L'étude « Apprentissage des langues : ressources et réseaux » est le fruit d'un travail mené conjointement par des pédagogues et des journalistes appartenant à différentes institutions (RFI, Université Stendhal Grenoble III, Université du Luxembourg, Deutsche Welle). L'équipe financée par la communauté européenne a interrogé des producteurs de ressources et des concepteurs de produits en langues pour savoir de quelles façons le Web 2.0 influence les producteurs de ressources en langues.
Ici, les producteurs de ressources ne sont pas directement les enseignants mais les services langues de médias internationaux, les éditeurs, les grandes institutions d'enseignement des langues, certains acteurs du e-learning ainsi que quelques sites d'« apprentissage mutuel » que l'on appelle souvent les communautés virtuelles d'apprentissage.
En Europe du moins, il semble prématuré de spéculer sur les pratiques encore balbutiantes, c'est pourquoi l'équipe a préféré interroger les différents acteurs institutionnels qui proposent des solutions intéressantes, tout en testant certains produits en ligne.
Le principal intérêt de cette étude est de bien dégager les avantages et les limites de plusieurs types de projets groupés autour de quatre grand axes :
1. le web social comme support à la pédagogie
L'apport le plus évident du web 2.0, c'est son horizontalité. Créer un lien social entre apprenants au travers de Facebook, Twitter, des blogues et des wikis est un puissant levier d'apprentissage et l'étude examine comment un éditeur de méthodes de langues espagnol utilise les réseaux sociaux dans une démarche actionnelle, tout en pointant les limites d'une publication ouverte, non modérée et non corrigée. Un éditeur investira-t-il dans l'accompagnement et l'encadrement des échanges ou dans l'organisation de télécollaborations ? Dans ces modèles d'éditeurs, la communauté n'est pas entièrement ouverte puisqu'elle n'est réservée qu'aux inscrits.
Babelweb, projet européen dont nous avons déjà parlé ici, propose aux visiteurs du site des espaces d'expression gratuits qui se veulent authentiques, non-pédagogiques. Cette « didactique invisible » pose au regard des spécialistes de la pédagogie un problème qui contredit sa démarche : la question de la correction des publications doit intervenir en amont, par l'intervention d'un enseignant et donc rétablir la situation pédagogique que l'on veut éviter.
2. Exploiter les mondes virtuels pour apprendre une langue
Les questions autour de Second Life et des univers persistants en général portent sur le caractère ouvert ou fermé des univers en 3 D. Il semble que dans le domaine des langues, on ne rencontre que des enseignants et des étudiants dans des espaces dédiés, ce qui revient à recréer la classe.
Les atouts de Second Life sont connus et rappelés ici : motivant
pour les jeunes, permettant l'oral et l'écrit et le dialogue éventuel
avec des natifs (si on les rencontre!). Les limites sont assez vite
compréhensibles : la maîtrise technique de ces univers n'est pas aisée
et les échanges synchrones ne permettent pas de laisser de traces des
rencontres.
L'étude s'arrête sur le cas d'institutions qui ont fait le choix d'univers virtuels comme complément de formation : le Goethe institut, l'Institut Cervantès, ou une école danoise, Babel language school qui organise des « voyages scolaires virtuels ».
Est également évoqué le site Activewords, un univers créé par des enseignants particulièrement imaginatifs et doués. Languagelab par exemple est une simulation en 3D dont les acteurs sont
des enseignants avec lesquels les étudiants interagissent pour essayer
de modifier le cours des événements.
Ces solutions très séduisantes requièrent cependant de vrais talents (concevoir des scénarios vivants n'est pas chose aisée) et un goût prononcé pour les jeux de rôle.
3. Médias : être présent sur le web social
Le volet 3 de l'étude s'intéresse aux médias et particulièrement aux radios.
Le cas de « BBC learning english » est passionnant à étudier dans ses évolutions. Comme souvent dans la pédagogie des langues, c'est la BBC qui montre la voie, avec son site astucieux, d'un graphisme tonique. Outre le fait de laisser la parole dans un blogue à un nouvel étudiant sélectionné chaque mois, le site propose son commentaire par un enseignant sur un autre blogue. Le couple "student blog/teacher blog" fonctionne très bien et même si les étudiants ont peu de chance d'être sélectionnés, ils sont très nombreux à vouloir être publiés et commentés sur le site de la BBC et à envoyer leurs billets.
« RFI » et la « Deutsche Welle » expliquent également leurs stratégies sur les réseaux sociaux ( Facebook ou Twitter).
4. Apprentissages mutuels
On connaissait Tandem et son principe d'apprentissage en binôme : les nouvelles communautés d'apprentissage de type Livemocha ou Babbel qui reprennent le principe avec des outils synchrones (chat, skype,visioconference) ou asynchrones (podcasts, forums). L'étude s'intéresse à ce qui se passe lorsque les duos sont formés. Les modalités d'échanges et d'apprentissage sont très diverses mais il semble que de manière générale, les fonctionnalités plus efficaces soient réservées aux formules payantes. Les limites de ces nouveaux outils de formation sont pour les spécialistes la très grande latitude laissée aux apprenants, les partenaires ayant du mal à fixer des sujets de conversation, et le manque de compétences pour enseigner sa langue maternelle.
On touche là à un point sensible de l'identité enseignante : enseigner s'apprend, et l'accompagnement implique des compétences reconnues. Ce n'est pas toujours par le plébiscite des étudiants que l'on évalue la qualité d'un enseignement. L'évaluation des professeurs par les étudiants est un autre point d'achoppement avec la culture du Web 2.0 qui est basée sur la popularité.
C'est le mérite de ce travail approfondi que d'offrir le regard de pédagogues d'expérience sur de nouveaux modes d'apprentissage s'appuyant sur une dimension plus sociale, désormais incontournable.
L'hypothèse de départ, plutôt favorable aux échanges entre pairs et à la participation des utilisateurs dans la création de contenus se nuançait de questionnements sur les tensions entre un certain modèle économique, celui du web 2.0 qui cherche le profit et va se tourner progressivement vers des solutions payantes, et un modèle pédagogique qui préfère l'ouverture et la gratuité, tensions entre un idéal de qualité de contenus et une participation maximale des usagers, tensions entre les échanges libérés et une nécessaire correction linguistique. Le souci d'être lu par le plus grand nombre gouverne ce travail collectif et c'est une qualité inestimable pour un rapport de la Commission Européenne.
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