Le Maroc se targue, à juste titre, de posséder un artisanat
des plus raffinés. L’inspiration des produits de cet artisanat remonte à
l’époque andalouse comme en témoigne les sublimes décorations de zellige, cet
agencement précis et ingénieux de pierres finement ciselés, de l’Alhambra,
palais des califes grenadins. L’extrême ingéniosité des maitres carreleurs de
l’époque a su créer une véritable alchimie entre la pierre, l’eau et la
végétation et faire naitre autour de fontaines fleuries des agoras intimistes,
ces espaces de dialogues murmurés et de recherche de l’inspiration[1].
Il est facile d’imaginer d’illustres savants expliquant les ultimes
connaissances ou des poètes sophistiqués déclamant des vers à un parterre
d’érudits. Sans doute que la réalité était moins idyllique mais qu’importe lorsque
l’ambition est de faire renaitre un enseignement de qualité, à la fois moderne
et authentique. En s’appuyant sur des savoir-faire et des savoir-être qui ont
défié le temps et l’espace grâce à une exigence de qualité et une rigueur sans
faille.
Symbolique d’une géométrie sacrée
L’art du zellige repose sur des règles très élaborées. Le
choix des couleurs comme celui des formes renvoie à une symbolique que les
passionnés d’art se font fort de décrypter. Mais au-delà d’analyses savantes sur le pourquoi de telle forme ou telle combinaison de couleurs,
les réalisations des artisans andalous de l’Alhambra ou d’ailleurs nous
apprennent beaucoup sur la perception ancienne de la géométrie et les méthodes
alors en vigueur pour en transmettre les fondements. Derrière les splendides
ornements muraux, l’œil averti aperçoit la trame mathématique autant que les
techniques particulières de ciselage des matériaux. Et le pédagogue non moins
averti pourra mettre à profit ces assemblages pour enseigner la règle comme le
raisonnement, l’histoire tout autant que l’esthétique. Il pourra faire appel
aux nouvelles technologies et ce, à toutes les étapes de conception d’une
œuvre : du façonnage de la matière, avec Le P'tit Potier, petit logiciel sans prétention de poterie, à la constitution d’une base de motifs
céramiques, avec cette application
autrement plus sophistiquée qui ravira également les apprentis chimistes. La
céramique en particulier fournit une bonne base pour un projet moderne d’enseignement comme nous l’explique cet artisan anglais installé au Japon.
Autrement, le net fourmille d’applicatifs, souvent gratuits, pour maitriser les
techniques ou, plus simplement, s’initier aux arcanes de la poterie sacrée et
profane.
Mais bien entendu, l’autre domaine d’enseignement qu’induit l’art
du zellige ou de la céramique est l’histoire de l’art. Un double exemple
édifiant de cette pédagogie de la « proximité culturelle » nous est
donné par cette visite de la très belle Cité de la céramique de Sèvres, en France, et cette immersion dans l’univers fascinant des métiers d’art du Maroc.
Médersas et réseaux académiques
Les enjeux de cette redécouverte du passé sont importants
pour des pays émergents qui ont parfois du mal à se situer entre traditions et
innovations, et où la tentation de reproduire un mode de transmission du savoir
inchangé est forte. Cette tentation, qui participe du repli identitaire, est
souvent l’expression d’une intégration insuffisante ou mal menée des techniques
mondialisées de production des connaissances. Comment dès lors éviter la
régression et faire par exemple de l’Internet un réseau efficace
d’apprentissage et de formation mais aussi le lieu d’une expression
originale ? Au Maroc, la mise en place d’un réseau académique, le réseau Marwan en l’occurrence, a certes permis
de connecter une grande partie des universités et centres de recherches du
pays. L’ouverture vers le réseau européen homologue Géant
est également un acquis indéniable. Pourtant, ces infrastructures,
indispensables s’il en est, n’ont pas encore suscité une production
significative et structurée de contenus numériques.
Comment remédier à cette lacune ? Comment faire adhérer
enseignants et chercheurs et les pousser à mettre en ligne le fruit de leurs
travaux ? Une solution, mais pas la seule bien entendu, est certainement de
donner à Marwan ce supplément d’âme qui manque souvent aux espaces numérisés en
puisant dans la riche histoire des modes de diffusion des sciences et
techniques arabo-musulmanes[2].
En effet, bien avant les réseaux des moines copistes européens du Moyen-âge, les
Musulmans se sont donné les moyens de diffuser les connaissances à travers
l’empire et au-delà. Un peu partout à travers l’aire de civilisation islamique
de nombreux califes et émirs ont encouragé les traductions d’ouvrages scientifiques en latin et leur diffusion. Ils ont également créé
des médersas avec bibliothèques attenantes dans l’ensemble des grandes villes
et multiplié les échanges des savants et des documents dans un véritable esprit
de ce que nous appelons aujourd’hui le réseautage.
Al-‘Umari, Sentiers
à parcourir des yeux dans les royaumes à grandes capitales
Copie du XIVe siècle : le cognassier (extrait). Source : Paris, BNF.
Repérer dans les systèmes éducatifs d’antan les sagesses et
qualités – exigence d’un travail bien fait, rigueur dans la transmission des
connaissances,… - qui font parfois défaut à nos pratiques d’aujourd’hui, voilà
une démarche qui donne un sens à toute entreprise crédible de rénovation de
l’enseignement. Loin de tout passéisme, elle pourrait aider à restituer aux
technologies modernes leur histoire. Car il n’existe pas de technique, quelque
soit son degré de sophistication, qui n’ait pas existé virtuellement avant d’éclore. L’informatique dans sa forme actuelle
n’est ainsi « que » la rencontre au milieu du siècle dernier d’une
longue chaine de découvertes, dispersées à travers les âges et les aires de
civilisation. En restaurant le fil conducteur nous ne
faisons que créer ce que seront les traditions de demain à travers une
transmission ininterrompue mais intelligente de ce que l’homme produit de mieux
pour vivre décemment et, espérons-le, sauvegarder son milieu naturel.
[1] Étymologiquement,
le terme mosaïque renvoie aussi bien en latin qu’en grec aux « lieux où
résident les muses. »
[2] Est-ce
un hasard si le réseau européen qui met en
relation les différentes plateformes d’échanges scientifiques (dont Marwan) a été
baptisé Dante ?
Dans le même esprit, une des équipes de recherche les plus performantes en FAD
au Maroc s’est donné le nom
d’un des fondateurs des mathématiques arabes, Al-Qalsadi.
Photo : zellige de l'Alhambra de Grenade. Turangan, Flickr, licence Creative Commons.
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