les jeux en ligne de par le monde. Ce chiffre paraît gigantesque mais Jane McGonigal assure qu'il est finalement très faible. Elle voudrait le voir passer à ... 21 milliards d'heures hebdomadaires. C'est le minimum nécessaire, dit-elle, pour que le jeu en ligne ait un véritable impact sur les problèmes mondiaux : famine, pauvreté, changements climatiques, obésité et autres problèmes de santé, conflits géopolitiques... pourraient trouver des solutions grâce à la pratique intensive du jeu en ligne.

Forcément, les spectateurs de la présentation n’ont pu réprimer leurs rires. Comment une activité de divertissement passive pourrait-elle aider à trouver des solutions constructives à ces phénomènes qui causent des maux de tête à la communauté internationale depuis des années? C’est que, selon la chercheuse, la société n’a pas encore compris que les jeux, particulièrement en ligne, ont créé une génération de « super citoyens ».

A 21 ans, un Américain a passé 10 000 heures à jouer en ligne... et 10 080 heures à l'école

Les jeux vidéos en ligne ont créé une génération de virtuoses, selon elle. Elle cite un chercheur du Carnegie Mellon qui arrivait à la conclusion qu’un jeune Américain de 21 ans aujourd’hui aurait passé au moins 10 000 heures de sa vie sur des jeux vidéos. Combien d’heures d'école pour cette même personne du début du primaire à la fin de son secondaire? 10 080 heures. Quasiment la même durée de chaque côté ! En 2008, Malcom Gladwell a publié un ouvrage intitulé : Outliers – The Story of Success. Dans ce livre, l’auteur défend la théorie – admise par certains chercheurs en sciences cognitives – que pour devenir un virtuose dans un domaine, il est nécessaire de l'avoir étudié pendant 10 000 heures avant l’âge de 21 ans. On se retrouve donc aujourd’hui avec environ 500 millions de « petits experts » du jeu. Un chiffre qui risque de tripler dans les prochaines années avec l’accès plus facile aux jeux dans les pays en développement comme la Chine, l’Inde ou le Brésil.

La chercheuse s’est également amusée à dévoiler que depuis sa création en 2004 jusqu'à la fin 2010, le nombre total d’heures de jeu sur World of Warcraft (WoW) correspond à 5, 93 millions d’années! Ce qui correspond peu ou prou à la période qu'il a fallu à l'homme pour deveir ce qu'il est, depuis qu'il a levé le nez au-dessus de la savane...

Mais quelles sont les qualités développées par les joueurs? Selon Jane McGonigal, il y en a quatre :

  1. Ils ont confiance en eux et sont les rois de l'autopersuasion : ils ont la volonté d’agir immédiatement pour surmonter un obstacle avec un espoir raisonnable de réussite.
  2. Ils créent de forts liens sociaux. En effet, ils ont des relations très puissantes avec ceux qui jouent avec eux, même s’ils les battent. Un important sentiment de confiance nait et croît, car ils observent les mêmes règles et, lorsqu’ils coopèrent, ils ont des objectifs communs.
  3. Ils ont une productivité élevée. Certes, le jeu est un passe-temps ludique, mais les joueurs savent que pour réussir, ils doivent faire d'importants efforts; ce faisant, ils développent donc une grande persévérance.
  4. Ils ont le sens de l'héroïsme : pour eux, tout devient prétexte à une quête épique, à l'alimentaiton d'un récit auquel ils participent. En témoigne, selon la chercheuse, la taille du wiki de WoW (le plus gros du Web après celui de Wikipedia) qui totalise 80 000 articles et 5 millions d'utilisateurs qui ressentent le besoin de construire, analyser et partager le grand récit global.

Pourtant, les joueurs se gardent bien d'utiliser ces nobles qualités à la vraie vie, préférant rester des héros d'opérette. Car, entre le monde réel et le monde virtuel, ils ont fait leur choix et améliorent celui où ils ont les meilleures chances de réussir.

Un exode virtuel

L'économiste américain Edward Castronova a émis l'hypothèse que si les joueurs de WoW y consacraient 22 heures par semaine, c'était pour compenser leurs frustrations et pour y exercer des qualités peu valorisées dans la vie réelle. Autre raison fondamentale : dans l’univers de ces jeux de rôle, la rétroaction positive est omniprésente si l’on compare avec la vraie vie. Par exemple, chaque réussite est soulignée verbalement par les personnages non joueurs (PNJ), mais aussi par le biais de récompenses monétaires ou matérielles pour améliorer l’avatar. Sans oublier les niveaux qui augmentent ainsi que les attributs physiques ou mentaux, les compétences, etc.

Le plaisir de la réussite et le sentiment d'efficacité personnelle sont donc fortement augmentés et cela encourage les joueurs à persévérer. Les PNJ proposent en outre des quêtes que les joueurs sont en mesure de réussir en travaillant d'arrache-pied. De plus, ils peuvent compter sur une communauté solidaire : autant par leurs amis qui les accompagnent qu'à travers toutes ces guildes où se développe un sentiment de fraternité que l’on ne retrouve pas toujours, hélas, dans la vraie vie.

Joueurs, aidez-nous

Les joueurs ont un potentiel énorme. Comment faire pour qu’ils passent en masse des univers de l'heroic-fantasy au nôtre? En leur proposant une philosophie similaire, mais dans un monde plus « réaliste ». L’Institute for the Future, pour lequel travaille Jane McGonigal, a mis en ligne 3 jeux qui poiursuivent cet objectif. Le premier en 2007, World without oil, plaçait les joueurs devant une très grave pénurie de pétrole. Comment continuer à vivre sans l'or noir ? Sur un blogue géant, les joueurs pouvaient partager des idées sous forme de textes, de vidéos ou de photos. Depuis 4 ans, l’institut suit les 1700 joueurs qui ont participé à l’expérience. Eux qui n’auraient jamais songé à modifier leurs habitudes ont maintenant adopté dans leur propre vie certaines des solutions proposées dans ce monde sans pétrole!

Les deux autres jeux ont été abordés sur Thot. Dans SuperStruct, le scénario tournait autour d’un superordinateur qui avait calculé que malheureusement l'humanité n'avait plus que 23 ans devant elle. Les internautes étaient donc conviés à partager leurs idées pour assurer un futur aux êtres humains. 8000 personnes ont participé pendant 8 semaines et ont trouvé plus de 500 solutions et créés 1000 histoires d'après cette situation fictive. On peut d’ailleurs toutes les consulter sur le site officiel. Leur projet le plus récent, Evoke a aussi permis d'élaborer plusieurs mesures constructives pour les pays plus pauvres.

Voilà donc comment le jeu informatique peut être mis au service de l’humanité. Les joueurs qui proposent des idées et activités pertinentes sont stimulés par différents systèmes de récompenses et donnent aux « non-joueurs » un éclairage différent des problèmes. Jane McGonigal espère voir d’autres créations du même genre présentées sur Internet et, nous l'espérons, dans toutes les langues (dont le français) pour atteindre une communauté encore plus importante. Ces jeux devront également pouvoir intéresser de nouveaux publics afin de provoquer de nouveaux mélanges d'idées et d'atteindre, peu à peu, les 21 milliards d’heures par semaine espérés par la chercheuse.

Le jeu informatique et ses joueurs peuvent sauver le monde. À celui-ci de leur proposer des plateformes pour mettre à profit ce qu’ils savent faire de mieux.

Le site officiel de Jane McGonigal

La présentation de Mme McGonigal au TED2010


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